Deuxième ville de France par la population, Marseille est aussi la plus ancienne : des marins grecs venus de Phocée fondèrent en -600 leur port et colonie dans une calanque, le Lacydon, mis au jour à la fin des années 1960 à la faveur de la construction d’un ensemble immobilier. Actuellement cerné par les parois hideuses d’un centre commercial, ce port antique est au coeur d’un Jardin des Vestiges depuis longtemps fermé au public, dans l’attente de la réouverture à l’été 2013, après rénovation et extension, du Musée d’Histoire de Marseille qui expose les nombreux objets trouvés lors des fouilles de ce site unique. La résurrection du port antique est à l’image de l’histoire de la ville, succession de constructions remplacées par d’autres, sans souci patrimonial. Les Marseillais ont en effet peu conservé de leur héritage pluriséculaire et ce n’est qu’assez récemment que sa préservation a été prise en compte.
Pour le découvrir, une guide de l’Office de Tourisme, Marie-Hélène Basso, élabore des parcours adaptés aux personnes handicapées : actuellement, elle en propose deux pour explorer le quartier de l’Hôtel de Ville et du Panier, l’un conçu pour les personnes à mobilité réduite, le second en Langue des Signes Française. L’Office de Tourisme prête également des documents en braille sur la ville, le Panier, la basilique Notre Dame de la Garde et le château d’If.
Dans le Vieux Marseille
Le circuit du Vieux Marseille débute sur le célébrissime Vieux-Port, devant l’Hôtel de Ville bâti sur pilotis dans les années 1660 en style baroque provençal par Gaspard Puget, frère du célèbre Pierre Puget, sur l’emplacement de la maison commune du XIIIe siècle. Les personnes en fauteuil roulant ne peuvent, aujourd’hui encore, y entrer. Derrière, un petit bijou architectural Renaissance, la maison Diamantée, doit son nom à une remarquable façade à facettes. Le bâtiment a conservé un admirable escalier droit à plafond sculpté. Inaccessible en fauteuil roulant, il abritait le musée du Vieux-Marseille mais ne se visite plus, actuellement occupée par les bureaux de l’association organisatrice de Marseille Provence 2013 qui ne doit pas compter de salariés handicapés moteurs…
Mitoyen, l’élégant Pavillon Daviel, aujourd’hui occupé par les élus municipaux, abritait le palais de justice au XVIIIe siècle. En face dans l’axe de la rue Caisserie, le clocher des Accoules émerge des bâtiments alentour et se dresse tel un phare immaculé, unique reste de l’église éponyme détruite après la Révolution. Non loin, l’ancien Hôtel-Dieu du XVIIIe siècle étage à flanc de colline ses façades ocres aux angles intérieurs arrondis, jadis hôpital, bientôt hôtel de (grand) luxe : un signe du temps ? La destruction de la rive nord du Vieux-Port n’a guère laissé debout que ces immeubles historiques : dynamitée par l’occupant allemand en 1943 après la rafle de ses habitants dont une partie fut déportée, sa reconstruction a été réalisée dans les années 1950 par l’architecte marseillais Fernand Pouillon sous forme d’immeubles modernes de moyenne hauteur et à façades de pierre, dans une harmonie somme toute bien bienvenue. Les appartements donnant sur le port sont évidemment très recherchés…
En arpentant le Vieux-Port dans la direction du fort Saint-Jean (construit à la demande de Louis XIV et dont les canons étaient braqués sur une ville trop rebelle pour le monarque!), on longe les consignes sanitaires, deux élégants édifices identiques dont le premier date du XVIIIe et le second du XIXe. En remontant ensuite par l’avenue Saint-Jean jusqu’à la rue Caisserie, on peut découvrir une splendide (et très photogénique) vue sur le Vieux-Port et la basilique Notre-Dame de la Garde, perspective ouverte entre deux immeubles Pouillon. La rue Caisserie formait la « frontière » entre les immeubles populaires et ceux des armateurs, des négociants, qui ont subsisté pour la plupart.
Havre de calme dans la journée, la place de Lenche repose sur les arches enfouies du couvent Saint-Sauveur. Au bout de la rue Saint-Laurent est nichée l’une des plus anciennes églises de Marseille, bâtie au IXe siècle, transformée au XIIe et au clocher octogonal du XIVe. Inaccessible en fauteuil roulant, Saint-Laurent n’est en outre visitable qu’avec un guide. De son esplanade s’élance la brutale passerelle en béton noir conduisant aux terrasses du fort Saint-Jean, lui-même porte d’entrée du Musée des Civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (Mucem). Grand projet de décentralisation culturelle initié en 2002, il présentera à partir du printemps 2013 trois expositions dans le cadre de Marseille Provence 2013 (lire ce Flop), avec vidéos sous-titrées, visites guidées, audioguide avec boucle magnétique, visites en LSF. La collection permanente, ouverte plus tard, devrait disposer d’un parcours tactile, d’un dispositif mobile et tactile de médiation, d’un audioguide en audiodescription, d’un visioguide en LSF, de visites et ateliers adaptés pour visiteurs handicapés.
A proximité du Mucem se dresse la silhouette rayée caractéristique de la cathédrale de la Major, bâtisse néo byzantine de la fin du XIXe siècle que ses paroissiens laissent décrépir dans une inaccessibilité totale… En se dirigeant vers elle, on longe la Vieille Major, ancienne cathédrale romane amputée (et fermée pour très longue rénovation) auquel fait face l’ancien Évêché devenu hôtel de police. On pénètre ensuite dans la rue du Four au Chapitre suivie de l’étroite rue des Repenties (là et dans les rues suivantes, les visiteurs en fauteuil roulant doivent abandonner l’idée d’emprunter les trottoirs) puis dans la rue Sainte-Françoise dont l’extrémité abrite deux lieux emblématiques du feuilleton de France 3 « Plus belle la vie » : une placette censée restituer l’ambiance de celle du bar du Mistral, et la boutique des produits et gadgets dérivés du feuilleton à succès.
En montant sur la droite, rue du Petits Puits, on arrive devant l’un des plus beaux et plus élégants monuments de la ville : la Vieille Charité. Au centre de cet hospice édifié au XVIIe siècle par Pierre Puget, une chapelle de style baroque génois à rare coupole ovoïde : magnifique… et accessible ! Les bâtiments légèrement en trapèze recevaient les mendiants et indigents raflés dans les rues. Sauvés d’une lente ruine dans les années 1970 (des familles y logeaient encore en 1960), les murs abritent aujourd’hui de remarquables collections d’art égyptien, étrusque, grec, celto-ligure, qui font de Marseille la seconde ville en la matière après Paris. À voir également, les arts africains, océaniens et amérindiens, là encore de quoi séduire les amateurs et captiver les autres. L’entrée nécessite toutefois de passer des pavés difformes et de demander que soient éventuellement placés les plans inclinés qui rattrapent les seuils de salle. Un ascenseur dessert les étages, des toilettes adaptées sont disponibles.
Afin d’éviter les fortes pentes ou volées de marches, les visiteurs en fauteuil roulant seront bien inspirés de revenir sur leurs pas jusqu’à la rue Caisserie en passant devant l’Hôtel-Dieu puis la Grand-Rue dans laquelle on trouve la plus ancienne maison de Marseille : l’Hôtel de Cabre, propriété privée qui ne se visite pas. Construit en 1535, il est au moins deux fois rescapé : d’abord des destructions de 1943 qui l’ont laissé seul au milieu d’un terrain vague après le dynamitage du quartier, puis frappé d’alignement et déplacé d’un quart de tour dans les années 1960. Si vous pensez qu’il s’agit d’une galéjade, levez les yeux et vous lirez au-dessus de la plaque bleue « Grand Rue », l’inscription gravée « Rue de la Bonneterie » ! Quelques mètres plus bas, les bars et restaurants du Vieux-Port vous récompenseront de vos efforts, d’autant plus que les travaux de réfection de sa voirie avec semi-piétonisation sont presque achevés. Il devrait être plus agréable d’y flâner, notamment en fauteuil roulant, une vaste esplanade remplaçant la dizaine de voies automobiles qu’était le quai des Belges (rebaptisé quai de la Fraternité), rendez-vous matinal des pêcheurs et des poissonnières qui vendent aux passants, avé l’assan et la tchatche, tout ce que la Méditerranée offre de comestible…
Autre marque de son histoire tumultueuse, Marseille est mondialement célèbre pour avoir « donné » à la France son nom à l’hymne national. Cette histoire, pas si simple, est présentée dans un espace muséal multimédia, le Mémorial de la Marseillaise, rue Thubaneau (jadis dévolue avec sa parallèle Tapis Vert à la prostitution), qui devrait ravir l’érudit comme le néophyte. Ce qui était encore le chant de l’Armée du Rhin fut chanté pour la première fois à quelques maison de là, au numéro 11 de la rue. Installé dans l’ancienne salle du jeu de paume devenue hammam, accessible de plain-pied, le Mémorial propose aux visiteurs déficients visuels un plan tactile, un livret en grands caractères, un cahier braille des cartels et un guidage au sol. Les Sourds et malentendants disposent du texte des audiovisuels. Au fil des salles sont présentés l’origine du chant, ses variantes, la réponse royaliste, le premier texte publié le 5 juillet 1792, son appropriation par les Jacobins, ses nombreuses versions (plus de 600) et traductions dont une quarantaine présentée en vidéo, l’ensemble replacé dans le contexte historique. Passionnant !
Il est bien d’autres lieux à découvrir dans cette ville si étendue. Si la visite de l’île et du château d’If rendus célèbres par Alexandre Dumas n’est possible qu’aux « bien marchants », on ne peut faire l’impasse sur la basilique Notre-Dame de la Garde, dont la nef est dominée par une tour-clocher surmontée d’une Vierge à l’enfant qui lui vaut l’affectueux surnom de Bonne Mère. Depuis l’esplanade, les visiteurs, y compris en fauteuil roulant, ont les plus belles des vues sur la ville et les collines de l’Etoile au nord, la rade et le massif de Marseilleveyre au sud. L’église, dont le choeur est à mosaïques d’or, est accessible par ascenseur. Ne manquez les ex-voto, maquettes de bateau ou de bombardiers d’eau suspendus dans la nef de l’église supérieure, et autres tableaux naïfs remerciant la Bonne Mère pour sa protection.
Autre panorama et promenade, la Corniche Kennedy, que l’on dit « le plus long banc du monde », accessible à plusieurs endroits près des places de stationnement et d’arrêts de bus. Mais aucune descente vers la mer ou les restaurants n’est aménagée pour les personnes handicapées motrices.
Au bout de la Corniche se succèdent les plages aménagées sur des terrains gagnés sur la mer, qui ont cassé le galbe de la rade mais offrent de nouveaux espaces urbains. Dès les beaux jours, elles sont envahies de baigneurs et preneurs de soleil. L’une d’entre elles, Prado sud, dispose d’une mise à l’eau au bout d’un ponton à (très longue) rampe d’accès et, en juillet-août, de Tiralos manoeuvrés par des auxiliaires de vie (douche et WC adaptés, stationnement réservé à demander au poste de secours). Après l’hippodrome, l’Escale Borély rassemble bars et restaurants de qualité variable, et beaucoup de monde en soirée. Les amateurs d’art contemporain pourront s’enfoncer dans le quartier Bonneveine tout proche, urbanisé depuis les années 1980, pour apprécier les expositions du MAC, riche d’oeuvres des grands artistes de la seconde moitié du XXe siècle et du début du XXIe. Accès de plain-pied, dépose-minute possible dans la cour (mal) pavée sur demande téléphonique, visites adaptées seulement pour les groupes de personnes déficientes visuelles ou auditives.
Rien de bien attrayant n’attend en revanche le visiteur sur la célébrissime Canebière, jadis animée et maintes fois célébrée dans les cabarets et l’opérette marseillaise (genre tombé en désuétude mais parfois encore représenté au Théâtre de l’Odéon, situé en haut de la Canebière) : boutiques sans âme, vastes trottoirs où l’on s’ennuie, terrasses inexistantes, étrange faune le soir… Le très esthétique tramway qui la parcourt constitue néanmoins, avec deux lignes de bus (19 et 83), le seul réseau de transport accessible de la ville. Inutile, par ailleurs, d’espérer prendre le métro si vous circulez en fauteuil roulant !
Dans le courant de l’année 2013, de nombreux musées vont ouvrir ou rouvrir. Outre le Mucem, évoqué plus haut, la Villa Méditerranée implantée juste à côté se veut une passerelle entre les rives de cette mer fermée et les hommes qui les peuplent, ainsi qu’un lieu d’expositions. Les visiteurs déficients visuels devraient y disposer de plans et supports de visite en braille et gros caractères ainsi que de visites descriptives sur réservation, les malentendants de boucles magnétiques dans l’auditorium, à l’accueil, à la boutique et pour les audioguides, les Sourds de visites en LSF sur réservation, de visioguides en langue des signes avec sous-titrage en français des témoignages dans le parcours « Plus loin que l’horizon ».
Par ailleurs, une partie des musées municipaux est en travaux ou restructuration, avec la création d’un super-musée au château Borély, et la rénovation et mise en accessibilité des musées plus anciens. Ainsi celui des Beaux-Arts, installé dans l’aile gauche du Palais Longchamp, (autre architecture spectaculaire qui vaut le détour) sera enfin accessible par ascenseur, avec outils de visites en braille et relief pour les visiteurs déficients visuels, dont une maquette tactile du Palais, audioguide à boucle magnétique pour les malentendants, probables visites en LSF pour les Sourds. Si l’accessibilité PMR doit être effective en juin, pour la réouverture du musée des Beaux-Arts à l’occasion de la grande exposition temporaire « Le grand atelier du Midi », l’accessibilité culturelle viendra plus tard pour la collection permanente. Resteront toutefois inaccessibles les riches collections du musée Grobet-Labadié, en face du Palais Longchamp, et celles, non moins intéressantes du musée des Docks romains, près de l’Hôtel de Ville. Enfin, on ne peut que regretter la fermeture du musée de la Faïence, installé au pied du massif de Marseilleveyre dans une merveilleuse bastide qui avait été mise en accessibilité et constituait une possibilité presque unique d’apprécier cet habitat aristocratique et ses rarissimes collections. Ainsi vogue Marseille, cité légendaire et métropole en recherche perpétuelle d’avenir !
Jacques Vernes, janvier 2013.