A quelques jours des Chiens Guides Days (sic) organisés par la Fédération Française des Associations de Chiens guides d’aveugles (FFAC), il semblait intéressant de présenter une école qui prône l’excellence, celle de Paris. Un établissement au double visage, tout comme le dieu romain Janus. Installée depuis 1987 à l’orée du bois de Vincennes grâce au soutien de la ville de Paris et de son maire, Jacques Chirac, elle a connu plusieurs extensions, jusqu’à atteindre les limites de l’effort municipal et c’est à Buc, dans les Yvelines, qu’elle a transféré son élevage de 80 chiots, sans activité de vente à l’extérieur.

Inauguration du site de Paris par Jacques Chirac, Maire de Paris, M. et Mme Romero et le Dr Michel Klein

« 50% ne deviennent pas chiens guides, on a une exigence de qualité, on vise l’excellence », justifie la directrice, Honorine Moreno. Elle ne dispose donc annuellement que d’une quarantaine de jeunes labradors, golden retrievers et croisés caniche royal aptes au service. « L’élevage fait partie du réseau fédéral CESECAH et collabore avec l’école d’Angers, ajoute la directrice. On fait des échanges de semences. » Tout cela a assuré en 2023 la fourniture de 30 chiens alors qu’une trentaine d’autres étaient mis à la retraite après une dizaine d’années de service en moyenne. « On pratique une méthode d’éducation positive proche des éducateurs, par le jeu et la récompense, complète Honorine Moreno. Pas de coups, sinon le chien obéit toujours, alors qu’en cas de risque, il doit désobéir. »

« On vise l’excellence »

Particularité de l’école de Paris, elle attribue jusqu’à la moitié des chiens à des maîtres malvoyants, dont la vision est devenue tubulaire du fait d’une rétinite pigmentaire par exemple.

L'école de Paris à quelques mètres du rocher des singes du zoo du bois de Vincennes

Comment, avec 30 remises annuelles ces dernières années, peut-elle répondre aux renouvellements et aux premières demandes pour un public élargi ? « Il y a deux ans d’attente pour une première attribution, précise Honorine Moreno. Pour les chiens en activité, une visite à leurs 8 ans fixe l’âge de la retraite et prépare la succession éventuelle en intégrant la demande à la liste d’attente. La moitié des maîtres demande un renouvellement, certains sont lassés des refus d’accès dans des commerces ou restaurants. » Les renouvellements sont ainsi traités de la même manière que les premières demandes, avec un délai d’attente de 4 mois d’un nouveau chien guide créant ainsi une rupture dans l’autonomie du maître. Bien que la FFAC autorise maintenant l’attribution à des jeunes mineurs, l’école de Paris reste sur l’âge minimum de 18 ans assorti des prérequis qu’elle juge nécessaires. Et elle ne renouvelle le chien guide d’un maître atteignant 80 ans qu’après une étude renforcée de la demande. Pourtant, « Le critère de l’âge n’est pas dans nos règles », assure le directeur de la FFAC, Alexandre Cathelin.

Des boxes parfaitement propres mais peu de chiens dedans

Sur ses deux sites, l’école emploie une cinquantaine de salariés, ainsi que des bénévoles, avec un budget de 4 millions d’euros. Si la directrice situe le coût de l’élevage et de l’éducation d’un chien à 25.000€, dans la fourchette basse du chiffre habituellement communiqué par les écoles (certaines évoquent plutôt 30.000€) chaque chien parisien remis revient en fait 100.000€ plus cher puisque l’association consomme annuellement 4 millions d’euros pour 30 chiens remis. Et alors qu’elle emploie une demi-douzaine d’éducateurs et animaliers, à quelles tâches sont donc occupés une quarantaine de personnels ?

Le parcours d'obstacles

« On reçoit un financement de la Fédération, complète la directrice. Les dons et legs couvrent la moitié des 4 millions d’euros de budget, des partenariats, mécènes et clubs services nous financent également. L’école reste proche des personnes déficientes visuelles, fournit un soutien psychologique, une aide à la locomotion, une journée de formation annuelle, intervient lors d’un incident, assure le suivi pendant toute l’activité du chien, accompagne sur le long terme. On mène un important travail de sensibilisation en entreprise et dans les écoles. » Ces interventions sont rémunérées, par exemple avec la vente charitable par des élèves de divers produits au public.

Qu’en disent des éducateurs et des maîtres ?

Depuis quelques mois, une colère sourde s’élève à l’encontre de l’école de Paris. Des maîtres relatent des interventions brutales auprès d’eux, des personnels animaliers qui l’ont quittée décrivent des comportements violents contraires à « l’éducation positive » et une maltraitance des chiens en éducation. « Sous le couvert de la gratuité et de l’image, il se déroule dans cette école des actes plutôt inappropriés et abusifs à l’encontre des chiens et des maîtres, commente Joaquin Romero, fondateur et directeur de l’école jusqu’en 2012, puis président jusqu’en 2022 de l’association support. Je suis bouleversé d’entendre parler d’actes de maltraitance. Ces faits sont apparus depuis un an, avec le recrutement d’un cadre technique qui n’était pas le bienvenu. »

Joaquin Romero, lors de la remise de la Légion d’honneur le 12 octobre 2019 à la mairie de Saint Mandé

Joaquin Romero rappelle qu’à son époque l’école était la première en France, remettant annuellement 40 chiens : « On ne pouvait pas aller plus loin. Dans ce petit monde, on est obligé d’augmenter régulièrement le nombre de chiens guides pour faire face aux renouvellements et à la progression des demandes. Mêler les primo-demandeurs et les renouvellements dans la même liste d’attente est déontologiquement inacceptable, l’école doit être prête à fournir un nouveau chien en cas de besoin, sans rupture. » Si l’évolution récente de l’école le désole, il en prend sa part de responsabilité : « L’école avait été inaugurée pour 20 chiens, on s’est agrandis pour passer à 30, puis 40, puis on a créé un élevage à Buc avec l’objectif à partir de 2015 de livrer 80 chiens. A l’époque on avait 27 salariés et 2 millions d’euros de budget. Il s’est produit tous les aléas de la vie, et je n’ai pas réussi ma présidence qui a buté sur le nombre irresponsable de salariés recrutés. Dans le même temps, le nombre de chiens remis a baissé jusqu’à 30 par an. »

A gauche, une laisse lasso

Une ancienne éducatrice relate, dans un témoignage écrit, « des comportements de maltraitance à l’égard des chiens guides, qui sont d’ailleurs considérés comme des outils de travail pour servir l’humain, dont le bien-être importe peu, et on m’a d’ailleurs reproché dès le départ mon manque de fermeté par rapport à l’éducation stricte qui leur est imposée […] Les chiens n’avaient pas le droit de marcher sur l’herbe, d’aller voir d’autres congénères ou humains qu’ils rencontrent, ni de renifler ou de prendre des odeurs au sol, sachant que le besoin olfactif est un des besoins primaires des canidés. » Elle raconte également un incident qui l’a profondément marquée, quand un cadre technique lui a imposé de tirer fortement sur la laisse lasso : « J’ai eu beaucoup de mal à obéir, ajoute l’ex-éducatrice, car j’ai toujours été dans une éducation positive avec mes propres chiens et ceux dont je m’occupe à l’extérieur de chez moi; je suis également bénévole à la SPA depuis de nombreuses années. J’ai tenté d’encourager la chienne pour quelle me suive et pour la motiver à avancer, elle n’a pas été assez rapide aux yeux [du cadre technique] qui s’est emparé de la laisse lasso en traînant de force la chienne et en l’étranglant, il l’a pendue par le cou en l’air, à tel point que ses pattes se sont décollées du sol, et il l’a jetée dans le caniveau violemment en hurlant. » Avec comme conséquence la fin anticipée de la période d’essai pour cette éducatrice rétive à la brutalité. Le collier étrangleur est employé par l’école, bien qu’il soit déconseillé par la FFAC : « On est souvent interrogés sur le bien-être animal, on y insiste beaucoup », précise son directeur général.

Une autre éducatrice relate le coup asséné par le même cadre sur une chienne en éducation qui a eu le malheur de renifler une gamelle qui ne lui était pas destinée, elle est tombée sur le flanc, du fait de cette violence :

Un box, des jouets et laisses

« Il m’a dit que c’était comme ça qu’il fallait éduquer les chiens. » Elle dénonce également le comportement d’un autre éducateur, toujours en poste, qui mettait « des pichenettes sur la tête du chien » ou faisait l’hélicoptère avec lui. « Un autre de mes chiens en éducation est sorti de sa place pour aller renifler. Pour le punir, il l’a brutalement poussé en criant Ça c’est non ! Le chien a fait un roulé-boulé et s’est heurté à une caisse en plastique en couinant de douleur. Il s’est ensuite mis à frôler les murs, tête baissée lorsqu’il croisait ce collègue. Ce dernier a dit que maintenant le chien avait peur de lui et qu’il fallait forcer le contact en le caressant pour lui montrer qu’il n’avait rien à craindre. » Une méthode d’éducation à la schlague à l’opposé de l’éducation positive invoquée par la directrice de l’école. « Pour leur apprendre à ne pas faire tomber leur futur maître déficient visuel quand ils courent trop proches des personnes, ajoute l’ex-animalière, les éducateurs leur mettaient des coups de laisse en cuir auxquelles sont aussi accrochés des mousquetons en métal. »

L'un des chiens en éducation

Des maîtres reprochent également le traitement autoritaire et à charge d’incidents mineurs, pouvant être réglés par une simple discussion mais érigés en conflits. C’est ainsi qu’après une dénonciation, la détente dans un vaste parc public du chien guide d’un maître octogénaire, qui perd également l’audition, s’est traduite par une décision unilatérale de retrait de l’animal fin mai dernier parce que l’incident pouvait nuire à l’image de l’école. « Mon mari n’a pu se défendre, explique son épouse elle-même aveugle et qui a son propre chien guide. On a pris une avocate et la directrice a fini par accorder un délai jusqu’au 25 juin, reporté au 4 septembre, sans nouvelles depuis. »

Une maîtresse de chien guide a demandé un renouvellement courant 2022, et début 2023, « il lui a été signifié qu’elle devrait attendre au moins six mois après la mise en retraite de son chien actuel avant qu’un chien guide ne lui soit remis [au] prétexte que l’école souhaitait répondre à des premières demandes. » Pour éviter rupture de vie et perte d’autonomie dans ses déplacements, cette personne s’est adressée à une autre école qui lui a attribué un chien évitant ces désagréments. Pour une autre dame, c’est l’école qui a décidé de mettre son chien à la retraite, « sommée de se présenter à l’école avec son chien, avec un mois de nourriture et toutes ses affaires (laisse, collier, jouets, etc.). » On ne lui a pas laissé le temps de faire ses adieux à son compagnon, et la promesse de lui permettre de lui rendre visite chez les personnes qui l’ont accueilli n’a pas été respectée. La dame a attendu plusieurs mois qu’un autre chien guide lui soit proposé, puis a effectué un stage de remise pendant lequel elle a commis une maladresse. Le chien lui a été brutalement retiré dès le lendemain, et elle chassée de l’école au motif qu’elle aurait maltraité la chienne et qu’elle n’est pas digne d’avoir un chien guide de l’école de Paris !

Le Mémorial des chiens

Contrairement à ce qu’elle affirme, l’école a refusé de fournir un cinquième chien guide à un autre octogénaire, après le décès foudroyant du quatrième. « Il m’a été répondu que l’on ne me remettrait pas un autre chien, prétextant que j’avais plus de 80 ans, sans demander à me rencontrer pour évaluer mes capacités physiques, refus confirmé a plusieurs reprises malgré mon insistance. » Des trois autres écoles sollicitées, lui donnant toutes une réponse favorable après examen de son dossier et rencontres, l’une lui a remis un chien il y a quelques semaines. Un autre homme, en activité professionnelle, devait bénéficier d’un renouvellement, son guide actuel devant partir en retraite en fin d’année. Or, pour réduire ses temps de trajet, ce maître emploie depuis plusieurs mois le service de transport spécialisé PAM, et beaucoup moins les transports collectifs, ce que l’école n’a pas apprécié au point de rejeter sa demande d’un nouveau chien guide. Mais en quoi le fait d’utiliser ou pas les transports collectifs nuit-il à l’image de l’école des chiens guides de Paris ? La FFAC a connaissance de ces errements, plusieurs des maîtres cités dans cet article ayant rencontré son directeur général : « J’ai conscience des difficultés de l’école de Paris, en pleine restructuration et connaissant des difficultés. On les accompagne sur la gouvernance, on est sur l’amélioration des choses. » Mais cela n’exonère pas l’école de Paris de ses errements, estime Joaquin Romero : « C’est un déni de la réalité et un mépris des personnes. »

Laurent Lejard, septembre 2024.

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