Depuis des mois, la présidente du Conseil Régional et d’Île-de-France Mobilités, Valérie Pécresse, la direction de la RATP et la maire de Paris, Anne Hidalgo, n’ont de cesse de le proclamer : si les lignes du métro de Paris sont – sauf une – interdites aux clients handicapés moteur, du fait de l’absence d’ascenseurs et de l’inadaptation des trains, le réseau bus de surface leur est totalement accessible. C’est faux.
16% de trajets inaccessibles !
La réglementation l’exige : une ligne de bus est déclarée accessible dès que 70% de ses points d’arrêts sont utilisables par des voyageurs en fauteuil roulant. Dans Paris, 57 des 59 lignes d’autobus le seraient, selon ce qu’affirme par courriel la RATP : « 100 % des lignes à Paris (hormis les lignes 40 et 48) […] sont déclarées accessibles aux personnes en fauteuil roulant. Depuis avril 2023, 83 % des points d’arrêt sont réputés accessibles aux personnes en fauteuil roulant à l’aide de la rampe d’accès [ou palette]. » Propos démenti par l’analyse du plan des 57 autres lignes, qui montre que 14 comportent une part de points d’arrêts marqués du symbole « interdit fauteuil roulant » supérieure à 30% pour le parcours aller ou retour, et parfois les deux (sauf le plan de la ligne 86 qui ne marque aucun arrêt interdit). En détaillant, on relève 18 parcours dont le taux d’arrêts interdits est compris entre 31% et 42% (pour la ligne 73).
Résultat : 1 parcours sur 5 dans l’un ou l’autre sens, bien que non conforme à la réglementation, est déclaré accessible. Théoriquement, les clients handicapés doivent parcourir « à pied » des distances supérieures pour rejoindre un point d’arrêt qui ne leur est pas interdit. Théoriquement, parce qu’aucun conducteur n’informe ou n’empêche un tel client de monter ou descendre, et aucun voyageur en fauteuil roulant ne s’attarde sur cette inaccessibilité signalée. Cela n’exonère d’alleurs pas la RATP (et tout autre transporteur) de son obligation de résultat ni de sa responsabilité civile en cas d’accident lors de la montée ou descente d’un client, qu’il soit handicapé ou pas.
Selon Île-de-France Mobilités (IDFM), « un arrêt est considéré comme accessible si les critères suivants sont respectés : une bordure de trottoir rectiligne sur la longueur du quai bus, permettant un accostage du bus sans lacune et une pente de la palette inférieure à 10%, une hauteur de quai bus à 18 cm, une pente en devers du profil en travers du quai comprise entre 1% et 2%, une aire de rotation de 1,50 m de diamètre en sortie de bus (nécessaire à la rotation d’un UFR), une largeur de cheminement de 1,40 m sur le quai bus, pouvant être ponctuellement réduite à 90 cm en cas d’obstacle. »
Tous les points d’arrêt implantés sur des trottoirs récents doivent respecter ces règles, ce qui n’est fréquemment pas le cas dans Paris. De plus, IDFM retient une hauteur de 18 cm pour le quai bus, alors que la norme nationale est de 21 cm : cette hauteur réduit pourtant le taux de pente et facilite la montée à bord d’un autobus. Et la mairie de Paris ne fournit pas la liste précise des arrêts qu’elle estime accessible, ni celle des points d’arrêts qu’elle doit traiter pour les rendre conformes, et n’explique pas comment il est possible d’interdire des arrêts implantés sur des trottoirs récemment refaits et réputés aux normes.
Des équipements d’accessibilité défectueux…
Si la fiabilité des palettes à déploiement automatique comblant l’espace entre le plancher des bus et les points d’arrêts semble s’être améliorée, IDFM annonçant un taux de fiabilité de 99%, des pannes se produisent encore. Mais comme cette autorité a supprimé depuis 5 ans la publication des indicateurs de qualité, la maintenance de cet équipement d’accessibilité n’est plus vérifiable. De plus, un conducteur constatant une panne en prenant son service n’a pas le droit d’utiliser un bus de réserve. D’autre part, les modèles de bus les plus récents ne semblent pas permettre d’ouvrir les portes avant d’avoir manoeuvré la palette d’accès, les autres voyageurs se demandant ce qu’il se passe… Et que dire de l’autobus électrique Aptis conçu par Alstom, dont la palette coulissante se relève en fin de cycle, offrant une pente franchissable uniquement avec aide ou élan de plusieurs mètres ! Construit à 50 exemplaires, il a été abandonné par son fabricant, mais sévit toujours sur les lignes 56 et 64 avec un taux de panne de la palette battant tous les records.
Par ailleurs, il n’est pas rare de voir un écran gris à la place de l’affichage dynamique du plan de ligne annonçant visuellement les prochains arrêts ainsi que le temps de parcours restant. Si en théorie les annonces sonores sont diffusées dans les bus à un niveau préréglé, affirme la RATP, il est fréquent que leur son soit trop fort, trop faible… ou coupé. Quant au taux de fonctionnement normal des annonces visuelles et sonores des arrêts, il n’atteignait que 75% lors d’une évaluation effectuée pendant la première semaine de novembre 2024.
… Et des conducteurs irrespectueux
Il devient rare que la procédure de descente des voyageurs en fauteuil roulant soit respectée : le client appuie sur un bouton placé à proximité de l’Unité Fauteuil Roulant pour demander à descendre, un voyant le signale sur le poste de conduite, arrivé à l’arrêt le conducteur doit sortir la palette automatique puis ouvrir les portes. Mais lors de notre évaluation, 2 fois sur 3 les conducteurs oublient, et il faut alors crier à travers le bus pour rappeler au chauffeur qu’on a demandé l’arrêt. Bien qu’informée de cette difficulté, IDFM nous demandait en septembre d’« objectiver ce phénomène », c’est fait !
De plus, une montée ou descente réellement accessible nécessite que les chauffeurs arrêtent le bus correctement, sans obstacle devant les portes. « Les conducteurs ne sont pas toujours bien formés, déplore Miguel Gomes, syndicaliste de la CFDT transports Ile-de-France. Est-ce qu’ils sont sensibilisés et assez bien formés pour accueillir les personnes en situation de handicap dans de bonnes conditions ? » Mais il est catégorique pour ce qui concerne l’oubli de sortir la palette à l’arrêt de destination : « C’est une faute. » Tout en ajoutant qu’il n’y a pas d’obligation spécifique pour ces clients, notamment celle d’attendre leur installation dans l’espace pour fauteuil roulant avant de repartir. « Moi ce que je dis, c’est qu’on ne devrait pas accueillir les personnes en situation de handicap de la même manière que les autres, mais il n’y a pas d’obligation de les aider. Il y a des instructions liées à la sécurité, à la configuration des arrêts, mais entre la théorie et la pratique… », conclut-il au sujet des points d’arrêts marqués interdits aux voyageurs en fauteuil roulant. Ce n’est pas la crise de recrutement que connait cette profession du fait, entre autres causes, de la mise en concurrence du réseau, ainsi que le désintérêt des autres syndicats et des associations de personnes handicapées qui vont améliorer les conditions de voyage très dégradées des clients handicapés.
Laurent Lejard, novembre 2024.