Muriel Mourgue avait 17 ans en 1981 quand elle a été victime d’un terrible accident de voiture, lui laissant un corps massacré. La reconstruction d’une jambe en charpie, de son visage fracassé, de son bassin fracturé, a nécessité 18 mois d’hospitalisation. De ce polytraumatisme, elle garde de multiples séquelles handicapantes, mais invisibles la plupart du temps, et cela d’autant plus que Muriel Mourgue tient à donner d’elle l’image la plus parfaite possible : « Je suis coquette », avoue-t-elle, tout en subissant des hauts et des bas à cause de douleurs persistantes, des jours en forme et d’autres au repos complet. Il lui a également fallu apprendre à vivre avec une jambe reconstituée au terme de multiples et délicates interventions chirurgicales. Pour toutes les séquelles de son accident, elle dénombre 36 opérations ! « Ça a été très dur, il a fallu que j’apprenne à gérer cette jambe, en oubliant mon corps et la douleur. Dès la sortie de l’hôpital, j’ai passé le permis de conduire, je ne voulais pas arrêter ma vie et je ne voulais pas que l’accident guide ma vie. »
Ce qu’elle a réussi : Muriel Mourgue est mariée depuis 30 ans : « Je connaissais mon futur mari, Richard, avant l’accident, on se fréquentait, et il est resté. Pourtant, ce n’était pas rose, l’accident m’avait défigurée. Mais il avait dit à mes parents ‘défigurée ou pas, avec une jambe ou pas, je l’épouserai ! » De cette union sont nés trois fils, avec aide à la procréation et plusieurs fausses couches : « Le premier bébé a été difficile à mener à terme, la grossesse a été très surveillée. Les deux autres sont venus à la suite. J’avais accompli mon but. Élever ces trois garçons a été dur physiquement, mais je me suis arrangée pour qu’ils ne portent pas le poids de mon handicap. »
Un parcours administratif délirant.
Après son hospitalisation, Muriel Mourgue a travaillé pendant une dizaine d’années, jusqu’à l’âge de 30 ans, comme caissière, comptable, employée polyvalente. Jusqu’à ce qu’elle soit déclarée inapte par le médecin du travail. « C’est une chose que je n’ai pas acceptée, je n’acceptais pas mon handicap : je ne l’avais pas réalisé. Il faut du temps pour l’accepter. » La Sécurité Sociale l’a alors placée en invalidité, mais sans pour autant lui verser de pension : lors de son accident, elle n’avait pas encore travaillé ni perçu de salaire. Muriel Mourgue s’est alors adressée à l’Assedic pour percevoir l’allocation chômage à laquelle elle avait droit, et à la COTOREP pour demander l’Allocation aux Adultes Handicapés, qui lui a été refusé au terme de 8 mois d’instruction du dossier : puisqu’elle percevait l’allocation chômage, elle n’était donc pas inapte au travail pour la COTOREP ! En 1997, elle effectue une nouvelle demande alors qu’elle est en maladie, finalement acceptée à la suite d’un recours consécutif à un premier refus, avec un taux d’invalidité de 50 % et la reconnaissance d’une incapacité à se procurer un emploi.
Mais le parcours du « super-combattant » imposé à Muriel Mourgues était loin d’être terminé : en 2000, lors du renouvellement de son AAH, le taux d’invalidité est abaissé à 40 %, elle est reconnue apte au travail et orientée vers l’ANPE pour sa recherche d’emploi. Dans le même temps, le médecin du travail l’examine alors qu’elle était sous morphine, pour l’estimer « susceptible de travailler à quart-temps et couchée »…
Avec ces constats contradictoires, elle fait appel de la décision pour obtenir de la Cour Nationale du Contentieux de l’Invalidité d’Amiens (Somme), où elle doit se rendre en traversant la France entière, un relèvement de son taux d’invalidité… et une aptitude au travail ! Quatre années de procédure mais toujours pas d’AAH. Alors, elle se tourne vers l’ASSEDIC pour s’entendre dire que puisqu’elle avait arrêté de travailler depuis six ans, elle avait perdu ses droits allocations-chômage. Finalement, la toute nouvelle Maison Départementale des Personnes Handicapées lui accorde 50 % d’invalidité et une inaptitude de travail qui lui redonne droit à l’AAH. « Durant ces procédures, j’ai tout entendu tout vu ! explique Muriel Mourgue. On m’a dit que c’était à mon mari de m’assumer financièrement. Des dossiers à répétition ont été examinés, mais vides, avec parfois des examens médicaux sans même un déshabillage. Les séquelles d’un polytraumatisme ne sont pas cumulées par les barèmes d’évaluation, et elles ne se voient pas toujours. De même, les effets négatifs de la médication ne sont pas pris en compte. »
Ce parcours explique évidemment la volonté de Muriel Mourgue de secourir autrui en créant une association de défense des droits des personnes polytraumatisées. « J’ai créé l’Association de Défense des Accidentés de la Route et des Handicapés (ADARH) en pensant que les problèmes étaient locaux, et je l’ai mise sur Internet. J’ai été surprise par l’étendue des problèmes qui me parvenaient en retour. Au bout de deux ans, l’association travaille pour combler un vide au plan régional. On se déplace au domicile des personnes pour les aider dans leurs formalités, défendre leur accès aux droits, les accompagner devant les commissions, au Tribunal du Contentieux de l’Invalidité, apporter un soutien psychologique face aux formalités, aux décisions. Mon téléphone n’arrête pas de sonner, mais je ne peux pas aller partout. Moi, je ne fais pas de discrimination au handicap ! » Une manière de rappeler que si l’Association des Paralysés de France l’a, un temps, informé sur ses droits, elle n’a pas défendu son dossier lorsqu’il est passé en COTOREP.
« J’étais la seule survivante de mon accident, mon oncle et ma tante, sont décédés dans l’accident, même les deux petits chiens qui étaient avec nous dans la voiture… Ma vision de la vie à été changée à partir de là : ce n’était pas mon heure, et si j’étais en vie, c’est que je devais continuer à faire ma vie. Le plus ‘normalement’ possible, et après avoir fait ma vie de famille, il me paraissait normal d’aider les autres par mon expérience. »
Et elle en est régulièrement récompensée, comme elle l’a par exemple vécu le 27 février dernier en se rendant dans un village de Loire-Atlantique pour une action de solidarité à l’occasion d’une randonnée : elle pensait se retrouver au milieu de quelques sportifs, et ce sont près de 900 cyclotouristes et marcheurs qui ont contribué à être solidaires des personnes polytraumatisées !
Laurent Lejard, avril 2011.