Depuis fin décembre 2019 et la promulgation de la loi d’orientation des mobilités (LOM), les titulaires d’une carte d’invalidité ont un accès sans autre condition à tous les services de transports adaptés créés par des communes, communautés d’agglomérations, départements ou régions qui sont légalement des autorités organisatrices de mobilité. « Lorsqu’il existe un service de transport adapté aux personnes handicapées ou à mobilité réduite, l’accès à ce service pour les personnes disposant d’une carte ‘mobilité inclusion’ […] ne peut être restreint ni par une obligation de résidence sur le ressort territorial, ni par l’obligation d’un passage devant une commission médicale locale », stipule la nouvelle loi dans son article 19 qui est d’application immédiate. Pourtant, plus de deux mois après son entrée en vigueur, cette disposition reste largement ignorée.
Capharnaüm en Île-de-France
La nouvelle loi tombe mal dans la région capitale : son Conseil Régional et l’autorité organisatrice de mobilité Île-de-France Mobilités ne parviennent pas à faire aboutir le projet d’un nouveau règlement régional pour les transports spécialisés organisés dans la région depuis 2002 sous l’appellation PAM. Un audit sur ces huit services régis par les départements vient d’être annoncé, prémisses d’une régionalisation… à l’exception de quelques départements qui tiennent à conserver l’organisation de ce transport. Et à cette complexité politique s’ajoute la bureaucratie. « La loi ayant été promulguée le 24 décembre dernier, l’ensemble des règlements (régional et départementaux) sont à mettre à jour, précise Pierre Deniziot, conseiller régional chargé du handicap. Cependant, Île-de-France Mobilités et les Départements ont engagé les réflexions sur ce sujet avant la promulgation de la loi. La loi étant supérieure aux règlements départementaux elle doit s’appliquer au plus vite. » Mais pas tout de suite, comme l’ajoute Pierre Deniziot : « Pour cela, c’est Ile-de-France Mobilités qui doit en premier lieu proposer à son conseil d’administration une modification du règlement régional. Il sera ensuite nécessaire d’annexer le nouveau règlement aux conventions de délégations de compétence par avenant. Les Départements pourront ensuite (ou en parallèle) modifier leurs propres règlements. Pour ce faire, il y aura nécessité pour tous les Départements d’analyser l’impact sur les marchés en cours (nombre de courses, typologie des courses), ce qui pourrait entrainer des avenants à leurs marchés. » C’est donc dans un certain nombre de mois, voire d’années, que la loi sera appliquée… à moins que : « Il faudra sans doute passer par une phase de transition, conclut Pierre Deniziot. Durant cette période, les inscriptions de non Franciliens seront possibles. » Actuellement, ce n’est pas le cas : dans tous les départements, la clause de résidence est exigée.
Règlement alla lyonnaise
La seconde agglomération française, Lyon, a connu bien des vicissitudes avec son service de transport adapté. Créé en 1980, il a pris le nom d’Optibus onze ans plus tard. Fondé par le GIHP qui transportait les Lyonnais ou pas, les aléas des marchés publics l’ont fait tomber en 1998 dans l’escarcelle d’une filiale de la SNCF, Keolis, qui en juin 2004 a commencé à réserver Optibus aux résidents de la communauté urbaine de Lyon, générant une campagne de protestation (lire l’actualité du 5 juillet 2004). Campagne fructueuse puisqu’elle a permis au GIHP de récupérer son « bébé » deux ans plus tard (lire l’actualité du 19 octobre 2006) et d’accepter les non-résidents. Mais il sombre au bout d’un an, Keolis reprend le service et le restreint derechef aux résidents, suscitant de nouvelles protestations, comme en mars 2016. Finalement, Optibus est empruntable depuis 3 ans par les non-résidents… à condition de le savoir : en ligne, il est précisé » Le service Optibus est accessible sur inscription, aux personnes résidant sur le territoire desservi », sauf que c’est inexact comme le précise Mikael Yout, directeur de Keolis PMR Rhône : « Tel qu’indiqué dans le règlement d’exploitation à l’article 2.5, le service Optibus est déjà accessible aux personnes résidant hors du territoire desservi par le réseau TCL. » Petit problème, le client qui lit ce règlement commence par l’article 1 qui mentionne « Le service Optibus est réservé exclusivement aux personnes résidant sur le territoire précisé en préambule », sans renvoyer à l’exception inscrite dans l’article 2.5 qui limite le transport à un seul trajet aller/retour gare vers ou depuis un point de destination, ou sans limite mais « pour des motifs de formations professionnelles » ! Lyon est donc hors-la-loi, et cela va durer quelque temps encore : « Au travers d’un travail de concertation d’ores et déjà amorcé, poursuit Mikael Yout, nous souhaitons mettre en place la meilleure organisation pour les futurs utilisateurs du service Optibus en terme d’accueil, de sécurité et de qualité de la prise en charge. Une fois cette nouvelle organisation validée, un nouveau règlement d’exploitation, finalisé en tout point, pourra alors être soumis à la délibération du Comité Syndical du SYTRAL. » Ce Syndicat mixte des transports pour le Rhône et l’agglomération lyonnaise, autorité organisatrice de mobilité, est trop occupé pour répondre à nos questions…
Rennes accepte, un petit peu
Considérée comme l’une des villes les plus accessibles de France, Rennes a confié son transport spécialisé Handistar à Keolis. « Comme le stipule le règlement public d’usage du service Handistar accessible sur le site internet, explique sa chargée de communication, Armelle Billard, les personnes ne résidant pas sur le territoire de Rennes Métropole peuvent bien bénéficier du service selon des conditions précisées dans ce règlement. » Un tel visiteur doit passer au moins une nuit sur le territoire de la Métropole, dans la limite de « 4 voyages maximum par mois calendaire sans passage en journée d’inscription ». Pourtant, la page d’information Handistar mentionnait encore récemment que ce service était « réservé aux personnes à mobilité réduite résidant sur les 43 communes de l’agglomération ». Texte modifié depuis notre demande d’information : « Nous comprenons toutefois que les informations données sur le site internet n’étaient pas parfaitement claires, poursuit Armelle Billard. Ces éléments, qui avaient pour vocation initiale de valoriser le fait que le service couvrait toutes les communes de la métropole, pouvaient apparaître comme contradictoires avec le règlement, et nous avons donc supprimé ces mentions sur le site. » Et de conclure par ce propos étonnant : « Comme l’a précisé la Délégation Ministérielle à l’Accessibilité, quelques mois seront nécessaires pour que les services s’adaptent à ces nouvelles dispositions. » Si l’Administration en charge de mettre en oeuvre et faire respecter la loi temporise, pourquoi se presser ?
Incompréhension Niçoise
La Métropole de Nice Côte d’Azur a confié son transport spécialisé, Mobil’Azur, à sa régie Lignes d’Azur. Les personnes handicapées qui se déplacent en fauteuil roulant, ou aveugles titulaires d’une carté d’invalidité cécité y ont droit, précisent les conditions d’inscription. Depuis le lancement de Mobil’Azur en 2009, les touristes et résidents temporaires sont acceptés mais ne sont pas exemptés du passage en commission d’admission si leur séjour se prolonge. « Les règles d’admissions sont fixées par notre Autorité Organisatrice à savoir la Métropole Nice Côte d’Azur (MNCA), justifie Serge Luciano, responsable Mobil’Azur. Elle nous a indiqué que les conditions d’application de l’article 19 [de la LOM] n’ont pas été précisées par le législateur. De ce fait notre AO participera le 9 mars à une journée d’information où cet article sera bien évidement évoqué ainsi que les nouveautés apportées par la LOM sur les sujets d’accessibilité des transports. De plus MNCA va prendre attache auprès du Groupement des Autorités Responsables de Transport pour que les conditions d’application soient précisées. » L’application de la nouvelle loi va donc nécessiter que les services de la Métropole comprennent que les « conditions d’application » sont clairement inscrites dans la loi et ne nécessitent donc ni décret ni arrêté !
Marseille modifie sans l’écrire
Mobimétropole couvre le territoire très étendu d’Aix-Marseille Métropole, soit 60% des Bouches-du-Rhône et 92 de ses 119 communes. Comme à Nice, c’est une régie qui exploite les transports publics (la RTM), sans concession au secteur privé. Confrontée à la déconfiture de Transdev et de son Handi’lib (lire l’actualité du 3 décembre 2010), elle exploite également le service de transport des personnes handicapées Mobimétropole et vient de l’ouvrir aux non-résidents. « La Métropole s’est récemment engagée à communiquer auprès de ses délégataires en charge d’assurer un service de transport spécifique, explique l’un de ses porte-parole, et leur a demandé de mettre en application sans délai cette évolution réglementaire en attendant de pouvoir mettre en cohérence l’information délivrée aux usagers avec une pratique déjà effective. » Mais ce n’est qu’après les prochaines élections municipales et l’installation du nouveau conseil de la Métropole que le règlement d’exploitation et l’information du public seront modifiés en fonction de la loi.
Le Libournais à la page
Jusqu’à fin févier, la Communauté d’agglomération du Libournais (regroupement de collectivités locales de Gironde et de Dordogne) conditionnait l’accès à son transport PMR aux personnes handicapées domiciliées sur le territoire de La Cali comme l’explique son responsable, Christian Bizien. « Afin de nous conformer, au plus tôt, aux évolutions introduites par la LOM, nous pouvons vous indiquer que La Cali souhaite permettre dès à présent l’utilisation de ce service par tous les usagers en situation de handicap, qu’ils habitent ou non sur le territoire de notre intercommunalité. Aussi, nous procédons à la mise à jour de notre site Internet pour y supprimer toute référence à la domiciliation. De plus, des consignes en ce sens ont été passées au concessionnaire qui gère pour le compte de La Cali ce service des transports des personnes à mobilité réduite. » C’est après les élections municipales que le nouveau conseil de cette communauté d’agglomération modifiera son règlement des transports de personnes à mobilité réduite : « Nous ne pourrons le faire effectivement que par une délibération du conseil communautaire qui ne se réunira qu’après l’installation des nouveaux exécutifs. […] La délibération validant ce nouveau règlement des transports des personnes à mobilité réduite de La Cali sera donc adoptée par la nouvelle Assemblée communautaire, une fois celle-ci installée. » Une solution pragmatique qui montre que, quand on veut…
Que disent les exploitants ?
On le sait peu mais la RATP exploite avec sa filiale RATP Dev des transports spécialisés en Ile-de-France et quelques agglomérations françaises. Tel celui de Lorient (Morbihan), qui fut une ville pionnière de l’accessibilité, « exclusivement réservé à toute personne handicapée en possession d’une autorisation délivrée par Lorient Agglomération ». Cette autorisation est subordonnée à une « attestation de résidence de domicile sur le territoire de Lorient Agglomération ». Par contre, le Libertibus de l’agglomération de Bourges (Cher) est ouvert à tous les usagers de fauteuil roulant, ou aveugles avec carte d’invalidité cécité. Mais avec une condition contraire à la loi du 11 février 2005 pour accepter un chien guide : l’obligation qu’il soit muselé. « La RATP et ses filiales sont pleinement engagées, tout au long de l’année, pour proposer aux personnes en situation de handicap un service de qualité, adapté à leurs besoins, justifie une porte-parole. L’entreprise veille par ailleurs à la mise en oeuvre stricte des dispositions inscrites dans la loi d’orientation des mobilités. L’article que vous pointez pourrait désigner le service PAM, créé à l’initiative de chaque département de la Région Ile-de-France, bien qu’il ne le cite pas directement. Ce service est en vigueur dans huit d’entre eux. FlexCité en exploite la moitié : PAM 77, PAM 91, PAM 93 et PAM 95. La filiale met à la disposition des départements des équipes de professionnels spécifiquement formées pour répondre aux besoins de leurs voyageurs et assure les réservations à la demande. Elle n’est donc pas directement concernée par l’article en question. » On en conclut que la RATP et ses filiales vont donc attendre que les autorités organisatrices leur donnent de nouvelles consignes pour supprimer la clause de résidence.
Filiale de la Caisse des Dépôts (la banque de l’État), Transdev n’a, quant à elle, manifestement pas tout compris si l’on en juge par sa réponse écrite : « Les critères d’obligation de résidence sur le territoire concerné et d’obligation de passage devant une commission médicale local ne pourront plus restreindre l’accès à ces services de mobilité inclusive aux personnes dont le taux d’invalidité est supérieur à 80%. » Cela exclurait les personnes reconnues invalides à 80% tout juste, ce qui est évidemment erroné. « Cette mesure d’application directe va entrainer des réflexions au sein des commissions d’accès des services TPMR des collectivités françaises, poursuit Transdev. Cette démarche a déjà débuté dans certaines collectivités. » Des réseaux exploités par Transdev n’opposent pas de clause de résidence, comme à Grenoble (Isère) et depuis longtemps. Il en va de même à Valence (Drôme), mais pas à Saint-Etienne (Loire) où la condition de résidence est obligatoire. Et si à Dunkerque (Nord) les visiteurs et résidents temporaires sont admis, c’est pour un mois renouvelable une fois, ensuite le passage en commission est obligatoire; par exemple, un stagiaire en formation longue doit subir cette formalité.
Filiale de la SNCF, le groupe Keolis fournit une réponse toute institutionnelle : « Un travail de concertation est réalisé avec l’ensemble des parties prenantes (autorités organisatrices, filiales, instances institutionnelles) afin de décliner opérationnellement les mesures. Le Groupe accompagne et conseille au quotidien les filiales sur cette question pour adapter la situation contractuelle locale à la loi. Localement, les filiales TPMR de Keolis sont en contact constant sur ce point avec leur autorité organisatrice de mobilité (AOM) afin de définir au mieux la mise en place opérationnelle. » Pas de quoi bouleverser le calendrier de ces AOM qui sauront certainement faire preuve d’imagination pour adapter les règlements d’exploitation de leurs services de transport pour personnes handicapées. Parce que si le législateur a supprimé la clause de résidence et de commission médicale, il a oublié d’unifier les conditions d’inscription : chaque AOM conserve le droit de sélectionner les ayants-droit, la carte d’invalidité n’ouvrant pas un accès automatique. On le vérifiera avant la fin de l’année…
Laurent Lejard, mars 2020.