Il régnait une calme agitation ce matin du 10 décembre, dans une salle de la Direction Générale des Entreprises (DGE), l’une des branches du vaste ministère de l’Économie et des Finances. Face à des ordinateurs portables et des tableaux, assis sur des chaises bureaux à roulettes bien pratiques pour échanger, des codeurs, informaticiens et étudiants abordaient la troisième et dernière demi-journée d’un Hackathon tourisme accessible visant à proposer un service numérique ou une appli mobile, à l’invitation de la DGE : durant l’après-midi, ils ont présenté leur travail à un jury de professionnels de l’accessibilité des secteurs public et privé, le palmarès sera connu dans quelques jours. On le sait peu, parmi les missions de la DGE figure l’administration et gestion de la marque d’État Destination pour tous, attribuée à 9 territoires disposant de lieux et sites attrayants accessibles aux touristes handicapés, complétés par une offre de transports publics, d’hébergements, restaurants et services à la personne également accessibles et adaptés. N’oublions pas que le ministère chargé du Tourisme dépend de celui de l’économie.

Des données ouvertes et répertoriées…

L'un des concepteurs du projet MarIA le présente au jury @Yanous.com

« Notre enjeu, côté direction du Tourisme, c’est d’ouvrir des données, de les valoriser et de proposer des solutions à l’écosystème, justifie la cheffe de projet. Et de faire travailler des gens ensemble sur cette thématique. Avec mes collègues de la DGE, on a cartographié toutes les données disponibles directement liées au tourisme, comme DATAtourisme, AccèsLibre pour les Établissements Recevant du Public [accessibles], et d’autres données connexes au secteur du tourisme, sur du vélo, des transports. On a 170 références de données ouvertes et publiées sur data.economie. » Mais il y a un petit problème : la standardisation des données d’accessibilité n’est pas encore définie par un texte réglementaire, à l’exception de celles qui concernent les transports publics et la mobilité. De plus, des collecteurs et créateurs de données d’accessibilité ne les ouvrent pas à un usage par d’autres, alors que c’est obligatoire comme a dû l’expliquer la précédente Déléguée Ministérielle à l’Accessibilité, Carole Guéchi, à l’APF France Handicap après sa reprise en juin 2022 du diagnostiqueur Picto Access alors en liquidation judiciaire : les commerciaux de cette société employaient une technique de vente à l’arraché pour réaliser des diagnostics d’accessibilité, sans parvenir à éviter une accumulation de pertes financières approchant les 500.000€, d’où sa liquidation.

Six groupes de hackathoniens en compétition

Carte des sites labellisés Tourisme et Handicap

Un groupe travaille sur une cartographie en négatif, Accès libre Tourisme, situant les sites et activités touristiques dont l’accessibilité n’est pas connue, afin que les professionnels du tourisme, les personnes handicapées et leurs associations puissent identifier ces lieux. Cela leur permettrait d’aller sur place afin d’effectuer un relevé d’accessibilité (ou pas) au moyen d’un formulaire numérique en cours d’élaboration. « Comme ça, on donne de la visibilité à l’accessibilité, sur le lieu et ce qu’il propose, de la réalité augmentée par exemple si l’endroit n’est pas accessible », précise l’une des chargées de ce projet. Le groupe a identifié des sites sur Blois (Loir-et-Cher) et sa proximité. « Notre but est aussi d’augmenter la précision des informations, ajoute un autre chargé de projet, parce que le site peut être accessible pour certains types de handicap. Par exemple pour cette piscine, je peux voir [dans la donnée] que le personnel est formé tous handicaps, que les portes coulissent, le cheminement fait 1,20m de large. » Les données exploitées ici sont celles de DATAtourisme et d’AccèsLibre : les premières situent les sites sur la carte, les secondes qualifient l’accessibilité de ceux qui disposent d’une fiche descriptive. Le projet en chantier fusionne leurs données. Et celles de la marque Tourisme et Handicap ? « Elles ne sont pas cartographiées, ce ne sont pas des données ouvertes », justifie la chargée de projet. Pourtant, les 4.072 sites titulaires figurent sur une carte numérique publiée par data.economie mentionnée plus haut, avec un jeu complet de données ouvertes…

En calèche accessible face au château de Blois @Yanous.com

On reste à Blois avec le projet Séjour Accessible : une application facilitant l’organisation de séjours accessibles personnalisés dans la capitale du Loir-et-Cher. « On travaille sur la difficulté d’organiser un voyage ou des vacances, et la nécessité de clarifier et simplifier l’accès aux données d’accessibilité, explique une chargée du projet. On essaie de trouver les informations essentielles pour se déplacer, en l’occurrence pour se rendre au château de Blois. » Ce projet englobe également ce que l’on peut visiter et faire d’autre. Le groupe a utilisé les données d’AccèsLibre ainsi que de Tourisme et Handicap pour les fusionner sur une seule plateforme, afin d’identifier les lieux d’hébergement et de restauration pour que le touriste crée son propre parcours de visite accessible autour du château : « Le but est de classer les sites accessibles, de les filtrer en fonction de critères dépendant du type de handicap de la personne, et d’afficher une synthèse des avis sur l’accessibilité que l’on peut trouver sur Google ou d’autres plateformes », ajoute l’un des ses collègues. Cette plus-value potentielle n’est pas pourtant pas évidente, le groupe n’ayant pas trouvé d’avis sur l’accessibilité à Blois et ses sites touristiques, ce qui freine la création d’une évaluation qualitative alimentant la synthèse fournie au touriste handicapé.

Handbike Toucan sur la ViaRhôna @Yanous.com

Un troisième groupe étudie une solution destinée aux personnes non ou malvoyantes pour du cyclotourisme inclusif autour de la ViaRhôna, En roue Libre. « On élabore une carte interactive recensant tous les loueurs de vélos adaptés, tandem, handbike, tricycles, les réparateurs, les hébergements, restaurants, les transports publics, les gares », expose une chargée de projet. Cette solution identifierait les dénivelés et les obstacles telles les chicanes anti-moto qui empêchent des vélos adaptés de passer : « Cette information n’existe pas, même sur les sites Vélo en France de la Fédération de cyclotourisme », ajoute Christophe Derouet, fondateur d’Handivélo qui propose déjà un moteur de recherche de loueurs-réparateurs. L’objectif de rassembler toutes les informations utiles au déroulement d’une randonnée à vélo se heurte ainsi au peu de données existantes quand on ajoute « accessible », obligeant à rechercher l’information sur les ressources en ligne. D’autant plus que Christophe Derouet a même été ostracisé : « J’ai demandé à l’Association Tourisme et Handicap qu’Handivélo soit plus visible. La présidente m’a répondu qu’elle travaillait seulement pour les gens du label Tourisme et Handicap. C’est dommage de rester enfermé, au lieu de décloisonner l’information. » Et d’ignorer les 350 clubs de cyclotourisme qui accueillent des pratiquants handicapés, essentiellement déficients visuels. Ce chantier est également entravé par la rétention des données de l’Association française pour le développement des véloroutes et des voies vertes (AF3V) : « On ne peut pas partager nos données, m’a-t-on répondu. Or la Délégation Ministérielle à l’Accessibilité m’a dit que les données de mobilité sont ouvertes, ne peuvent pas être gardées. »

Julien Bezes

Lui-même aveugle, Julien Bezes, représentant la Confédération Française pour la Promotion Sociale des Aveugles et Amblyopes (CFPSAA), est intervenu pendant ce hackathon : « J’apporte mon expertise sur l’accessibilité en général, comment l’engager dans les différents projets réalisés pendant ces 2 jours. Comment la prendre en compte, la mettre en place, l’appréhender, qu’elle soit physique comme numérique. » Pour cette dernière, s’il estime que la législation française est plutôt bonne, il déplore l’absence de formation des acteurs du web. Un autre hackathon à lancer ?

Laurent Lejard, décembre 2024.

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Un commentaire sur “Un hackathon touristique

  • Sick

    C est bien mais il faut inclure dans les équipes des personnes en situation de handicap qui ont plus l habitude de la problématique du tourisme et handicap, que le valides. Quid des groupes avec plusieurs personnes handicapées. Nous avons l habitude d organiser des séjour vélo adapté. J Sick . onpedaletous.fr

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