La situation est pour le moins paradoxale : la France vient de renouveler l’accord de placement de 4.500 personnes handicapées dans un pays qui n’est pas en mesure d’accueillir en établissements ses propres citoyens handicapés ! Le 21 décembre 2011, l’actuelle secrétaire d’État française aux personnes handicapées, Marie-Anne Montchamp, a renouvelé, avec son homologue du gouvernement de Wallonie, un accord conclu en 2009. Or, le 13 décembre, la Fédération Internationale des Ligues des Droits de l’Homme (FIDH) déposait une plainte auprès du Comité Européen des Droits Sociaux du Conseil de l’Europe, reprochant à l’État belge de laisser en déshérence des milliers de Belges handicapés dépendants, en violation de la Charte sociale européenne. Cette carence est dénoncée constamment par les associations depuis une dizaine d’années au moins, et une quinzaine d’organisations belges est à l’origine de cette plainte portée par la FIDH.
Comment s’explique cette situation en Wallonie ? Le mécanisme est simple : dans chaque établissement, la Région subventionne un nombre précis de places qui seront obligatoirement attribués à des Belges. Les places restantes sont à la disposition des Français et financées par la France. Il y a donc deux contingents de places dans les établissements, sans possibilité d’affecter un lit inoccupé à un ressortissant autre que celui du pays payeur. Fin 2009, le nombre de places manquantes à Bruxelles pour les personnes handicapées dépendantes était de 160, 700 en Wallonie picarde, frontalière de la France. En clair, la France a comblé sa pénurie en utilisant celle du voisin, tout en faisant de substantielles économies : le budget français de 60 millions d’euros couvrant l’accueil et l’hébergement de ses 4.500 exilés représente en effet un prix de journée de 36€ par personne. En France, ce prix de journée en internat varie de 200 à 500€ en Maison d’Accueil Spécialisé, et approche les 200€ en Institut Médico-Educatif ou en Institut Thérapeutique Educatif et Pédagogique. S’il est difficile d’établir le coût du rapatriement des exilés compte-tenu de la grande variété des tarifs accordés à chaque établissement, on peut néanmoins l’estimer à près de 500 millions d’euros par an.
En Belgique, l’exil de jeunes et adultes handicapés français est une bonne affaire bâtie en grande partie sur la carence chronique en établissements d’accueil en Région Nord-Pas-de-Calais. En conséquence, des organismes et particuliers wallons ont créé des établissements spécialisés pour ce public qui représente les deux-tiers des personnes handicapées exilées. La France, en finançant le séjour de ses ressortissants pour pallier sa carence, a alimenté ce qui est devenu un business. Des normes d’encadrement plus basses rendaient l’accueil rentable, contraignant d’ailleurs en 2010 les autorités wallonnes à fixer un minima de 0,6 Equivalent Temps-Plein par personne handicapée accueillie (contre 1 pour 1 en France). L’État français continuera à subventionner un contingent de personnes handicapées qui semble avoir cessé d’augmenter, signe probable de l’amélioration de l’accueil en établissements spécialisés en France. Mais si le nombre de création de places a progressé, il ne permet pas encore d’envisager le rapatriement des exilés.
Reste à savoir si cette situation sera également profitable à Marie-Anne Montchamp, candidate aux élections législatives française de juin 2012 au titre des Français de l’extérieur dans la circonscription du… Benelux.
Laurent Lejard, janvier 2012.