Un an tout juste après l’incendie dramatique d’un gîte clandestin à Wintzenheim le 9 août 2023, des séjours de vacances adaptées ont été interrompus par décision des préfets des Hautes-Alpes et de Dordogne. Des inspections inopinées ont constaté des manquements suffisamment graves pour que les vacanciers handicapés mentaux soient renvoyés dans leurs familles ou établissements médico-sociaux d’origine.
Une nébuleuse d’organisateur de vacances
Le séjour de Dordogne interrompu le 31 juillet se déroulait au Centre d’Accueil Nature Loisirs et Sports de Villamblard, où l’inspection a relevé de graves manquements à la sécurité des lieux et des personnes : « absence de protocole de chutes, intoxications, accidents », de « preuve de diplômes de premier secours à jour [et] de trousse de secours adaptée […] d’éclairage de nuit, de rampe adaptée pour les escaliers, de rampes intérieures dans les couloirs, de barres d’appuis dans les sanitaires », et bien d’autres lacunes listées dans l’arrêté du préfet de Dordogne. Lequel relève également que « l’exiguïté et l’inadaptation des sanitaires et des douches rendent difficile l’aide à l’hygiène des vacanciers, majorent les risques de chute et ne permettent pas le respect de l’intimité des personnes. » Rien qui ressemble à un lieu de vacances agréable, confortable et sûr.
La gérante du Centre de Vacances de Villamblard s’est mise sur répondeur téléphonique et ne donne pas suite aux messages. Il était pourtant important d’entendre sa version des faits et sa conception du confort de ce qui ressemble sur photographies à une vétuste « colo. » Il aurait été intéressant de savoir si l’organisateur de voyages a visité les lieux avant de les louer. Ce séjour était en effet organisé par la société Escapades Adaptées, basée dans le Jura. Elle fait partie d’une nébuleuse d’entreprises toutes dirigées par le même homme, Jérémie Gossart : Voyages Adaptés Développement VAD (Lyon) qui a réalisé en 2023 près de 900.000€ de chiffre d’affaires et dégagé 74.000€ de bénéfice net, Voyages Adaptés (Lyon) dont le CA 2021 approchait 1,2 millions pour 140.000€ de bénéfices, Escapades Adaptées (Jura) filiale de VAD au CA 2021 de 436.000€ pour un résultat net de 80.700€ et enfin Oxygène Aventures et Vacances Adaptées (Lyon), 2,1 millions d’euros de chiffre d’affaires et 30.500€ de bénéfices l’an dernier.
C’est cette dernière, fermée depuis l’automne dernier, qui avait commercialisé les séjours dans le gîte de Wintenheim totalement détruit le 9 août 2023, brûlant vifs 10 vacanciers handicapés mentaux et un animateur. Jérémie Gossart a refusé de répondre aux questions des journalistes, les renvoyant vers son avocat, un ténor du barreau lyonnais qui a plaidé dans le procès du tortionnaire nazi Klaus Barbie. Depuis la fermeture administrative du séjour vendu par Escapades Adaptés, il ne répond pas davantage, ses employés prenant poliment des messages sans suite.
Ni lui ni la société Oxygène n’ont été inquiétés par l’instruction judiciaire dans le cadre de l’incendie du gîte de Wintzenheim dont seule la propriétaire est mise en examen à ce jour. Le préfet de Dordogne n’a pas fait le rapprochement entre la société organisatrice du séjour au Centre de Vacances de Villamblard et celle du séjour meurtrier de Wintzenheim. Bien sûr, les faits ne sont pas comparables, toutefois on peut légitimement s’interroger sur le caractère systémique de ces « incidents » : pourraient-ils résulter d’une organisation à l’économie alors que les sociétés de Monsieur Gossart réalisent de gros bénéfices ? Les vacanciers qui ont payé 2.500€ chacun pour 15 jours ont-ils été remboursés de la semaine supprimée du fait de la fermeture administrative du centre de Villamblard ?
Une association également sanctionnée
A cette question, la codirectrice de Cap Évasion basée dans le Loiret, Aurélie Adam, n’a pas de réponse. Pourtant, son association organisatrice de voyages a également vécu le 11 août la fermeture administrative par arrêté préfectoral de 4 séjours dans le village vacances Le Pré Martin à Annot, dans les Alpes de Haute-Provence, pour 92 adultes.
Là encore, le préfet a sanctionné « les conditions d’accueil des vacanciers, personnes majeures handicapées [qui] ne présentaient pas les garanties requises en matière de sécurité, santé, bien-être et confort. » Imprécis sur les griefs, l’arrêté préfectoral invoque la typologie des personnes accueillies, pas adaptée « à la configuration, à l’environnement des lieux » ni aux « capacités d’encadrement sur place. » Il mentionne des « événements indésirables graves […] dont la plupart n’ont pas été spontanément déclarés. » Mais la préfecture bas-alpine, tout comme celle de Dordogne, se retranche derrière le caractère confidentiel de l’enquête administrative pour ne pas livrer les faits précis justifiant sa décision. Selon des habitants, des vacanciers ne sachant pas nager ont failli se noyer dans la piscine communale, et un autre s’est perdu en soirée et n’a été retrouvé qu’après 24 heures de recherche.
« On a eu un contrôle, se défend Aurélie Adam, et selon les dires de chacun, le choix a été d’arrêter : les adultes n’étaient pas en sécurité sur un site non clos, les adultes fumeurs pouvaient mettre le feu. Pour nous, ces adultes pouvaient sortir seuls en ville, et fumer à l’extérieur. On défend le droit aux vacances pour tous, sans couvre-feu. Il y avait un animateur par chalet de 4 vacanciers, soit 28 encadrants 24h/24. Les quasi-noyades sont imaginaires, la fugue d’un vacancier est le seul fait réel : il a déposé les poubelles comme tous les soirs, sur le site. Les premiers soirs, il a été accompagné et l’animateur a vu qu’il pouvait se repérer, et cet adulte y allait seul. Est-ce qu’il a vu quelque chose qui l’a attiré ? Il s’est perdu à 21h30. Les animateurs l’ont cherché, nous ont appelé, on leur a dit de contacter la gendarmerie. » Les recherches de nuit puis pendant la journée du lendemain n’ont rien donné, jusqu’à ce qu’il soit repéré vers 18h, à 200 mètres du centre de vacances !
Donc, seule serait avérée la désorientation d’un vacancier préposé à l’évacuation des poubelles. « On nous appelé le vendredi soir, proteste Aurélie Adam. En 48 heures on a dû rapatrier tout le monde alors que les foyers de vie étaient fermés. Que ce soient les vacanciers, nous, les familles, on a beaucoup de questionnement sur la brutalité de la fermeture, et la remise en question de notre travail. Habituellement, on nous laisse 48 heures pour modifier les choses, on ne comprend pas. On a plus de 30 ans d’existence, ce n’était jamais arrivé. Cette année, on a subi 6 contrôles administratifs sur 12 séjours, seul Annot a été fermé. » Si Cap Évasion ne veut pas polémiquer, arguant que les contrôles permettent d’améliorer les séjours, Aurélie Adam affirme que l’hébergement a été visité en décembre 2022 pour en faire une nouvelle destination. Et elle dénonce une méconnaissance du handicap : « Au vu du rapport, on a ce sentiment du fait de l’interdiction de sortir seul opposée aux adultes. » Entre les dires sans contradiction de celle qui s’exprime, le silence volontaire de l’autre et le désintérêt de la ministre chargée des Personnes handicapées, Fadila Khattabi, qui n’a pas répondu à nos questions avant de quitter le Gouvernement début septembre, les familles qui vident leur compte en banque pour offrir deux ou trois semaines de vacances particulièrement coûteuses à leurs grands enfants handicapés sont loin d’être informées et rassurées.
Laurent Lejard, octobre 2024.