L’édition 2024 d’EmploiDV a été un succès selon ses organisateurs qui revendiquent 700 visiteurs le 3 avril dernier dans les locaux de l’INJA-Louis Braille. Ce qu’explique Julien Berthier, enseignant et cheville ouvrière de l’événement : « L’objectif principal est d’amener dans l’emploi, favoriser l’insertion professionnelle. Ce qu’on retient d’année en année, c’est que le succès ne se dément pas, au contraire. Ce salon répond à un vrai besoin, et de plus en plus de la part des entreprises. Au tout début, elles étaient une douzaine, aujourd’hui on en est à 32, de toutes tailles et aussi du secteur public. » Pour autant, le suivi n’est pas organisé : « Il est difficile de connaître la concrétisation en termes d’emploi. Des entreprises nous disent que oui, des visiteurs aussi. » En 20 années d’enseignement, Julien Berthier a vu les débouchés évoluer, avec l’ouverture des métiers du tertiaire dans la banque, l’assurance, l’audit, l’informatique, l’ingénierie, les ressources humaines, le juridique, les ministères, cite-t-il : « Les métiers manuels au sens strict du terme sont plus fermés, mais on voit que l’Association Valentin Haüy a lancé une formation de réparateur de vélos, c’est nouveau. Avant, on avait notamment le cannage-paillage, qui a un peu disparu mais revient par le biais de l’économie circulaire et le recyclage. » Les employeurs potentiels se rendent d’ailleurs à ce salon en sachant qu’ils seront au contact de demandeurs déficients visuels, ils sont informés.
Si le tertiaire concentre l’emploi des personnes déficientes visuelles, c’est avec un obstacle grandissant : l’accessibilité numérique en régression. « L’informatique adaptée a, pendant un temps, ouvert l’emploi, reprend Julien Berthier. Ces dernières années, un recul de l’accessibilité informatique est évoqué, c’est ce qu’on entend. Les logiciels d’entreprise ne sont pas toujours adaptés, une mise à jour et l’adaptation n’est plus opérationnelle. J’espère qu’EmploiDV pousse les employeurs publics et privés à faire les efforts pour rendre à nouveau les emplois du tertiaire complètement accessibles. » Autre obstacle : aller au travail et se déplacer dans un environnement urbain complexe et difficile pour les personnes handicapées. « Nos élèves sont jeunes, ils ne sont pas complètement aguerris aux techniques de locomotion et de repérage spatial, mais ils ont généralement un tuteur et sont accompagnés. Pour les adultes, c’est une problématique : ils doivent avoir développé une compétence importante d’autonomie dans les déplacements, sinon c’est un vrai frein à l’emploi. »
Qu’en pensent des demandeurs ?
Âgé de 23 ans, Alexandre est en recherche d’une alternance pour son Master 2 Ressources Humaines. « J’en suis au début, ma recherche se passe bien. Les entreprises commencent leur campagne d’alternance, j’ai candidaté sur des job board et des sites d’entreprises, je participe aussi à des forums emploi, parce que c’est le meilleur moyen de rencontrer des entreprises. »
Il est satisfait par les échanges avec des collaborateurs d’entreprises : « Ça permet de répondre à toutes les questions et de trouver l’offre qui convient le mieux. » Il relève toutefois l’importance des préjugés sur les capacités à travailler des personnes déficientes visuelles : « Des personnes mettent des barrières par manque de connaissance, des stéréotypes de base, par manque de sensibilisation et parce qu’elles ne connaissent pas les moyens existant pour compenser le handicap visuel. » Anthony est collégien à Beaumont-sur-Oise (Val d’Oise), en 3e, et vient s’informer en vue de son orientation au lycée et préparer sa recherche de stage en seconde : « Je pense m’orienter vers le commerce, la communication ou l’artistique, plus particulièrement le chant. Ici, j’ai rencontré des personnes très accueillantes, qui me comprennent et savent expliquer ce qu’elles font. » Il a pris quelques contacts qui lui seront peut-être utiles à l’avenir.
Françoise, quant à elle, suit actuellement, en reconversion, un Bachelor Ressources Humaines qualité de vie au travail, elle ne peut plus travailler dans le commerce du fait de la dégradation de sa vision. « Les ressources humaines sont plus adaptées au niveau des logiciels. Je souhaite effectuer un Master en alternance pour renforcer mon bagage et devenir responsable en service RH. » Elle a effectué un stage RH dans une association de la déficience visuelle, et elle vient aujourd’hui postuler « sans me sentir différente des autres. » Dans les relations avec les recruteurs, elle estime être perçue à l’égal des autres, sans écart dû à sa déficience visuelle, et espère que le feeling qu’elle a ressenti avec la responsable RH d’une entreprise qui l’attire sera suffisamment partagé pour y être embauchée. Hassen, 25 ans, découvre EmploiDV. Il se positionne dans les métiers de l’informatique, développement et conception de logiciels, et vise les postes de la fonction publique ouverts sans concours aux travailleurs reconnus handicapés alors que ladite fonction publique est loin d’être exemplaire en matière d’accessibilité numérique : « C’est un point sensible, et un aspect qui me motive. Le fait de travailler pour l’État, c’est aussi oeuvrer pour les personnes en situation de handicap, pour rendre les sites web, et aussi les progiciels, accessibles. » Il espère contribuer à faire bouger les lignes grâce à son recrutement, s’il se concrétise.
Âgée de 22 ans, Lisa est malvoyante depuis la naissance. Actuellement en service civique, elle est venue d’Amiens (Somme) pour rechercher un apprentissage en gestion de projet et administration à partir de septembre : « Ma journée a été très intéressante. J’ai rencontré des personnes très gentilles, à l’écoute et de bon conseil. » Malgré son BTS support à l’action managériale, elle n’a essuyé que des refus, déplorant qu’Amiens et sa proximité soit économiquement sinistrées, ce qui l’a incité à reprendre des études supérieures pour une 3e année. Et voilà un vétéran pour clore cet aperçu, avec Mohamed, 52 ans, en recherche d’emploi dans la relation client : « L’emploi, c’est pas si simple. Il y a toujours des préjugés. La loi incite mais n’oblige pas, les employeurs vont plutôt chercher des handicaps qui ne se voient pas. Nous, les déficients visuels, on est mis de côté, c’est mon expérience. » Espérons que les jeunes générations s’en sortiront mieux.
Laurent Lejard, mai 2024.