Le paracyclisme domine clairement le handisport français. Deuxième nation mondiale lors des Jeux Paralympiques de Paris 2024, ses 16 coureurs (dont 4 femmes) et 3 pilotes ont remporté 28 médailles, soit 37% de celles de l’équipe de France, dont 10 en or et donc plus de la moitié des 19 médailles françaises. Cette réussite sanctionne la réorganisation de la discipline, toujours placée sous l’égide de la Fédération Française Handisport (FFH), et 6 années d’efforts constants.
Manager de la performance, Laurent Thirionet gère un groupe d’une trentaine d’athlètes : « A l’issue des Jeux de Rio 2016 qui n’étaient pas une réussite pour la France [12e rang des nations], en 2017 le ministère des Sports s’est demandé comment on fait pour que ça brille à Paris, on financera ce qu’il faut financer. Toutes les fédérations ont cherché un manager pour piloter le développement. A Rio, on a fait une médaille de bronze, on avait que des vacataires approximatifs, pas d’entraîneur, de stage, pas un vélo, pas une roue. » Le déclic est venu de la création en 2019 de l’Agence Nationale du Sport (ANS) : « Elle s’est investie dans chaque fédération, complète Laurent Thirionet, avec des contrats d’objectifs sur les fonds engagés chaque année et un contrôle d’effectivité avec un correspondant interne pour chaque sport, des compte-rendus d’action sur chaque euro engagé. »
« Ce qui a changé, ajoute Mathieu Jeanne, entraîneur national depuis juin 2018, ce sont les moyens financiers. Lors de mon stage de 2011-2012, c’était du semi bénévolat, et à mon retour en 2018, j’ai eu l’impression que rien n’avait évolué. L’ANS a alors permis des rassemblements de coachs nationaux plusieurs fois par an, pour échanger et discuter, avec l’appui des Maisons régionales de la performance. On a bénéficié d’un suivi socioprofessionnel permettant la libération des athlètes jusqu’à 80% de leur temps de travail. Le fait de les avoir avec nous a tout changé, avec 60 à 80 jours de stage sur piste. » Une grande rigueur qui a payé : « Je me suis entouré d’experts, complète Laurent Thirionet. On a mis en route une machine qui a grandi au fil des années avec la progression du budget. » Avec des résultats contrastés selon les sports, constate-t-il : « Escrime et tennis de table sont un peu passés à travers. La natation a bien marché. L’athlétisme s’est reconstruit une grosse année avant les jeux, trop tard. »
De leur côté, les cyclistes sont devenus de facto des professionnels se consacrant essentiellement à leur discipline, préparation physique et mentale, ce qui a permis de franchir la marche vers le succès. « En gros, reprend Mathieu Jeanne, en 2018 on avait beaucoup de coureurs au pied du podium. L’objectif était de leur faire passer un cap pour monter sur le podium et gagner. » C’est une culture du haut-niveau qui s’est mise en place, avec une organisation ad hoc, la professionnalisation du staff, l’embauche d’un manager, d’un entraîneur, de réparateurs, d’un masseur-kinésithérapeute, d’une préparatrice mentale, tous les corps de métiers qui composent une équipe pro de cyclisme. « On a construit une vraie structure, appuie Laurent Thirionet. Et tout le monde se parle, avec une oreille attentive pour s’exprimer, être rassuré, on est tous des équipiers, c’était notre grosse force dans le collectif. Ils étaient là pour briller à Paris, avec des athlètes en sommeil qui se sont révélés. Et on est allé chercher des handicyclistes chez les valides qui ne voyaient pas qu’ils avaient un handicap. On a travaillé avec Airbus pour la fabrication de tandems, Michelin pour une gamme de pneus à meilleur rendement, un travail transversal. »
« Quand les athlètes sont chez eux, ajoute Mathieu Jeanne, on s’assure qu’ils ont un entraîneur personnel, un préparateur nutritionniste, une plateforme de suivi d’entraînement quotidien dont un capteur cardiovasculaire. » Les cyclistes de l’équipe de France disposent d’un revenu garanti par l’ANS de 40.000€ à l’année, elle verse la différence entre les revenus d’activité ou de prestations sociales et ce montant. Il en sont toutefois de leur poche pour financer certains déplacements de participation à des compétions ou stages.
Malgré les résultats, l’avenir n’est toutefois pas garanti. Si l’équipe de France compte une vingtaine de cyclistes de haut-niveau, une moitié seulement était professionnelle au moment des Jeux grâce aux emplois dans la police, la SNCF, et les sponsors engagés depuis 2019 dans le paracyclisme. Mais depuis les Jeux, la moitié des sponsors arrête et il est difficile d’en trouver d’autres. Le ministère des Sports ne compensera pas, son budget baisse d’un tiers dès cette année. Mathieu Jeanne veut toutefois rester optimiste, et espère augmenter l’apport en féminines : « Aux Paralympiques de Paris, on a eu 4 concurrentes de haut-niveau qui ont obtenu 2 médailles. » Et il s’occupe d’un stage de jeunes à potentiels : « Tous ont vu les Jeux. Il est un peu trop tôt pour apprécier un effet d’entraînement, mais je constate déjà un effet d’intérêt. » La réussite du paracyclisme sera-t-elle durable ? « Maintenant, il est davantage tourné vers la performance, avant c’était du social, conclut Laurent Thirionet. Nous, on est numéro 1 mondial. Le handisport n’est pas du sport, c’est terminé, les gens sont venus voir des performances. Le sport c’est avant tout du spectacle, il doit donner de l’émotion, pour vibrer quoi ! »
Qu’en disent des cyclistes ?
Alexandre Lloveras, Lyonnais âgé de 24 ans, court en tandem sur piste et route, catégorie malvoyant. Sur route, il a remporté l’or aux Paralympiques de Tokyo 2021 dans le contre-la-montre, ainsi que le bronze en poursuite individuelle et course sur route. Bronze qu’il a également obtenu lors des Jeux de Paris, toujours en course sur route, avec son guide Yoann Paillot. « J’ai choisi le tandem parce que mon père et mon grand-père font du vélo, mon arrière grand-père a ouvert le premier magasin de vélo de Montpellier, ça doit être dans nos gênes ! » Il apprécie d’aller loin, de découvrir des territoires, avec le goût de l’effort, en roulant sur la route et pas sur les voies cyclables. Employé civil du ministère des Armées jusqu’en 2026, il vit cyclisme : 800 heures de vélo l’an dernier, plus les préparations physique et mentale, avec l’hygiène de vie qui convient. Étudiant en kinésithérapie, les soirées déjantées ne sont pas pour lui : « Ma pratique du vélo est difficilement quantifiable parce qu’il y a un mode de vie, incluant la récupération le soir, on ne peut pas se contenter de nuits de 4-5 heures. » S’il a un salaire et le revenu ANS garanti, il estime toutefois à plus de 40.000€ les frais à sa charge.
« L’équipe de France de paracyclisme progresse depuis l’arrivée de Mathieu Jeanne et Laurent Thirionet. Les Jeux de Paris étaient exceptionnels à vivre, une médaille tous les jours, un collectif de dingue. Cette réussite, ce sont les bonnes personnes au bon endroit, chacun se donne à 100%, avec mécano, kiné, et beaucoup de travail. » Toutefois, il est prudent sur l’avenir : « Je ne vais pas me prononcer tant que c’est pas fait, ce qui est certain c’est que le budget va baisser alors que le sport apporte beaucoup aux personnes handicapées, aux malades chroniques, etc. Ce que je trouve dommageable, c’est qu’en février on se demande ce que sera le budget, alors qu’on devrait avoir une vision à long terme, c’est gênant pour le mécénat. » En 2025, il a déjà moins de mécènes et passe une vingtaine d’heures par semaine à contacter des entreprises, n’ayant pas les moyens d’employer un agent sportif. « Je dois trouver un équilibre dans tout ça. J’ai un pilote fidèle en compétition, et plein d’amis pour l’entraînement, alors qu’au début ce n’était pas évident. »
Médaille d’or en contre-la-montre sur route et d’argent en course sur route à Paris 2024, Thomas Peyroton-Dartet, 39 ans, vit avec les séquelles d’une ataxie cérébelleuse. Avant de rejoindre le paracyclisme, il était cycliste de haut-niveau de 2003 à 2007 dans le pôle France à Wasquehal (Nord). Gardien de la paix, il a évolué après un accident vers un poste de gestion des patrouilles, et depuis 2 ans bénéficie d’une décharge à temps-plein au sein de la mission sport de la police nationale. « C’est une professionnalisation dans tous les secteurs, je ne m’attendais pas à ce niveau de rigueur et de professionnalisme, avec l’évolution technique du matériel, l’entraînement, dans tous les secteurs en valide comme en handisport. » Malgré son accident de 2017, il continuait à rouler chez les valides et n’acceptait pas son handicap. « Un collègue voyait que je galérais, et je suis venu au paracyclisme. Il n’y a pas de friction entre handis et valides, le brassage s’est fait bien avant les Jeux de Tokyo. Moi qui ne voulais pas accepter mon handicap, je ne me sentais pas légitime en handisport. » Pour couvrir ses frais, il a décroché un partenariat avec le fabricant de cycles Lapierre et la foncière Ceetrus, ce qui couvre ses déplacements : « La dernière année ça allait, mais pas pour les stages sur piste à Roubaix. Il faut avoir les moyens et être prêt le jour J. Il faut savoir se vendre, prendre un agent, mais pas moi, je ne peux pas. Et les sollicitations prennent du temps. » Mais par dessus tout, il a évolué : « J’accepte maintenant mon handicap, par la discussion, l’échange, les coureurs des autres nations, en voyant qu’on est tous des sportifs de haut-niveau. »
Laurent Lejard, février 2025.