La vie d’Elisa Blandau – un pseudonyme destiné à préserver sa famille – est de celles qui étonnent. Née onze ans après le premier enfant d’un couple ancré dans la pratique religieuse de l’église catholique, elle s’est élevée seule : père bigot et sans affection, mère sous la coupe de son mari, frère ainé égocentrique, frère cadet pleutre, prêtres en soutanes accueillis à la maison. Un contexte pesant de « France profonde » rance duquel Elisa s’échappa dès qu’elle le put, le coeur et le corps meurtri par un prêtre pédophile et le silence d’une mère qui ne voulait pas affronter cette ignominie…
Dans l’errance, le théâtre l’a sauvée du naufrage, et c’est avec son compagnon, Jean-Yves, qu’elle a pensé construire sa vie de femme et de mère. Mais son premier enfant est né polyhandicapé, du fait d’une naissance négligée : un week-end en banlieue parisienne, le gynéco sur ses terres, une sage-femme fatiguée, une piqure et un bébé asphyxié…
Ramenée à la vie, la petite Perrine ressemblait pourtant à peu près aux autres bébés, sauf qu’au bout de quelques mois père et mère durent accepter l’évidence : leur fillette ne tenait pas assise, elle ne parlerait ni ne marcherait, elle était polyhandicapée. Sur fond de création et de spectacles théâtraux, de militance au Parti Communiste, de relations difficiles avec parents et beaux-parents, de logement de misère, et d’amour mutuel entre Elisa et son mari…
Mais l’amour conjugal ne dure pas toujours, et Elisa s’est retrouvée seule avec Perrine, toujours en recherche de sens à leur vie. Et en l’éduquant comme elle le pouvait, en établissant une communication, Elisa a reçu de Perrine cette révélation, un dimanche matin après une lecture de l’Evangile sur le miracle du paralytique : « Je suis handicapée quand vous passez à côté de moi en feignant de ne pas me voir, de ne pas me comprendre. Je suis handicapée si vous ne me donnez ni à manger, ni à boire. Je suis handicapée si vous me laissez toute seule quand vous allez vous promener, sans m’emmener avec vous. Je suis handicapée si vous ne m’aidez pas à vivre. Si vous faites tout cela, en revanche, je ne suis plus handicapée du tout. Je m’en fous de mon handicap, c’est votre problème à vous, pas le mien ! »
Un « Evangile selon Perrine », dans lequel le Christ est incarné par sa fille, non plus corps de douleur et de souffrance, mais d’ouverture et de joie. Un autre « éloge de la faiblesse », que l’on peut rapprocher de la première réflexion philosophique d’Alexandre Jollien, lui aussi très croyant.
Résumer la force de ce récit au père absent (absent parce que mort au moment de sa rédaction) mais également du fait du désintérêt d’un père pour sa fille, est impossible sans en altérer la puissance, la richesse, les enseignements. Ippatah interroge sur le sens de la vie, le rapport à l’autre et son caractère unique, sa différence. Imprégnée de foi, tout en rejetant dogmes et clergé, Elisa Blandau livre son parcours de vie, ses drames, ses bonheurs, sa résilience, une découverte ouverte à tous.
Laurent Lejard, février 2011.
Ippatah, par Elisa Blandau, Editions de l’Officine. 18,50€, en librairie sur commande.