En cet été 2012 au climat automnal, le Conseil de Paris a failli complètement supprimer la gratuité des transports collectifs aux résidents handicapés ! Un projet de délibération préparé par l’exécutif parisien prévoyait en effet de faire payer la carte Emeraude, un titre de transport destiné aux personnes handicapées offrant la gratuité dans le métro, les bus, tramways, RER et trains de banlieue desservant Paris et les communes voisines. Avec l’objectif de récupérer 4,6 millions d’euros sur le dos des 140.000 usagers. Certes, la somme demandée restait faible, 20€ par an, mais elle venait s’ajouter aux nombreuses ponctions subies ces dernières années sur les remboursements et prises en charge de soins dont les personnes handicapées ou âgées ont besoin plus que d’autres. En somme, Paris optait pour une politique alla Nicolas Sarkozy en faisant payer les pauvres… mais sous François Hollande.
Au final, les bénéficiaires d’un minimum social seront exemptés de paiement, un amendement présenté par le groupe Communiste ayant été adopté en faveur des personnes ayant moins de 876€ de revenus mensuels. Handicapés ou âgés, les contribuables acquittant jusqu’à 2.028€ d’impôt sur le revenu paieront 40€ par an leur carte Emeraude à compter du 1er novembre 2012. Quant aux autres, ils seront soumis au régime commun. Nul doute qu’il y a certainement d’excellentes raisons financières et budgétaires pour justifier de faire payer les transports aux personnes à mobilité réduite, vu l’absence d’expression de leurs supposées associations de défense…
Pourtant, cette décision est paradoxale : instaurée en 1973, la gratuité pour les personnes handicapées des transports parisiens était de portée très limitée puisque métro, bus, RER et trains de banlieue étaient inaccessibles. La mise en accessibilité n’a débuté qu’en 1995, avec la 14e (et dernière) ligne de métro, ainsi que de la ligne 20 d’autobus. Si le réseau parisien des lignes de bus est considéré depuis deux ans par la RATP comme complètement accessible, la moitié seulement des lignes l’était il y a cinq ans encore. Utiliser le RER était une mission périlleuse; aujourd’hui, un trajet est à la fois compliqué, plus long et restreint, puisqu’il faut souvent emprunter des accès spécifiques dont le déverrouillage suppose qu’un employé soit disponible.
Mais surtout, les 13 lignes du métro parisien d’avant 1995 sont totalement inutilisables par les personnes en fauteuil roulant, et sans aucune perspective que cela change : la RATP a auto-décrété que la mise en accessibilité de ce réseau serait techniquement impossible et coûterait trop cher, sans toutefois fournir le diagnostic qui le prouve… Ni la ville de Paris, ni le Syndicat des Transports d’Ile-de-France, ni la RATP ne sont en mesure de présenter le document qui expose ligne par ligne et station par station les aménagements nécessaires et leur coût prévisible. Or, l’élaboration de ce document circonstancié est exigée par la loi du 11 février 2005, ce que vient de rappeler le Conseil d’État dans un arrêt du 22 juin 2012.
Avec la complicité passive des collectivités territoriales et des élus, la RATP, cet État dans l’État, s’est affranchie de la mise en accessibilité de son réseau de métro souterrain, qui demeure obligatoire même si aucune date-butoir ne lui est imposée conformément à l’article 45 de la loi du 11 février 2005 : « Les réseaux souterrains de transports ferroviaires et de transports guidés existants ne sont pas soumis au délai prévu au deuxième alinéa [février 2015], à condition d’élaborer un schéma directeur dans les conditions prévues au troisième alinéa et de mettre en place, dans un délai de trois ans [février 2011], des transports de substitution répondant aux conditions prévues à l’alinéa précédent. »
La RATP et le STIF, autorité organisatrice de transport, n’ont respecté aucune de ces dispositions, au risque de mettre en insécurité juridique l’ensemble du Schéma Directeur d’Accessibilité des Transports de la région Ile-de-France, qui pourrait être logiquement annulé en cas de recours d’un résident francilien handicapé, celui qui, désormais, devra payer pour emprunter des transports mal accessibles.
Laurent Lejard, août 2012.