C’est une victoire sur la maladie de Parkinson qu’a remporté le 15 avril dernier Bertrand Delhom, marin expérimenté âgé de 61 ans, en terminant à bord du voilier Neptune Gagner avec Parkinson à la 6e place de l’Ocean Global Race, une course au large par étapes et en équipage. Si leur composition pouvait varier au gré des escales, Bertrand Delhom a effectué toute la compétition sur un bateau skippé par Tanneguy Raffray. Tous deux racontent leur épopée.
Tanneguy Raffray : Cette course est le cinquantenaire de la Whitbread, créée en 1973 par les Anglais. Elle a eu un énorme retentissement à l’époque, c’était plus une aventure qu’une course. Don MacIntyre l’a réorganisée pour fêter le cinquantenaire. 14 grands monocoques étaient engagés.
Bertrand Delhom : J’ai été diagnostiqué en 2021 de la maladie de Parkinson. Je voulais prouver aux nouveaux diagnostiqués qu’on pouvait vivre avec cette maladie et ne pas se refermer sur soi-même, renoncer à ses rêves. Ce rêve de tour du monde, je l’avais depuis l’adolescence, à 19 ans j’avais démarché Eric Tabarly qui m’avait répondu non. Là, je me suis dit « avec Parkinson tu vas essayer de faire quelque chose d’incroyable, un tour du monde à la voile. » J’ai contacté les 7 équipages Français et j’ai eu la réponse positive de Tanneguy, qui lui aussi voulait donner une dimension médicale et une cause humaine à son tour du monde.
Question : Quels ont été les hauts et les bas pendant cette course ?
Bertrand Delhom : Les hauts, c’est être en mer. Pour moi, elle est un médicament, elle me permet de vivre autrement et d’oublier un peu mes souffrances. Les bas, c’était la gestion de douleurs dorsales intenses, un torticolis spasmodique H24 en plus des douleurs inhérentes à Parkinson.
Question : A bord, quels postes avez-vous tenu ?
Bertrand Delhom : Un peu un mix. Un équipier a trois quarts de 4 heures d’activité à tenir, trois fois par jour. Moi j’étais à 2 fois par jour et pour l’autre quart je m’occupais de la cuisine et de la tenue du bord. A aucun moment je n’ai été considéré comme un sous-équipier qu’il faille préserver. Mais je ne voulais pas que l’équipage ait les yeux sur moi pour des questions de sécurité et je ne faisais pas certaines manoeuvres. Il est certain qu’avec Parkinson, aller à l’avant dans une mer démontée engageait ma sécurité et celle des équipiers.
Tanneguy Raffray : On a monté le projet ensemble. En 2021, j’ai assisté à la première conférence de presse sur la course, la Whitbread m’avait fascinée quand j’étais ado. J’ai commencé à chercher un bateau, le journaliste Daniel Gilles m’a orienté sur Neptune qui était à la Guadeloupe depuis de nombreuses années. Je l’ai ramené en Bretagne en avril 2022 pour une rénovation complète, et j’ai reçu un courriel de Bertrand exposant son projet et demandant s’il y avait de la place. Personnellement, je cherchais une cause humanitaire et médicale, puisque je suis médecin ophtalmologiste. J’ai rapidement adhéré à cette cause parce que cette maladie touche des proches, pour moi c’était un défi. Bertrand a amené au projet toute la dimension maladie et humaine ; au départ c’était un projet de coureur, et c’est devenu un vrai projet de partage.
Question : Vous participez à ce mouvement d’ouverture de la voile au long cours, mais faut-il encore convaincre ?
Bertrand Delhom : C’est un chemin où il faut réussir à convaincre, les médecins ont une grosse responsabilité avant de donner leur accord. Au début, je ne trouvais pas ça normal, mais en réfléchissant davantage à notre époque où il faut toujours trouver un responsable en cas de clash, là c’est le médecin. Il est encore assez difficile d’accéder à des épreuves de voile hauturière.
Question : Quels ont été vos meilleurs moments de navigation ?
Tanneguy Raffray : J’ai des bons souvenirs, déjà ce compagnonnage avec Bertrand est quelque chose d’exceptionnel, ça restera très fort, tout ce côté humain de l’équipage où on a veillé les uns sur les autres. Le moment le plus fort, c’est le premier coup de vent sur l’océan Indien parce qu’il est arrivé avec une brutalité que je n’attendais pas. Je n’ai pas eu vraiment peur, mais j’ai découvert quelque chose que je ne connaissais pas, une brutalité conjuguée du vent et de la mer. Les arrivées ont aussi été très fortes, au bout de 5 à 6 semaines de mer elles avaient un côté magique.
Bertrand Delhom : Le plus marquant restera le passage du Cap Horn, pour tout marin c’est un peu le point d’orgue d’une course autour du monde. Se rendre compte qu’on a 3 semaines de navigation sans voir une terre puis on aperçoit cette pointe d’Amérique du Sud. Ce qui est frappant c’est de voir l’immensité de la nature, les couleurs incroyables. On a eu la chance de virer le Cap Horn de jour et à 3 miles du cap, avec de bonnes conditions de mer. Et dans cette immensité naturelle il y avait la petite cahute du garde-côtes Chilien, un échange radio et les formalités administratives « vous venez d’où, vous êtes combien à bord, vous allez où, vous faites quoi. » On a beau être tout au bout de la terre, il y a toujours l’administration qui se rappelle à nous !
Laurent Lejard, mai 2024.