Ça y est, ça me reprend ! Comme une envie de liberté, d’autonomie et de mouvement. Il faut croire que, décidément, la notion de mobilité se supporte difficilement avec le qualificatif de « réduite » ! En mûrissant, mon besoin de confort augmente alors j’ai décidé de créer une mini caravane adaptée. La fantaisie et l’esprit biker nez au vent ne m’ont toujours pas quittés… Le « tracteur » sera, cette fois ci, un mini buggy Secma 340cm³. Ce petit engin très fiable pourvu d’un couple extraordinaire me semblait le plus adéquat pour ce projet. Il allie le plaisir de conduite d’une moto (grâce au guidon) à la stabilité d’un buggy de poche (par ses quatre roues). Moteur 4 temps refroidi par air pulsé, un appétit modeste, soit environ cinq litres aux cent km, une vitesse de croisière peu élevée mais suffisante (50/60km/h). Les 14CV, le système de variateur (comme les mobylettes) et la légèreté de l’engin permettent d’aborder n’importe quel côte sans faiblir. Le transfert est aisé et le rangement du fauteuil possible, avec un peu de contorsions et quelques aménagements…

Mini-caravane version 2 ?

Je l’avais déjà utilisé lors d’un autre voyage pour tracter ma précédente mini-caravane, le Sarcovan. L’attelage était fonctionnel mais le confort pour le moins spartiate, une version que je qualifierai de minimaliste ! Mon lit de camp à roulettes m’a bien dépanné et il est aujourd’hui encore en état de reprendre la route à tout moment tellement sa conception est simple et durable. La bâche ne souffre pas du fait de son exposition aux UV. Le point sensible était alors ce qui fut son atout : sa légèreté. Passé 40kmh, l’attelage avait tendance à sautiller au moindre relief, et la fragilité de l’attache m’a valu de larguer mon chariot de cow-boy à l’entrée d’un camping lors d’une arrivée… remarquée ! Souhaitant reprendre la route dans des conditions plus confortables, j’ai commencé par chercher des références en matière de mini-caravanes avant d’en faire la synthèse.

Bon, c’est sur, les idées originales ne manquent pas… Par affinités je jetai mon dévolu sur un hybride entre le modèle Teardrop apprécié par les bikers américains et la caravane Ailette conçue pour la 2CV. Le cahier des charges s’est constitué sur des critères de poids, d’encombrement, de fonctionnalités, de coût, de faisabilité, voire de… légalité. L’engin devait peser autour de 100kg en état de fonctionnement, ne pas dépasser le buggy en largeur, soit 1,20m environ. La fonction de base étant, au minimum, d’y dormir à l’abri en toutes circonstances et au mieux, d’y séjourner si nécessaire, donc d’y cuisiner et de bénéficier d’un minimum d’hygiène. Je posai donc les bases de la construction de façon rigoureuse afin de canaliser un peu les « barjotteries »…

À force de poser des idées sur le papier et sur l’ordinateur, il s’avérait important de commencer à trouver qui ferait quoi ! Je suis bricoleur certes, mais je n’aurai surement pas réponse à tout. Pour le châssis de base, j’ai opté pour un porte-moto, du coup j’aurai une remorque légère homologuée dont la charge n’excèdera pas 400 kg. Au vu du poids du véhicule tracteur, je devais viser en dessous de 220 kg sachant que 100kg serait un must. J’ai trouvé un modèle de 1,20m de large, 50 kg, neuf et pas cher chez un fabricant français, livré en kit à la maison. Hop, première étape, montage du châssis ! Puis premiers essais en charge pour voir les limites du tracteur et de l’attelage : deux-trois sacs de chaux sur la remorque, aucun problème, ça monte la côte sans broncher et ça ne bouge pas en ligne droite. Du coup, j’emmène ma copine en plus, pour voir : idem. Et allons-y dans l’exagération : mon pote grimpe sur les sacs de chaux et nous voilà repartis pour la côte à 7 % qui démarre de la maison et une charge totale de 390kg et un PTR de plus de 600kg ! Ça grimpe toujours. Sur le plat, le moteur prend doucement des tours, par contre, je vois bien que les quatre pauvres petits freins à tambours de 100mm actionnés par un levier poussoir ne suffisent pas à arrêter l’ensemble avec efficacité. Les essais de manoeuvre montrent que la nervosité du buggy est à utiliser avec beaucoup de doigté, surtout en marche arrière, on a vite fait de se mettre en « portefeuille »…

Fabrication.

Il était temps de passer au choix des matériaux qui allaient constituer l’habitacle. L’isolation était un critère important, ainsi que la faisabilité. A priori, le bois devançait les matériaux de synthèse et le métal. Le nombre de pièces à réaliser et l’anticipation des coûts des matériaux, de leur traitement de préparation et de finition ainsi que leur fragilité relative et l’entretien à venir, m’en ont dissuadé. Les résines, plastiques et composites, me semblaient impraticables et difficiles à mettre en oeuvre pour un résultat que j’imaginais assez moyen d’aspect. De plus il fallait créer une ossature fiable. Restait donc le métal avec deux options : acier et tôle ou aluminium et tôle. J’ai commencé à chercher, dans la région, qui pourrait réaliser tout ou partie d’une structure en tube carré que j’aurais habillée par la suite. Je me suis rendu chez un chaudronnier de Carmaux, spécialisé dans les trucs impossibles. Au vu de mes croquis et de mes plans, il m’a demandé pourquoi je ne faisais pas tout en alu : Euh, à cause du prix peut-être ? Son argument était imparable : l’alu c’est plus cher, mais beaucoup plus léger, alors c’est pas loin d’être équivalent à l’acier sauf qu’il n’y a pas de traitement à prévoir ensuite. Bon, et en plus il était d’accord pour réaliser l’ossature et son habillage. Banco !

Petit à petit, le « Spoutnik » prend forme et un beau jour le voici prêt à quitter l’atelier pour les premiers essais et l’isolation, pendant que l’atelier de Carmaux réalisera le coffre placé un peu plus tard. Je ne peux pas dire que je passe inaperçu avec un tel engin. J’ai encore quelques jours de préparation et finitions, mais je suis porté par une euphorie infantile qui me ravit : j’ai un super jouet pas banal ! Mon pote Jo me donnera un sérieux coup de main pour la pose de l’isolant des habillages et du plancher. A deux c’est tellement mieux…

Il est temps de prendre la route !

J’avais initialement prévu un périple d’une quinzaine de jours qui m’amènerait du Tarn en Haute Garonne puis Ariège, Pyrénées Orientales, puis retour par la côte, Aude, Corbières, et remontée vers le nord du Tarn par la montagne noire. Le temps à passé si vite que j’ai dû modifier mon itinéraire, mon objectif étant en fait de retourner dans les centres de rééducation ou j’avais séjourné et d’y improviser un échange tant avec les résidents qu’avec les soignants et les directions. Un acte un peu évènementiel et insolite dans la spontanéité. J’avais envie de partager mon enthousiasme et de montrer qu’avec un peu de désir, de simplicité et d’énergie, on peut se faire plaisir à peu de frais, enclencher les rêves pour que la réalité s’infléchisse dans leur sens…

Un petit arrêt avec un point de vue à 360° au bord d’un étang, puis j’appelle un copain artiste peintre, pilier des Folies Bergères. C’est ça qui est bien avec les vieux anars : leur porte est ouverte comme leur coeur. Allons y ! Ben non, on n’ y va pas : première panne, le buggy refuse de démarrer ! Je choppe mon fauteuil et contourne la bête dont le moteur est à l’arrière. Avant de tout déglinguer, je m’autorise un moment de réflexion : pourquoi ça ne démarre pas ? La batterie fonctionne, la clef tourne, le démarreur ne tourne pas et le témoin de charge baisse. Y’a un truc qui doit résister… Bingo : en tripotant la couronne du démarreur, je réussis à le décoincer. Un coup de clef et c’est reparti, direction l’apéro, la soirée de palabres et la première nuit sous les étoiles !

On a refait un peu le monde, mais en mieux, puis je suis parti me coucher simplement car si la caravane reste attelée, il n’y a rien d’autre à faire que d’ouvrir la porte et se transférer pour s’y installer. Peinard, heureux de ce bon moment partagé et fatigué de cette première journée de route, j’entamais ma première nuit de voyageur…

Montlaur, Camares : la canicule de cette mi-août commence à sévir. Fuyant l’aridité magnifique du plateau, je redescends vers les gorges du Rance par Combret. L’auberge en face de l’église m’offre l’ombre d’un tilleul pour me restaurer après mes ablutions à la fontaine de la placette. Salade aveyronnaise fraiche du jardin, lardons maison, noix et une bonne Leffe ! Sourire des serveuses, sourires de tout le monde… Repu, je me dirige vers Saint-Sernin-sur-Rance puis le Camping de Plaisance (nom évocateur !) ou des copains et ma douce m’attendent pour une « pistou partie ». Concours de pétanque pour les uns, palabres pour les autres et surtout baignade ! La soirée pistou sera agrémentée d’une lecture de textes de Bobby Lapointe dite par un copain théâtreux de Pezenas à l’accent lubrifié à l’huile d’olive. Tout cela se terminera tard dans la nuit, sur de belles impros de blues à la guitare et l’harmonica…

Je dois tout de même songer à la suite de mon périple. Carte en main, je planifie de remonter toute la vallée du Rance pour rejoindre le Caroux via Murat-sur-Vèbre. Et là, je déciderai si je campe sur les hauteurs ou si je pousse jusqu’à Lamalou-les-Bains… Réveillé tôt pour profiter de la fraicheur, je pars direction Belmont-sur-Rance en m’efforçant de suivre les routes les plus petites et les moins fréquentées. De là, je vais tirer sur Mounes, Peux, Barre, Moulin Mage, Murat-sur-Vèbre à la limite du Tarn et de Hérault. Je ferais le point comme prévu à Castanet-le-Haut, le balcon entre les Monts de Lacaune et la plongée sur le massif de l’Espinouse.

Tout le long de la route, j’ai croisé des gens qui m’encourageaient d’un sourire, d’un signe de la main, voire même jusqu’à une standing ovation à la terrasse d’un café ! Ça motive et fait oublier les douleurs lombaires et de l’assise malgré un coussin silicone et un dossier ergonomique récupéré sur un très bon fauteuil roulant…

La limite des climats océanique et méditerranéen se fait fortement ressentir. On passe de la canicule à la fournaise ! La chaleur du début d’après-midi est tellement oppressante que je dois passer en mode « refroidissement à eau » c’est à dire, gant mouillé sur le front, T-shirt humidifié et sieste à l’ombre. Deux heures plus tard, je m’engageais dans les 17km de descente au dénivelé vertigineux vers Lamalou-les-Bains. Cette descente, un peu scabreuse, est un régal pour les yeux car on parcourt le Caroux en voyant au loin les avant-monts des Corbières et la vallée de l’Orb. Je jubilais à l’idée d’arriver en cette fin d’après midi dans le lieu où j’avais réellement débuté mon parcours de « handicapé ». Là où j’avais découvert l’aspect définitif de cette situation, où j’avais partagé espoirs et deuils, souffrances et ivresses. Immersion dans l’humanité profonde et blessée des grands traumatisés… Une ville au rythme suranné, enclave thérapeutique dans un écrin de nature riche et variée. Je connais particulièrement bien cette région, car j’y ai beaucoup randonné quand j’étais sur mes jambes.

La preuve par l’exemple.

Entre souvenirs et fantasmes, j’imaginais faire le buzz en arrivant en ville, créer l’évènement spontanément, et improviser. Mentalement, je m’étais préparé à une totale disponibilité pour la suite. Je comptais offrir mon enthousiasme et mon expérience de 20 ans de handicap moteur et d’une reconstruction permanente nourrie de désirs simples. Montrer des possibilités d’actions constructives basées sur le plaisir et une volonté de surpasser le handicap par des actes adaptés. Un quotidien dans lequel on se propose à soi-même mille façons de résoudre ce qui ne pourrait être que des problèmes et devenant ainsi des difficultés à surmonter seul ou accompagné. Ouvrir le champ des possibles. Il était temps pour moi de rendre un peu de ce que j’avais reçu. Une certaine maturité me donnait l’envie, à présent, d’accompagner mes compagnons d’infortune, leur montrer que des solutions, faute d’être toujours possibles, sont au moins envisageables. Que l’important, c’est le cheminement, car c’est lui qui remplit chaque instant du quotidien…

Tout cela tournait dans ma tête quand j’entrai à Lamalou. Comme partout, je croisai des regards interloqués, des sourires mais aucune accroche, juste une curiosité, sans plus… En montant au centre ou j’avais séjourné, je trouvai le parking clos et me garai donc en bloquant un peu l’entrée, espérant que des patients ou du personnel viendraient à ma rencontre. Rien ! Quelques voitures m’obligèrent même à bouger pour libérer l’accès. Je fis plusieurs fois le tour de la ville pour me poster à nouveau en attente de contact; je trainai vers l’entrée des Thermes, je tournai autour du Centre des grands brûlés où j’avais eu de nombreux amis avec lesquels j’eus de fortes et riches expériences : rien non plus de ce côté-là ! Je retournai donc une dernière fois en centre-ville pour boire une bière… En me garant, la première personne qui m’adressa la parole le fit pour me mettre en garde contre un risque d’amende et que je ferais mieux de partir ! Je roulais depuis plusieurs jours, j’avais pris des risques de pilotage et lui me disait de bouger !

A la terrasse d’un café, un couple et leur fils en fauteuil roulant. Il semblait bien atteint, mais malgré tout fort intéressé par mon attelage et mon transfert. Je m’approchai d’eux. Le père au look de rocker m’expliqua que ce jeune s’était planté en voiture et qu’une bonne partie de son cerveau avait été détruite. Un pur gâchis qui s’était abattu sur des gens simples. Mon expérience les captiva au point qu’ils me conseillèrent d’en faire un livre pour motiver les personnes dans la souffrance. Leur fils n’en perdait pas une miette et, malgré les maux qui l’affligeaient, je percevais son attention soutenue par un regard allumé de plaisir. Il n’avait plus le langage et la maman était réservée. Je voyais bien que mon côté un peu intrépide ne la rassurait pas vraiment et ravivait des peurs. Le père enthousiaste se régalait de mes conseils et de mes histoires. Au moment de partir, je donnai une tape amicale sur l’épaule du jeune en lui lançant un « salut mec, fais-toi plaisir ! » Il se mit à dodeliner et à se concentrer intensément et au prix d’un effort immense, il articula une sorte de « salut » qui nous laissa tous interloqués, puis il voulut m’embrasser. Rien que pour ce moment magique mon voyage était largement justifié !

Un retour en forme de bilan.

Même si je n’avais pas suscité l’intérêt que j’attendais, ce n’était pas grave. J’attribuais cette distance au fait qu’il faisait extrêmement chaud et que les personnes se tenaient au frais et n’étaient guère enclines à la palabre. Tant pis, une autre fois peut-être, en préparant ma visite avec les responsables des centres de rééducation par exemple. Il me fallait trouver un endroit pour me poser le soir et dormir, je partis donc pour le camping de Tarassac, au pied des gorges d’Héric, qui n’est absolument pas adapté aux fauteuils roulants, comme souvent en France.

La canicule me força à abréger mon périple : j’avais planifié d’aller ensuite à Cerbère, prés de la frontière espagnole, mais ce côté était tout bonnement intenable. Alors je pris de l’altitude en remontant vers La Salvetat et la Montagne noire par la route des lacs. A 1.000m d’altitude, je retrouverais surement un peu de fraicheur dans les sous-bois ! Ma route passa donc par Angles, Mazamet, Aiguefonde, Font Bruno ou je m’arrêtai pour une nuit de fraicheur. Les routes forestières défoncées par les rigueurs du climat et les nombreux convois forestiers me menèrent au lac de la Galaube, près de Saissac, dans l’Aude, puis au bassin du Lampy, Arfons, Sorrèze. La plaine du Lauragais venait d’être enfin balayée par un peu de pluie qui finissait d’apaiser les températures un peu extrêmes que nous venions tous de subir. Un dernier arrêt prés de Puylaurens avant le retour au bercail. La dernière étape passera par Saint-Paul-Cap-de-Joux, Puycalvel, Lautrec, Villefranche-d’Albigeois, Ambialet, Valence-d’Albigeois et enfin, la maison. Plus de 700km en deux semaines, des étapes de 90km en moyenne, pour un galop d’essai que je qualifierai de globalement réussi !

En guise de bilan matériel, je peux dire que cette mini caravane a été au-delà de mes attentes mais qu’il restera à aménager des rangements intérieurs, prévoir un système pour maintenir la porte avec divers degrés d’ouverture et lui installer des feux arrière plus jolis que des cabochons d’Ami8 chinés sur un vide-grenier… Le buggy est extrêmement satisfaisant côté moteur, mais largement insuffisant côté freinage, ce qui m’amène à chercher un autre type de « tracteur ». L’idéal serait un SSV (side by side vehicle), sorte de gros quad homologué muni d’une banquette deux places côte à côte et d’une transmission automatique. C’est idéal mais hors de prix (12.000€ minimum). L’autre piste que j’ai commencé à mettre en oeuvre, ce serait une 2CV avec un embrayage centrifuge et un débrayage assisté par électropneumatique + commandes au volant. Ce véhicule pittoresque se mariera très bien avec la mini caravane qui en est inspirée par la forme et par l’esprit. Ce système d’embrayage assisté a équipé des 2CV, des Dyane, des Ami6 et 8 et peut-être des Méharis. Pour le plaisir et la sensation de plein air, cette dernière serait idéale, mais raisonnablement une 2CV sera plus facile à trouver à petit prix : si vous avez des pistes, et surtout en ce qui concerne la fabrication de l’embrayage pneumatique, n’hésitez pas à m’en faire part !

Ce voyage m’aura surtout donné envie de continuer ce genre d’aventure et de partager ces expériences avec d’autres personnes handicapées, leurs proches, leurs aidants et leurs soignants. Les institutionnels auront peut-être aussi à y apprendre… En attendant je continue ma route et je prévois déjà, aux beaux jours, un périple au long cours en lien avec la visite de centres de rééducation en France, voire en Europe selon mes disponibilités. A suivre !

Thierry Goix, novembre 2012.

Merci à tous ceux qui m’aident, m’encouragent et me soutiennent, et pour le coup un remerciement tout spécial à Eric Caihol et à son équipe pour la réalisation de la mini caravane en aluminium.

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