Cette période fait ressortir plein de pensées, tant positives que négatives. Et non, je n’ai pas l’intention d’être une « mort acceptable » sous prétexte de handicap. Tout d’abord, j’aurais tant aimé que le confinement et l’assignation à résidence de nombre de personnes en situation de handicap, et ceci pendant des années (faute d’accessibilité du logement, de l’espace public, faute de compensation suffisante de nos incapacités et différences) dérangent autant que la situation actuelle vue par les valides !
J’aurais aussi aimé que cette période ne soit pas une nouvelle illustration du validisme ou capacitisme de nos sociétés. En effet, l’approche productiviste de la société libérale et les représentations validistes propagées par les médias grands publics, avec un gouvernement qui privilégie la rentabilité à court terme au profit de l’actionnariat, mène aujourd’hui à un tri des malades du Covid-19 et à des refus d’accès à la réanimation pour les personnes âgées et les personnes handicapées notamment.
Comme le relève Elena Chamorro sur son blog, le 17 mars dernier, un document rédigé par un comité d’experts a été remis au ministère de la Santé pour guider les médecins dans un éventuel tri de patients en cas de déséquilibre entre la demande et le nombre de places disponibles en réanimation. Un autre guide élaboré par des médecins réanimateurs et anesthésistes a été remis aux Agences Régionales de Santé. Ces deux guides se réfèrent à « l’échelle de fragilité clinique » qui inclut des critères de maladie et aussi de dépendance, sans lien évident avec les chances de récupération ou l’espérance de vie mais répondant à une vision à la fois médicale et validiste de la valeur des vies.
Comme l’écrit l’ingénieur écologue Laurent Thieulle : « Il est temps d’arrêter de parler d’incompétence en matière de gestion gouvernementale de la crise du Covid-19. Depuis 20 ans, les alertes sur les risques pandémiques n’ont cessé d’être adressées aux gouvernements successifs par les services médicaux, les écologues et les centres d’épidémiologie. Concernant les moyens, en 2013, nous disposions encore d’une bonne partie des outils qui nous auraient permis de lutter efficacement contre cette pandémie. Nous avions des stocks de matériel médical spécifique pour répondre au risque pandémique et nous avions encore des moyens hospitaliers à la mesure des problèmes. Or, gouvernement après gouvernement, des choix très clairs ont été faits par les responsables pour abandonner ces stocks et détruire de façon consciencieuse l’hôpital public. Ils l’ont fait en toute connaissance de cause puisque, dans le même temps, les scientifiques démontraient année après année que le risque pandémique ne faisait que croître. Qu’on ne dise plus jamais qu’ils ne savaient pas, qu’ils ont été incompétents. C’est bien pire que l’incompétence : malgré les alertes, pour des raisons budgétaires, d’idéologie libérale, ils ont détruit les équipements et services qui nous auraient permis de passer cette crise sans autant de drames inutiles. Ces gens auront à répondre devant la justice de la mise en danger de la vie d’autrui à l’échelle continentale. En attendant, ce sont les petites mains de la République, les soignants, personnels d’entretien, pompiers, livreurs, commerçants, qui compensent leurs manquements en en payant le prix fort. »
J’accuse donc ce gouvernement de sacrifier sciemment une partie de sa population. Il n’était pourtant pas besoin d’être grand clerc pour deviner où nous mènerait cette quête insatiable du pouvoir et de l’argent au détriment de l’être humain (et de tous), de la biodiversité, et d’une utilisation raisonnée et respectueuse de la terre. Dans les années 70, ma mère et sa meilleure amie, écologistes convaincues, pestaient déjà contre les dégâts que nous occasionnions à la terre, avec l’arrachage des haies et la bétonisation, avec les pesticides, avec nos déchets. Et quand à 40 ans, on lui a annoncé qu’elle souffrait d’une maladie de Parkinson, et jusqu’à son décès dans des conditions horribles à 51 ans, elle a régulièrement mis en cause les politiques menées, accusant les pesticides d’être responsables de sa maladie. Ce qui faisait ricaner mon père, qui lui n’était pas du tout écologiste.
Aujourd’hui, on sait malheureusement que les pesticides ont une lourde responsabilité dans le développement de la maladie de Parkinson, à tel point que cette maladie est reconnue comme maladie professionnelle notamment chez les agriculteurs. Ma mère, toujours en avance sur son temps, a réclamé à cor et à cri le droit à l’euthanasie quand elle a commencé à s’étouffer et à souffrir énormément de fausses routes. Cette société qui l’avait pourtant rendu malade, lui a dénié ce droit ultime et elle est donc morte dans des conditions horribles, en s’étouffant jusqu’à ce que son coeur lâche. C’était en 1988 et je n’ai jamais oublié.
Et aujourd’hui, nous en sommes là car beaucoup trop de gens, comme mon père, ont ricané face aux alertes et aux appels à mener une véritable transition écologique d’urgence, ce qui nécessite de remettre en cause l’idéologie libérale actuelle, et le capitalisme qui y a conduit. Alors même qu’aujourd’hui, la loi Leonetti autorise à endormir les personnes en fin de vie, tout en les laissant mourir de faim et de soif, nous devrions pouvoir saluer l’autorisation d’utiliser du Rivotril dans les Etablissements d’Hébergement de Personnes Agées Dépendantes pour ne pas laisser les personnes âgées victimes du Covid-19 mourir en s’étouffant. Cependant, quelle est l’idéologie qui amène et autorise des refus d’accès aux services de réanimation, sous prétexte de leur âge ou de leur handicap ? Sans parler du refus de laisser un choix éclairé aux patients ? En quoi l’âge en tant que tel, ou une situation de dépendance, critères qui ressortent de la grille d’analyse pondue par les sociétés savantes de réanimateurs, justifient-ils un refus d’accès à la réanimation ?
Mais ne nous trompons pas d’adversaire car quels que soient les critères fixés par des médecins, comment ceux qui nous gouvernent ont-ils pu les obliger à trier leurs patients faute de places en réanimation ? Et s’il y a tant de gens en réanimation, c’est bien aussi parce que les soignants et la population n’ont pas bénéficié de masques et de tests rapidement, parce que nos gouvernants ont minimisé la crise tant qu’ils pensaient que ça toucherait essentiellement des « inutiles ». Et parce que de Sarkozy à Macron en passant par Hollande et leurs équipes, on a raisonné à court terme, pas anticipé la prochaine pandémie que le monde médical annonçait depuis longtemps, pas renouvelé les stocks de l’ Établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires, organisé notre dépendance à des approvisionnements lointains, mis en application les organisations à flux tendu de l’industrie, etc.
Je revendique, ou plutôt j’exige, conformément à la Convention des droits de l’homme et des droits des personnes handicapées, que chaque malade puisse choisir d’aller en réanimation, en bénéficiant au préalable d’une information éclairée sur les bénéfices et les risques d’un tel traitement, que la décision finale lui appartienne et ne soit surtout pas le fruit du refus criminel d’anticiper cette pandémie par ceux qui nous gouvernent et qui nous ont gouverné ses 10-15 dernières années.
Quant à moi, je défends le droit à l’euthanasie et au suicide assisté, en parallèle d’un accès aux soins pour tous, sans conditions, et l’existence de soins palliatifs de qualité. Nos vies, nos corps nous appartiennent, et c’est à nous de choisir dans quelles conditions cela doit finir ! Pas aux médecins, et encore moins à ceux qui ont méthodiquement et consciemment démoli le système de santé de ce pays. Aujourd’hui, ceux qui nous ont mené droit dans le mur et ont commencé par sacrifier les vieux et les handicapés devront rendre des comptes et faire cesser l’hypocrisie de leur politique qui nous sacrifie à petit feu, à coups de recul de l’accessibilité, de la compensation, et de pauvreté.
Quand on prétend que l’on ne peut pas permettre aux personnes handicapées l’accès à une vie autonome, et que du jour au lendemain, on trouve des milliards pour sauver les entreprises du CAC 40, on peut dire que l’on a affaire à une violence d’État assumée. Qui explique sans doute l’année que nous venons de passer et le nombre de manifestants pacifiques qui ont été mutilés avec les armes que le Gouvernement a su commander, en nombre et à temps, au détriment des masques et des matériels de protection individuelle qui manquent aujourd’hui à nos soignants et à la population.
Odile Maurin, activiste et présidente d’Handi-Social, mai 2020.
[…] Pas l’intention d’être une ‘mort acceptable’ ! […]
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