Née il y a tout juste 30 ans dans un village Suisse proche de Lausanne, elle s’est formée en France au Conservatoire National Supérieur d’Art Dramatique : « Je suis arrivée à Paris pour intégrer le Conservatoire en 2016 et j’ai fait 3 ans de d’école. Depuis, j’ai surtout joué au théâtre, et deux fois pour Patrick Pineau qui met en scène Le mandat, et en 2021 Les hortensias, sur un texte de Mohamed Rouabhi. En parallèle, j’ai joué un spectacle avec une amie du Conservatoire, Lisa Toromanian, qui s’appelle Être ou ne pas naître. On l’a créé à l’école après un harcèlement scolaire en stage de danse, de la part d’une professeure qui avait envie d’avoir des corps de danseurs et de danseuses. C’était une humiliation, « placez-vous derrière », c’était juste être cachées, ignorées. Cette amie est grosse et moi je suis naine, du coup on a fait un spectacle sur la différence, avec un biais humoristique pour en parler. En même temps, c’est quand même assez dur. On le joue depuis 4 ans. J’ai aussi joué dans Handicops, et aussi dans Les sentinelles qui sera prochainement diffusé sur Canal Plus. » Elle y interprète une tenancière de cabaret.
Vivre à Paris lui laisse le sentiment d’une ville impersonnelle : « Les gens font moins attention aux autres. Par rapport à ma différence, au handicap, comme il y a tellement de monde à Paris, ça passe beaucoup plus inaperçu, je suis moins regardée. » Regard qui découle de la construction de l’image qu’elle a d’elle-même : « Quand j’étais jeune, j’étais fan de Mimie Mathy, c’était la seule représentation que j’avais. Mes parents m’avait acheté un livre sur sa vie. Ils m’ont élevée sans faire de différence avec mon frère, ils ne sont pas nains. Pas de problème ni de victimisation, tout va bien, « tu vas assumer. » » Et elle se définit comme naine, pas comme personne de petite taille : « Je fais 1,45m, donc j’ai dépassé la limite, j’ai fait des opérations pour grandir [les os de ses jambes ont été sciés pour les forcer à s’allonger au moyen d’écarteurs et broches]. Je n’aime pas dire personne de petite taille, j’ai l’impression que ça rend la chose encore plus spécifique, spéciale, bizarre, grave. Je pense que c’est ce qu’on met derrière le mot qui est important, et que dire personne de petite taille renvoie un handicap encore plus grand. »
Comment alors se positionner professionnellement ? « Avec Lisa dans notre spectacle, on dit « arrêtons de donner des rôles que pour certaines personnes », que tout le monde peut tout jouer, moi, nous, on peut jouer Juliette, on peut être amoureuses, qu’il ne faut pas être une jeune première toute mince pour savoir jouer Juliette. Ça dépend aussi des metteurs en scène, mais justement Patrick Pineau me fait jouer dans Le mandat la jeune première, la fille à marier, il ne s’arrête pas au physique. Je pense que la question n’est pas qu’on va me donner des rôles précis, spécifiquement pour moi, mais qu’il y a des rôles qu’on ne va pas me donner. Et pour le cinéma, c’est pire : je sors d’un casting où le rôle est « une naine. » Ça se limite à ça ! »
Dans la pièce de Nicolaï Erdman, Le mandat, dans laquelle elle joue actuellement, Nadine Moret incarne une épousée : « Je ne trouve pas le rôle si féminin que ça. Pour moi, c’est une fille qui a un sacré caractère. Je ne le vois pas comme un cliché de la féminité, Juliette, l’amoureuse. Mon personnage doit épouser quelqu’un, d’ailleurs le mariage ne se fait pas forcément, c’est assez comique. A part que je suis en robe de mariée, pour la première fois d’ailleurs ! » Alors comment vit-elle sa féminité ? « J’ai mis du temps, je ne suis pas encore totalement assurée de ma féminité, plus qu’avant. Au début, c’était le combat par rapport à la différence, ne pas donner d’importance au regard des autres, un premier grand travail. Et après, aborder le sujet de la féminité : je suis une femme, je suis féminine, je peux être désirable, c’est une autre grosse étape où je ne suis pas encore 100% à l’aise. Je me suis posée plusieurs fois la question des enfants, j’ai toujours voulu en avoir et j’en veux, et j’en aurais, j’espère. Je sais qu’il y a une chance sur deux de faire un enfant nain avec un homme qui ne l’est pas, et 100% avec un homme nain. »
Parmi ses projets, elle commence à travailler sur un seule en scène en partant de sa différence pour parler d’autres sujets : « Il y a des situations dans la vie qui me donnent envie d’écrire pour ne pas, comme on dit dans Être ou ne pas naître, pour ne pas hurler, écrire et jouer pour ne pas crier. »
Laurent Lejard, janvier 2025.
Retrouvez Nadine Moret dans Le mandat à Bourges (22 et 23 janvier), Chalon-sur-Saône (6 et 7 février) et La Rochelle (19 et 20 mars).