Rappelez-vous, c’était le 29 novembre 2022 : la ministre chargée des Personnes handicapées, Geneviève Darrieussecq, niait fermement le transfert au bénéfice de l’État d’une partie de la contribution des employeurs défaillants en faveur du Fonds pour l’Insertion professionnelle des personnes handicapées géré par l’Agefiph. « Il n’y aura pas de ponction, Monsieur ! », nous avait-elle déclaré abruptement avant de mettre un terme à l’interview. Moins de deux ans plus tard, ladite ponction revient en boomerang, même si Madame Darrieussecq n’est plus en charge du handicap mais de la Santé dans le nouveau gouvernement Barnier.
Lequel veut organiser l’amputation durable des deux FIPH, celui du secteur privé géré par l’Agefiph et celui du secteur public confié au FIPHFP, afin de contribuer au renflouement des caisses de l’État vidées par une dizaine d’années de gestion calamiteuse des finances publiques par Emmanuel Macron : deux ans en tant que ministre de l’Economie et des finances lors du quinquennat présidentiel de François Hollande, et plus de septe comme président de la République. Depuis son élection de mai 2017, Emmanuel Macron n’a eu de cesse de baisser l’impôt des plus riches, accroître leur fortune, contraindre le soutien aux plus pauvres et faire exploser la dette publique (+ 924 milliards d’euros, soit 45% d’augmentation) tout en délabrant les services publics. Cette politique irresponsable, le nouveau Gouvernement (très) conservateur veut la faire payer au prix fort par ceux qui l’ont subie, et il n’est finalement pas surprenant que son projet de loi de finances pour 2025 s’attaque, parmi bien d’autres, aux travailleurs handicapés privés d’emploi ou en réinsertion professionnelle : son article 33 limite à 457 millions d’euros les dépenses autorisées à l’Agefiph, ce qui veut dire que les recettes excédentaires seront versées au budget général de l’État. Si le projet de loi chiffre cet excédent à 50 millions, l’Agefiph l’estime pour sa part à 100 millions. Cette ponction est conçue pour être perpétuelle. Quant au FIPHFP, seul son niveau de ressources est plafonné, non encore celui de ses dépenses, mais gageons que cela viendra, ce n’est qu’affaire de temps.
Bien évidemment, le Gouvernement dirigé par Michel Barnier depuis le 21 septembre n’a déjà plus aucune crédibilité en matière d’action en direction des personnes handicapées. Ce Premier ministre a d’abord décidé de ne pas maintenir un ministère des Personnes handicapées, pour ensuite le recréer au terme d’une semaine de polémiques et protestations de tous bords. Nommée en catastrophe, la titulaire de ce portefeuille, Charlotte Parmentier-Lecocq, n’aura pas eu le temps de s’informer des dossiers en cours alors que le handicap n’est pas sa spécialité, mais elle se devait de participer en Italie au G7 du handicap, réunion internationale de ministres pendant trois jours, du 14 au 16 octobre derniers. De retour en France, la voilà qui se précipite pour twitter son engagement « à préserver les moyens de l’AGEFIPH » dont elle recevra les dirigeants lundi 21. La recette est immuable, d’abord l’Etat frappe sans prévenir puis devant la protestation engage la discussion sur son terrain.
Certes, les députés de plusieurs groupes parlementaires vont déposer des amendements de suppression de ces ponctions mais le Gouvernement pourra ne pas en tenir compte : il devra certainement recourir au célèbre passage en force du 49.3, ce qui lui permettra de rédiger par lui-même la loi de finances, décidant de ce qu’il conservera ou pas dans les modifications issues des débats parlementaires. Et comme un sou est un sou, on entrevoit déjà le résultat. Des ponctions au détriment de l’Agefiph ont déjà été pratiquées pendant les mandats présidentiels de Jacques Chirac, Nicolas Sarkozy et François Hollande (lire cet Éditorial et cet article), mais sur des montants définis et limités dans le temps. A partir de 2025, la ponction pourrait devenir permanente, banalisant le vol de l’argent des travailleurs handicapés privés d’emploi.
Laurent Lejard, octobre 2024.