C’est en 1989 que des personnes handicapées et valides de bonne volonté, mues par un idéal sportif partagé, ont décidé de créer la Fédération Mauritanienne de Handisport (FEMHANDIS) sous la houlette de Mohamed Abdellahi Fall, économiste handicapé moteur passionné de sport. Les débuts ont été très laborieux, tant les préjugés sont tenaces dans un pays où la personne handicapée est généralement perçue comme incapable. Pour autant, les initiateurs ne se laissèrent pas gagner par le pessimisme : ils étaient motivés par l’affirmation universelle que la pratique sportive est un droit reconnu à tous les membres de la communauté humaine sans distinction aucune.
Le pari était titanesque mais la volonté et la détermination étaient aussi de la partie. On commença avec les moyens du bord, plus précisément des fauteuils roulants classiques, souvent rafistolés, pour mettre en place une équipe de handibasket. La rage de montrer que les personnes handicapées ont de la valeur a fait le reste. Les nouveaux handibasketteurs avaient à l’esprit cette maxime : « le sport, en plus de ses vertus classiques, constitue pour eux un autre moyen de rééducation fonctionnelle et un facteur d’accélération du processus d’intégration sociale ». Ils entendaient profiter de l’aubaine pour échapper à la mendicité ou à la délinquance. Si l’exploit sportif a été relevé avec brio, reste que l’intégration sociale tant attendue n’a pas suivi. C’est pour eux une profonde désillusion : ils ont honoré leur pays mais n’ont pas obtenu la reconnaissance qu’ils méritaient.
Au départ, le handisport était uniquement pratiqué par les personnes handicapées motrices. Aujourd’hui, la tendance commence à s’inverser. La pratique sportive s’est généralisée à toutes les catégories de personnes handicapées: motrices, visuelles, auditives et déficientes intellectuelles. Les disciplines se sont aussi élargies. En plus du traditionnel handibasket, s’ajoutent le tennis de table, l’athlétisme, l’haltérophilie, le football, le cyclisme, le karaté/judo, le torball, la pétanque… Quatre Ligues régionales handisport sont en activité : Brakna et Trarza, au sud, Dakhlet-Nouadhibou, au Nord, et Nouakchott, la capitale. Il reste huit régions du pays à pourvoir en Ligues. Un projet de réforme initié par le Comité National Paralympique de Mauritanie (CNPM) prévoit l’introduction de Ligues nationales sportives spécifiques aux différentes catégories de personnes handicapées.
Un palmarès éloquent.
Sur le plan des compétitions internationales, les sportifs handicapés sont les plus titrés en Mauritanie. Leur premier exploit, ils l’ont obtenu en Algérie en 1989 (année de la naissance de la Fédération), lors d’un tournoi international de handibasket, en enlevant la coupe du fair-play. Au Caire (Egypte) en 1991, lors des premiers Jeux africains de sports pour personnes handicapées, la Mauritanie gagne une médaille d’argent en pétanque. Aux premiers Jeux de l’avenir des personnes handicapées (JAPHAF), en 1994 à Ouagadougou (Burkina Faso), la Mauritanie s’adjuge, en athlétisme, une médaille d’or en course sur le 3.000 m handbike, et deux médailles de bronze dans le 100 et le 200m fauteuil roulant. Au championnat maghrébin de handibasket, en 1995 à Casablanca (Maroc), l’équipe nationale s’est adjugée la médaille de bronze. En 1997 à Bamako (Mali), la Mauritanie a engrangé trois médailles d’or aux premiers Jeux de l’Afrique de l’Ouest, en triomphant en handibasket, 1.500 m handbike et 100 m fauteuil. La même année, deux médailles d’or sont gagnées en athlétisme, aux JAPHAF à Dakar (Sénégal). Lors du tournoi de handibasket de la zone II International Paralympic Comittee/Afrique en 2000 à Nouakchott (Mauritanie), l’équipe mauritanienne a remporté la coupe et la médaille d’or. Aux 4e JAPHAF, toujours en 2000 mais à Abidjan (Côte d’Ivoire), la Mauritanie a remporté deux médailles d’or, l’une en athlétisme (1.500 m), et l’autre en handibasket. En 2002, au tournoi sous-régional de handibasket à Dakar (Sénégal), la deuxième place a été obtenue. Toujours dans ce pays, en 2003, une médaille de bronze est gagnée en handibasket, lors des 5e JAPHAF. En 2005, la Mauritanie a obtenu la coupe et la médaille d’or du tournoi de handibasket de la zone II de l’APC (Comité Paralympique Africain). En 2007, l’équipe de handibasket s’est vue décerner la médaille d’or aux 6e JAPHAF, à Nouakchott. A cela s’ajoute la victoire aux Jeux organisés à l’intention des déficients mentaux par Special Olympics, en 1999, en Caroline du Nord (USA), de Mohamed Ould Cheikh, athlète déficient mental, sur 100 m, en s’adjugeant une médaille d’or.
Le Comité National Paralympique de Mauritanie est aussi la seule fédération nationale à avoir, à ce jour, été distinguée comme « Personnalité de l’année » en Mauritanie, au titre de la catégorie sports. En dépit de ce palmarès, les récompenses n’ont pas été à la hauteur de celles généralement prévues pour les fédérations sportives. Un déni de droit d’autant plus mal ressenti que les handisportifs sont, dans leur immense majorité, sans emploi et extrêmement pauvres, ce qui devrait inciter les autorités à leur témoigner la reconnaissance de la Nation. Car le fait de les laisser dans leurs conditions de misère constitue une menace sérieuse pour la survie du handisport dans le pays si des mesures d’insertion sociale ne sont pas prises en leur faveur. A voir ces internationaux mendier dans les rues de Nouakchott, on ne peut qu’être pris de nausée. Ceux qui les croisent dans ces rues restent souvent médusés en les observant tendre la main pour quémander des piécettes…
Non reconnaissance.
Le phénomène de non-reconnaissance à leur juste valeur des mérites des handisportifs a pour corollaire le découragement massif des filles qui s’étaient pourtant investies dans cette pratique sportive. Fait exceptionnel, elles ne subissaient aucune contrainte vestimentaire liée aux considérations religieuses. L’une d’elles, Ezza Mint Mohamed Lemine, s’était, avant sa retraite sportive, particulièrement distinguée à l’international, tant en handibasket qu’en athlétisme. Illustration de la présence remarquée des handisportives, elles ont participé à la 1ere édition du Marathon International de Nouakchott, en avril 2012, en présence du Président de la République : sur 5 km en fauteuil roulant, Fatimata Amadou M’Bodj a réalisé le parcours en 29mn 03s, obtenant le seul prix dévolu à cette catégorie, devant Tacko Saïdou Sall qui a réalisé un chrono de 33mn 15s.
Chez les hommes, Abdoulaye Sy, athlète-handibasketteur, est quadruple médaille d’or. Malgré ses exploits, il n’a pas bénéficié des égards qu’on lui devait. Il s’est finalement reconverti comme soudeur, en banlieue de la capitale. Pour Ibrahima Sy, athlète-handibasketteur, reconverti en tapissier, l’aventure glorieuse de handisportif s’est terminée avec un goût amer : « Nous n’avons pas obtenu la reconnaissance que nous sommes en droit d’attendre de la Nation. Moi, pour mon insertion, j’ai dû me débrouiller tout seul, sans le moindre appui, pour ouvrir un atelier. Je vis maintenant des revenus de mon travail de tapissier. Aujourd’hui, les jeunes handicapés sont désabusés, c’est pourquoi, ils ne veulent pas suivre la même voie que nous. Car le handisport n’assure pas de perspectives d’avenir aux personnes handicapées. »
« Malgré leur palmarès élogieux, complète Mohamed Abdoulaye Hamoid, capitaine de l’équipe nationale de handibasket, les athlètes handicapés restent confrontés à beaucoup de difficultés, notamment le chômage. Ils ne bénéficient pas de programmes d’insertion dans la vie active. Pire, aucune société ou infrastructure n’accepte de les embaucher. Avec l’âge avancé et les charges familiales, certains ne résistent pas à la mendicité tant leur pauvreté est extrême. »
De nombreuses difficultés.
La plupart des infrastructures sportives construites dans le pays pour accueillir les compétitions sont rarement adaptées à l’accessibilité des personnes handicapées. Devant cette situation, le CNPM a pu obtenir auprès de l’Etat un terrain pour l’édification d’un Centre Sportif Multifonctionnel et d’Accueil Adapté. Mais le financement requis pour sa construction n’est toujours pas acquis. La faiblesse des ressources financières du CNPM caractérisée par la rareté de sponsors est aujourd’hui un frein à l’évolution du handisport en Mauritanie. L’appui de l’Etat, bien qu’exprimé, demeure instable en plus d’être insuffisant pour couvrir les besoins. « Le problème du handisport est l’absence d’infrastructures adaptées et accessibles pour les handisportifs, le manque de fauteuils adaptés au handisport, commente Hamidou Pam, entraîneur de l’équipe nationale de handibasket. Ceux qui sont disponibles actuellement sont désuets et ne répondent pas aux normes standard. Même les maillots font défaut ! En athlétisme, il n’y pas d’équipements pour les entraînements. »
Le CNPM fait face à de très nombreuses difficultés, comme le manque de personnels d’encadrement faisant que le nombre de techniciens compétents est très limité, et ces derniers, bénévoles, assurent souvent des rôles polyvalents sans en maîtriser toutes les ficelles. Il ne dispose que d’équipements et de matériels sportifs archaïques ne suivant pas les avancées technologiques et ne répondant pas aux normes exigées en matière de handisport. Les équipements et matériels les mieux adaptés sont introuvables sur le marché local, tandis que les sportifs handicapés, généralement pauvres, ne peuvent pas s’offrir le luxe de s’en équiper à partir de l’extérieur.
Actuellement, le CNPM fait face à l’incertitude sur sa participation aux Jeux de Londres. Bien qu’il ait envoyé une lettre d’intention au Comité d’organisation des Jeux Paralympiques, il lui reste à obtenir le feu vert du Ministère de tutelle, seul capable de lui procurer les moyens nécessaires. Ce qui n’est pas le cas pour le moment, malgré la proximité du lancement des Jeux. Il se pourrait, cependant, que l’IPC prenne en charge la participation de deux athlètes handicapés mauritaniens aux prochains JO de Londres. Devant toutes ces difficultés, le CNPM compte sur les bonnes volontés tant à l’intérieur qu’à l’extérieur pour concrétiser son ambition d’arriver à la pleine intégration des personnes handicapées par le biais de la pratique sportive. Et faire de ces dernières des femmes et hommes jouissant de la pleine égalité des chances avec les autres membres de la société.
Mamadou Alassane Thiam, juin 2012.
Trois questions à Mohamed Abdallahi Fall, Président du Comité National Paralympique de Mauritanie.
Question : Vous étiez l’un des fondateurs, en 1989, de la FEMHANDIS qui, en ce temps, a connu des heures de gloire à travers les exploits réalisés par les handisportifs. En 2011, vous avez repris la présidence du Comité National Paralympique de Mauritanie. Pouvez-vous nous décrire la situation à votre arrivée?
Mohamed Abdallahi Fall : Au plan national, la situation dont avons hérité au départ de l’ancien président démissionnaire peut être ainsi résumée: un environnement sportif difficile marqué par des changements fréquents de ministre des Sports, et de fréquentes remises en cause des différentes stratégies et programmes, la réduction de la subvention du Ministère des Sports qui est passée de 2.500.000 Ouguiyas [6.730€] à 600.000 Ouguiyas [1.615€] en 2010, l’absentéisme de la plupart des membres du Bureau exécutif, le peu d’enthousiasme des techniciens envoyés à l’étranger par la fédération pour une formation, un recyclage ou une spécialité à servir cette fédération, la réduction des activités sportives dues au manque des moyens financiers. Quelques points positifs : un assainissement de la situation financière, l’existence de deux magasins de matériel sportif même si les fauteuils pour haute compétition sont presque totalement dépassés sur le plan technologique, certains athlètes handicapés tant à Nouakchott qu’à l’intérieur du pays ont bénéficié de microprojets générateurs de revenus grâce à l’appui du Commissariat aux Droits de l’Homme, même si certains seraient amenés à dire qu’il s’agit là qu’une goutte d’eau dans la mer, compte tenu de l’étendue des besoins dans ce domaine des sportifs handicapés, dont la plupart sont peu scolarisés, ont peu de qualification et sont d’une extrême pauvreté.
Au plan international, le Comité entretient de bonnes relations avec les Fédérations internationales. Cependant, un litige avec le comité international des JAPHAF a conduit à la suspension de notre pays des programmes de formation et surtout des compétitions organisées régulièrement par cette structure, dans lesquelles notre pays était leader incontesté de handibasket. Pour terminer, concernant la pratique sportive et même l’organisation de compétitions sportives, les personnes handicapées motrices, comme au tout début du processus de création de notre fédération, sont privilégiées par rapport aux autres catégories.
Question : Les handisportifs se plaignent régulièrement du peu de reconnaissance à leur égard. Surtout, ils estiment qu’ils ont été mal payés pour le fait qu’ils ont hissé haut le drapeau national. Que leur répondez-vous ?
Mohamed Abdallahi Fall : Je comprends leur détresse. Mais je voudrais leur dire que le sport n’est que l’un des nombreux aspects où la personne handicapée est victime de discrimination : la lutte pour le recouvrement de tous leurs droits est une lutte permanente. Ils ne doivent pas se décourager. L’adoption par les Nations-Unies de la Convention Internationale des Droits des Personnes Handicapées est un grand pas vers la justice. Quant à nous, nous continuerons notre action de plaidoyer auprès des autorités sportives, en même temps que nous continuerons à développer notre politique sociale en faveur des sportifs handicapés méritants les plus démunis, comme nous avons commencé à le faire en partenariat avec le Ministère des Affaires Sociales, de l’Enfance et de la Famille. En cette saison 2011-2012, le Président de la République a rendu hommage à nos sportifs handicapés en allant à leur rencontre au Palais Présidentiel, lors de la marche de soutien qu’avaient organisé les personnes handicapées pour les dernières mesures en leur faveur.
Question : Bientôt le coup d’envoi des Jeux Paralympiques de Londres : êtes-vous certain que des handisportifs mauritaniens y participeront ?
Mohamed Abdallahi Fall : Nous avons travaillé dur avec le Comité International Paralympique, ces derniers mois. Je peux vous confirmer que nous participerons à ces Jeux avec une délégation minimale comprenant une athlète, deux administrateurs, un médecin, un coach et un attaché paralympique. L’athlète retenue par l’IPC concourra en lancer de poids, javelot et disque. C’est le moment, pour moi, de lancer un appel à toutes et à tous pour nous aider à assurer une bonne participation aux Jeux de Londres 2012 !
Propos recueillis par Mamadou Alassane Thiam, juin 2012.