Toujours en recherche de performances, les sportifs valides comme handicapés sont boostés par l’évolution technologique. Celle-ci est présentée dans l’exposition MATCH : Design & Sport organisée au Musée du Luxembourg (Paris 5e) et qui fermera, hélas, 17 jours avant le lancement des Jeux Paralympiques de Paris. Au fil des salles, les visiteurs seront confrontés au passé-présent-avenir des disciplines sportives et de leurs lieux de compétition. On oubliera l’essai de style de l’architecte Didier Fiúza Faustino dont le stade itinérant repliable Temporary Autonomous Zone est totalement inaccessible et discriminatoire, alors que la tendance depuis le début de notre siècle est au design inclusif.
Performance et attraction
Le visiteur pourra découvrir quelques engins spectaculaires, telle la moto carénée homme-machine de Luigi Colani et Flitz Egli avec laquelle ils ont battu un record de vitesse, belle symbiose d’efficacité et de beauté plastique. Bien d’autres objets exposés témoignent de ce besoin de matériels et équipements à la fois performants et attirant l’attention du public sur ceux qui les utilisent. A cet égard, la juxtaposition des lignes souples et du cuir somptueux d’une selle d’équitation Hermès et du brutal fauteuil de rugby OttoBock (qui a servi, comme le montre l’état des protections métalliques) est symptomatique de cette opposition entre la Belle et la Bête, finalement toutes deux attirantes.
Parce que le design est devenu au fil du temps un élément important du spectacle sportif, sublimant la conception technique entièrement tournée vers l’amélioration des performances. A cet égard, la bicyclette Hirondelle fabriquée en 1889 par Manufrance est vue comme un bel objet avec son cadre en demi-lune et son guidon en spirale, et comme une prothèse permettant à un être humain de se déplacer plus vite et plus loin, explique dans une brève interview le commissaire d’exposition, Konstantin Grcic.
Parce que dans le sport, pratiquants valides et handis se rejoignent en employant des ballons, crosses, raquettes et autres équipements qui constituent des extensions de leur corps pour en augmenter les fonctionnalités et performances. Tout comme l’irruption des technologies électroniques qui, si elles offrent à des personnes handicapées dépendantes l’accès à des jeux virtuels et numériques, sont porteuses de risques : jusqu’où le corps humain augmenté tiendra-t-il ?
Trois questions à Konstantin Grcic
Question : Dans le cadre de vos recherches, quelles différences avez-vous constaté en matière de design et conception entre les sports et les parasports ?
Konstantin Grcic : Je n’ai pas remarqué de différences entre la conception du sport pour les personnes en situation de handicap et celle du sport des personnes qui ne le sont pas. Elle se dessine quand on parle du design et des projets de design. C’est dans ce domaine que nous voyons, pour les personnes en situation de handicap, tout un monde de possibilités et de potentiel pour un univers étendu du sport en général. A travers les « ancêtres » des équipements ultra-modernes, des prothèses imaginées pour des personnes en situation de handicap, nous percevons les possibilités d’évolution du design. Il ne s’agit pas seulement de créer la meilleure chaussure, mais de concevoir le design de manière beaucoup plus globale.
Question : Vous affirmez qu’une bicyclette est une prothèse pour l’être humain, qu’entendez-vous par là ?
Konstantin Grcic : Une bicyclette a des roues, et les roues permettent à l’être humain d’aller plus vite qu’avec la marche à pied. Ces roues sont des prothèses.
Question : Avec de telles prothèses qui nous font aller vite et plus loin, et dans le cadre de l’évolution technologique, va-t-on vers un humain, un sportif ou handisportif augmenté ? Et quelle seraient les limites : celles de la technologique ou celles du corps humain ?
Konstantin Grcic : Bonne question ! Je ne peux prédire l’avenir, il est fascinant de suivre les développements de la science, des potentiels différents. C’est en quelque sorte le débat sur l’intelligence artificielle : est-ce qu’elle va nous aider ou devenir une menace ? Bien sûr, cette fascination que nous avons pour la technologie et l’intelligence artificielle comporte des considérations morales et éthiques très importantes. A ce stade, nous sommes au carrefour de ces technologies et nous sommes la génération qui souhaite que cela fonctionne, que cela ne tourne pas au désastre, à la catastrophe. C’est fascinant, mais on se demande si on n’est pas en train de créer un monstre.
Laurent Lejard, mars 2024. Merci à Adam Dehmohseni pour sa traduction des propos de Konstantin Grcic.
MATCH : Design & Sport, jusqu’au 11 août 2024 au Musée du Luxembourg, 19 rue Vaugirard à Paris (6e). Démonstrations et initiations de handisport le 19 mai. On regrettera toutefois le parti-pris du scénographe de « flou de vitesse », des titres des cartels et de textes, qui nuit à leur lecture et finit par fatiguer les yeux…