« Grâce aux Jeux, nous continuerons d’adapter notre ville pour toutes et tous en déployant 17 nouveaux quartiers à accessibilité augmentée, soit un par arrondissement », twittait Anne Hidalgo le 6 décembre 2022. A six mois des Jeux Olympiques, c’est déjà raté. Annoncés au Conseil de Paris le 10 novembre 2020, ces Quartiers d’Accessibilité Augmentée (QAA, cartographie dynamique en ligne) s’inscrivent dans les périmètres des actions locales Embellir Paris, et 3 ans après sont encore en phase d’élaboration dans la plupart des arrondissements, avec des ambitions nettement revues à la baisse par rapport à ce qu’exposait à l’époque la maire de Paris : « 15 quartiers pilotes, situés autour des sites olympiques et paralympiques parisiens, de grandes gares et de places, permettront, d’ici 2024, à tous les publics d’accéder, sans empêchement dans les cheminements, à un ensemble complet de services de proximité accessibles universellement incluant: hôtels, commerces, écoles, services administratifs, culturels ou sportifs. » Couvrant en théorie 8% du territoire municipal, ces QAA sont devenus de simples parcours accessibles en fauteuil roulant dans quelques rues desservant une douzaine d’établissements municipaux pour la plupart, ce qui se faisait déjà au siècle dernier.
Repérage dans le 6e
Exactement ce qui se prépare actuellement dans le 6e arrondissement, quartier de l’Odéon, comme on a pu le constater le 23 janvier dernier lors d’une marche exploratoire. « Les consignes venaient de l’Hôtel de Ville, explique Jean-François Vincent, directeur général adjoint des services chargé de l’Espace public. On nous a demandé de tracer une ligne qui rejoindrait des équipements publics accessibles avant les Jeux. Parmi ces équipements, il y avait crèche, école maternelle et élémentaire, conservatoire, bibliothèque, établissement sportif, cultuel [appartenant à la ville] et des espaces jardin. » En tout 9 Établissements Recevant du Public, tous municipaux, sur un parcours de 1,6 kilomètres, plus 3 autres (dont deux centres médicaux privés) en dehors du périmètre du QAA.
Dans ce secteur, circuler sur les trottoirs dallés n’est pas des plus confortables ; comme souvent à Paris, les dalles sont disjointes, avec des lacunes, résultat d’un manque d’entretien. Les ERP visités sont installés depuis le milieu des années 1990 dans le marché Saint-Germain. L’accès à la crèche Lobineau installée à l’étage est aisé, ascenseur, guidage podotactile et bande d’éveil de vigilance (BEV) au sommet de l’escalier (des mamans mal ou non-voyantes ont fréquenté cette crèche), WC unisexe adapté.
Il en va tout autrement pour le centre sportif mitoyen installé en sous-sol : le guidage podotactile a disparu, aucune BEV, ascenseur à clé alors qu’il devrait être en libre-service ; après avoir sonné trois fois à l’interphone, un employé vient finalement annoncer que l’ascenseur est en panne depuis au moins une semaine. « On appelle la société [de maintenance] tous les jours, ils ne se déplacent pas », justifie-t-il. Autre souci, accéder au conservatoire de musique puisque l’entrée du public passe par un escalier, et celle des personnes handicapées au moyen d’un ascenseur situé à 50 mètres. Appel à l’interphone, un employé descend, explique et montre une affichette explicative perdue au milieu d’autres et placée trop loin pour qu’on la voie. Comme cet ascenseur à clé donne directement dans un couloir du conservatoire, ses usagers handicapés devront toujours recourir à l’aide du personnel.
La mairie centrale à la manoeuvre
Les commerces, hôtels, restaurants et autres activités du secteur non municipal ont disparu de la commande de la mairie centrale. Pourtant, la ville avait lancé en juillet 2022 un appel à subvention auprès des commerçants des 3 QAA des 8e, 10e et 14e arrondissements : 10.000€ maximum pour les aider à se mettre en accessibilité. La mairie centrale n’a pas communiqué sur le nombre de commerces qui l’ont obtenu, et on ne trouve pas trace de tels appels pour les autres arrondissements, bien que cette aide existe toujours.
La situation est identique dans le 15e arrondissement (lire ce qu’en disait une élue en juin 2022), comme le confirme son directeur général adjoint Espace public, Erick Orblin : « On nous a demandé de définir un parcours d’accessibilité dans la zone pour repérer tous les ERP de la ville de Paris. Ce qui devait concerner une zone s’est synthétisé en parcours avec un ERP de chaque catégorie. »
Dans cet arrondissement, le QAA couvre un périmètre comprenant une partie des rues Émeriau et Émile Zola, son parcours de 2 kms reliant 12 ERP municipaux. « Il n’a pas été défini par l’arrondissement, mais par la mairie centrale, ajoute Erick Orblin. Tout devrait être enclenché dans les prochains mois, je serai alors plus en mesure d’en parler. On a discuté avec les commerçants pour les inciter à s’ouvrir, à se rendre accessibles. On disposerait de 500.000€ pour effectuer des travaux de voirie. On a parcouru toutes les rues du périmètre pour les désencombrer des forêts de poteaux et barrières, repérer tous les passages piétons à refaire. La direction de la voirie a donné son feu vert pour réaliser les travaux juste avant les Jeux. » Dans ce programme figure un carrefour sans trottoirs abaissés dont l’accessibilité est demandée depuis des années par la mairie d’arrondissement, elle sera financée sur le budget du QAA.
Démocratie alla parisienne
Que se passe-t-il dans les autres arrondissements ? Si tous les conseillers délégués au handicap ont été contactés, 4 seulement ont répondu, dont une avouant ne disposer d’aucune information sur le projet de QAA du 12e arrondissement. Une visioconférence était prévue avec celle du 19e, brutalement annulée par l’attaché de presse du maire d’arrondissement : « La teneur de ce que vous écrivez n’incite pas à communiquer des informations, a-t-il justifié. Vu votre positionnement, on n’a pas forcément envie de travailler avec votre média. » Et d’évoquer l’article Un an avant les Jeux publié le 1er septembre 2023, qu’il qualifie de « à charge » contre l’action municipale. Depuis sa publication, notre rédaction ne reçoit d’ailleurs plus les communiqués et invitations presse de la ville et département de Paris : édifiant…
L’adjointe à l’Accessibilité universelle et aux Personnes handicapées au Conseil de Paris, Lamia El Aaraje, a appliqué la même censure en nous interdisant de suivre la totalité de la marche exploratoire dans le 6e arrondissement, après avoir appelé son service de presse : « C’est une visite technique qui n’est pas ouverte aux journalistes », a-t-elle invoqué. Elle a pourtant accepté la présence d’un journaliste d’Actu.fr en octobre dernier lors d’une marche identique dans le 20e arrondissement… et n’a évidemment pas donné suite à notre proposition d’interview. A Paris, la liberté de la presse, le droit d’informer et l’accessibilité universelle sont sur un pied d’égalité : aucun n’est augmenté.
Laurent Lejard, février 2024.
PS : on vous recommande particulièrement le parcours du 17e arrondissement, qui part de l’Arc de Triomphe marqué comme accessible alors que les piétons handicapés moteur ne peuvent y accéder à cause de l’inaction de la ville de Paris, comme vous le lirez dans cet article.