Du noir de la scène émerge une enseigne lumineuse, Porn for the blind, du nom d’une société d’audiodescription de vidéos pornographiques. C’est dans cette ambiance que se déroule la comédie écrite par Victorien Robert dont c’est la première création. « Porn for the blind a réellement existé, elle réalisait de l’audiodescription pour aveugles aux États-Unis, avec un esprit commercial très urbain ; ça claque, ça intrigue ou étonne. J’ai trouvé l’idée totalement incroyable, et j’ai pu entendre une de ses bandes sonores. L’audiodescription était très naturelle dans son expression. » Cette activité inédite en France lui a donné l’envie de la présenter dans une comédie en forme de quête amoureuse : Eva (jouée par Lison Pennec), tout juste trentenaire, s’est retrouvée lors d’un événement au contact fugace d’un beau jeune homme non-voyant qui a découvert son visage avec ses doigts, avant que tous deux ne soient séparés par la foule. Cette sensation l’a profondément imprégnée : un coup de foudre dans cette foule jadis chantée par Edith Piaf.
« J’ai eu envie d’en faire un sujet dès 2019, poursuit Victorien Robert. Puis j’ai travaillé sur une forme longue, en évoluant vers l’imaginaire on peut se passer d’images. J’ai une bonne connaissance du porno, dans ma vie je me suis retrouvé dans des détours étonnants. » Non pas qu’il ait tourné dans ce type de films, mais en lisant des romans pour L’appli rose, collection de livres audios : « Le premier était une fiction érotique dans laquelle j’interprétais un aveugle. Dans le porno, j’ai remarqué une normalisation des façons de filmer, de consommer rapidement, stéréotypées, standardisées, donnant des modèles d’hommes triomphants aux adolescents et aux jeunes, fragiles dans cette période de leur vie. Parce qu’on ne voit jamais d’hommes eux-mêmes fragiles dans ces films. » C’est dans ce milieu qu’il fait évoluer ses trois personnages : Eva l’amoureuse qui a écumé tous les lieux et milieux où elle pensait croiser son « Prince », Bernard (Xavier Martel) le gérant de Porn qu’il s’efforce de maintenir à flots, et Jérôme (Victorien Robert) meurtri dans la prime adolescence qui y travaille comme audiodescripteur et homme à tout faire.
Comment la quête de l’homme dont Eva est instantanément tombée amoureuse aboutit-elle chez un éditeur pornographique ? « Elle n’a pas envie d’être raisonnable, elle attend de l’aventure, elle est en quête d’absolu, reprend Victorien Robert. Comme si un sentiment pouvait dicter la vie, on se raconte un peu avec ce genre de personnage. » Ce qui donne à la pièce un petit côté fleur bleue parsemé d’obscénités : « On parle peu du handicap dans la pièce, mais le protagoniste devait être totalement non-voyant, même si on ne le voit pas sur scène. » Cet aveugle à la Godot, on l’entend par l’intermédiaire d’une messagerie téléphonique conduisant à une fin façon Demoiselles de Rochefort : les deux amoureux se retrouveront-ils, finalement ? « J’ai voulu une fin ouverte, mais prévisible, même si je pensais que ça bandait un peu mou… La suppression du message téléphonique fait réagir le public. L’idée est de faire du théâtre en sensations : la cécité est à la fois réelle et physique, mais aussi psychanalytique sur ce qu’on ne peut pas voir, lâcher, changer. »
Propos recueillis par Laurent Lejard, janvier 2024.
Porn for the blind est représentée tous les dimanches soir jusqu’au 11 février au Théâtre des Béliers parisiens, détails en Agenda.