Le 9 août 2023, l’incendie à Wintzenheim (Haut-Rhin) d’une ancienne grange transformée en gîtes de groupe recevant dans deux unités plus de 30 personnes a profondément ému la population. Mourir asphyxié puis carbonisé pendant un séjour de Vacances Adaptées Organisées (VAO, lire cet article), personne ne s’y attendait puisque les organismes qui les proposent doivent obtenir un agrément préfectoral pour chacun. La réglementation leur faisait alors obligation de s’assurer de la conformité des hébergements en matière de sécurité : « L’organisateur du séjour et le responsable sur place doivent, en fonction de la particularité des lieux, mettre en oeuvre tous les moyens utiles permettant de s’assurer de la sécurité des lieux […] Pour toute question concrète se rapportant à la sécurité des lieux de séjours, il appartient au titulaire de l’agrément ou au responsable du séjour sur place de prendre l’attache du service départemental d’incendie et de secours (SDIS) du lieu de séjour. » Rien de tout cela ne semble avoir été fait puisque la société organisatrice Oxygène et son homologue Idoine ont loué, pour leurs vacanciers handicapés mentaux, des gîtes non déclarés à l’Administration et dont les premières constatations ont relevé l’absence totale de dispositifs de détection et lutte contre l’incendie. En octobre 2023, la gérante de ces gîtes et sa société ont été mises en examen pour homicide involontaire par violation manifestement délibérée d’une obligation de sécurité ou de prudence, la femme laissée en liberté sous caution et interdite de gérer.
Une première enquête administrative et l’actualité ont rapidement démontré que l’agrément préfectoral ne constituait pas une garantie : outre le drame alsacien, une inspection a entraîné le 17 août 2023 la fermeture de gîtes communaux à Larians-et-Munans (Haute-Saône) et le quotidien Nord Littoral a repéré dans le Pas-de-Calais des séjours organisés sans l’agrément indispensable. Alors que l’enquête judiciaire prend son temps, une seconde mission d’inspection approfondit la connaissance d’un secteur qui se mobilise pour ne pas être contraint de vérifier la conformité incendie des lieux loués à des vacanciers qui paient très cher : le séjour des victimes de Wintzenheim coûtait 2.700€ !
Alors que les deux organisations mises en cause, Idoine et Oxygène, poursuivent leur activité comme si de rien n’était, sans être mises en cause par la justice, et proposent toujours des séjours de vacances (la seconde a même laissé en téléchargement son catalogue 2023 contenant ses séjours dans les gîtes clandestins de Wintzenheim !), le Conseil National des Loisirs et du Tourisme Adapté (CNLTA) conteste la nouvelle obligation réglementaire de vérifier la conformité aux règles de sécurité des locations de vacances que les organisateurs de Vacances Adaptées Organisées doivent réaliser. Son président, René Moullec, s’en explique.
Question : Quelle est la situation du secteur depuis le drame et Wintzenheim et les conclusions de la première enquête administrative qui a constaté des carences dans l’application de la réglementation sur la sécurité ?
René Moullec : Vous savez qu’après cette première enquête en direction des deux opérateurs qui se trouvaient sur place et des administrations départementales et régionales, locales, les ministres Aurore Bergé et Fadila Khattabi avaient indiqué qu’elles diligenteraient une enquête plus large sur le secteur des Vacances Adaptées Organisées. Cette seconde enquête est en train de se préparer, des inspecteurs de l’IGAS en ont été chargés. Nous les avons rencontrés parce que leur souhait est de comprendre avant de démarrer l’enquête, et voir comment l’orienter, par quel biais rentrer dans la connaissance du secteur des vacances adaptées. Ils ont été missionnés pour dresser un état des lieux, sur les caractéristiques et la diversité des opérateurs, jusqu’au modèle économique de l’organisation des séjours, leur financement par les vacanciers eux-mêmes, et l’encadrement de ces séjours. Ils ont aussi pour mission d’évoquer des pistes d’organisation complémentaire à mettre potentiellement en oeuvre, et du cadre réglementaire qui pourrait évoluer. La grande question, de notre point de vue, c’est comment encadrer un secteur sans le connaître ? Cette question est posée face à la réalité des textes. Notre attente forte, impérative, c’est que les acteurs du secteur soient associés aux réflexions qui devront suivre cette enquête.
Question : Mais comment comprenez-vous que des organisateurs ne respectent pas la réglementation pour assurer la sécurité des vacanciers alors que les séjours sont très coûteux ? L’agrément administratif n’est qu’un simple papier ?
René Moullec : Non, pas du tout. Les éléments que vous relevez placent au premier plan la sécurité des gîtes. Mais qui doit contrôler les lieux d’accueil : est-ce que c’est aux organisateurs pour savoir si le lieu est habilité à être ouvert et accueillir du monde, ou à d’autres organismes intervenant en amont auprès de ces hébergeurs qui leur permettraient d’ouvrir ? Je pose la question. Ma réponse, c’est « est-ce que c’est au client de vérifier sachant que le client organisateur n’est pas inspecteur de site et de règles liées à la sécurité » ? Il y a sans doute un manque de compétences et d’éléments de référence pour savoir si un lieu qui est sur le marché de la location est autorisé ou pas. La vision du CNLTA est qu’il faut sans doute repenser un certain nombre de choses pour qu’un groupe, ou pourquoi pas une famille, sache si le site est habilité ou pas. Il faut peut-être s’interroger sur les règles qui régissent aujourd’hui la manière dont les autorisations sont données. Il est vrai que dans le cadre des Établissements Recevant du Public (ERP) les règles sont beaucoup plus rigides et carrées, avec des visites périodiques de la commission de sécurité. Quoique ! Depuis le mois d’octobre 2023, les organisateurs ont la charge de demander l’autorisation d’ouverture, mais des administrations ne la délivrent pas. C’est le cas à Paris, par exemple. Alors des préfectures de la région parisienne demandent qu’on ne les exige pas sur leur territoire.
Question : Après le drame de Wintzenheim, la fermeture des gîtes communaux de Larians-et-Munans et les séjours sans agrément d’AVA dans le Pas-de-Calais, le débat c’est bien que n’importe qui pouvait louer n’importe quoi ?
René Moullec : On viendrait nous reprocher et interdire des séjours parce qu’on ne peut pas présenter une autorisation que l’Administration ne délivre pas ? Il y a quelque chose qui cloche, mais ailleurs que du côté des organisateurs de vacances adaptées. Il y a à repenser un certain nombre d’éléments concernant les capacités à ouvrir et accueillir, mais clairement, je le défends, ce n’est pas des organisateurs qu’il faut demander cette recherche, mais qu’il y ait quelque chose de clair, net, précis, compréhensible par les hébergeurs. Parce que certes, du côté des ERP ils comprennent les choses, mais du côté de ceux qui ne sont pas ERP, il n’y comprennent rien ! Quand nous faisons des demandes aujourd’hui, parce que les hébergeurs n’ont pas de documents officiels, il faut qu’ils expliquent (c’est la demande administrative) pourquoi ils ne sont pas ERP. Eh bien ils sont incapables de le dire. Ils ne sont pas éclairés par ceux qui devraient les informer. En tout cas ce n’est pas à nous de les éclairer en tant qu’organisateurs.
Que dit la réglementation depuis le drame de Wintzenheim ?
La circulaire du 6 octobre 2023 relative au respect des règles de sécurité incendie sur les lieux de séjours de vacances adaptées organisées rappelle qu’il est de la responsabilité des propriétaires et exploitants de vérifier l’assujettissement de leurs immeubles à la législation sur les ERP. Elle précise, par rapport au texte précédent, ce que l’organisateur d’un séjour de vacances adaptées doit effectuer.
« Toutefois, l’opérateur VAO en tant qu’il est responsable de la sécurité et du bien-être des vacanciers, est tenu de vérifier auprès du propriétaire ou de l’exploitant cet assujettissement et, le cas échéant, de demander les justificatifs attestant du respect des normes de sécurité incendie. La preuve de ces diligences est apportée par le dernier arrêté d’autorisation et la dernière attestation du passage de la commission de sécurité datant de moins de 5 ans, ou la production de la réponse du propriétaire ou exploitant indiquant les raisons pour lesquelles le lieu d’hébergement n’est pas soumis à la réglementation ERP. »
Laurent Lejard, janvier 2024.