Le 20e anniversaire de la loi du 11 février 2005 a été marqué par de multiples événement, dont un colloque du Sommet Citoyen 2025 dédié au handicap. Organisé à l’Institut National des Jeunes Aveugles-Louis Braille (INJA), à Paris, il a permis à deux lycéens de l’établissement d’exprimer leurs attentes :
Nour Souid : Je suis élève à l’INJA, en classe de première, depuis un an. Avant, je n’étais pas en inclusion mais dans un établissement régional d’enseignement adapté (EREA) dans un cadre un peu plus scolaire, qu’on retrouve un peu moins à l’INJA. Je suis également l’une des représentants des élèves, avec Arthur, et présidente du Conseil de la Vie Sociale.
Arthur Gonthier : Je suis également représentant des élèves au Conseil d’Administration, et élève en Terminale. C’est ma 6e année à l’INJA, auparavant j’étais dans un collège ordinaire où les adaptations ne se passaient pas bien.
Question : Qu’est-ce qui vous a amené à participer à cette journée autour de la loi du 11 février 2005 ?
Nour Souid : La responsable du service éducatif du lycée nous a contacté puisqu’on est représentants. Elle voulait qu’on fasse une intervention pour parler de l’inclusion, de notre ressenti, qu’on parle avec des camarades en insertion scolaire et internes à l’Institut, avec d’anciens élèves.
Question : Qu’est-ce qui en ressort ?
Nour Souid : Voilà, je ne sais pas, parce qu’on nous a dit qu’on avait une vision assez pessimiste ! La responsable du S3AS [service d’éducation spécialisée et de soins pour élèves déficients visuels] nous l’a dit tout à l’heure. Nous, on se considère comme les principaux acteurs, et donc on est censé quand même un peu savoir ce qui se passe, on sait de quoi on parle…
Arthur Gonthier : On pense qu’il y a de nombreux points à améliorer pour appliquer la loi du 11 février 2005, et notamment la formation des Accompagnants d’Élèves en Situation de Handicap comme ça a été dit lors de la table-ronde. 60 heures de formation et très peu d’initiation à la déficience visuelle, ils ne savent pas comment aider les élèves dans les meilleurs conditions possibles.
Question : En sachant qu’il n’y a pas d’AESH à l’INJA…
Arthur Gonthier : Il n’y en a que dans les établissements ordinaires. L’INJA étant un établissement médico-social, l’Administration considère qu’il n’y en a pas besoin.
Nour Souid : A l’INJA, on est 9 par classe donc les professeurs ont plus le temps de se pencher sur nous, de travailler certains sujets avec nous, et hormis un seul élève du second cycle, personne n’a d’AESH.
Question : Alors pourquoi mieux former ces personnels qui interviennent sur tous les handicaps et niveaux scolaires ?
Nour Souid : Selon nous, ils doivent être formés à tous les handicaps qu’ils pourraient être amenés à fréquenter. On sait aussi que ce métier est quand même assez dévalorisé, les AESH ont un salaire qui reste minimum et pas tout le monde a envie de le faire. Ça les met dans des positions difficiles, et les élèves accompagnés aussi.
Question : Pourquoi former tous handicaps et non pas spécialiser les AESH ? Leur revendication, c’est d’être titularisés avec un véritable statut d’agent public de l’Éducation nationale…
Arthur Gonthier : Je pense qu’il faudrait aussi les spécialiser, parce que par exemple l’apprentissage du braille est extrêmement long. Des AESH pourraient apprendre le braille, d’autres la langue des signes, chacun pourrait se spécialiser sur un handicap précis pour mieux accompagner les jeunes.
Question : Peu d’enseignants en établissements ordinaires ayant des élèves sourds ou aveugles maîtrisent la langue des signes ou le braille, pourquoi alors former les AESH, ils seraient des interfaces entres enseignants et élèves ?
Arthur Gonthier : En fait, quand les enseignants transmettent des informations, l’AESH pourrait transcrire en braille et l’élève lire par lui-même.
Question : Le braille, c’est l’accès à la connaissance et à une langue écrite bien construite, à la syntaxe et l’orthographe ?
Nour Souid : Tout à fait. Après, l’orthographe peut se perdre au fur et à mesure. Je connais un jeune à l’Institut qui a trop pris l’habitude de travailler avec la synthèse et la dictée vocale et qui maintenant ne sait plus du tout écrire, ne sait plus lire, je pense que c’est assez problématique. On peut perdre cette connaissance.
Arthur Gonthier : Le braille est universel, il sert pour les matières littéraires, la langue courante, les symboles mathématiques, les partitions musicales.
Question : Il y a d’autres aspects sur lesquels vous souhaiteriez des propositions ?
Nour Souid : Oui, garantir un accès total au matériel adapté. On nous demande de faire nos demandes en début d’année pour être sûr qu’on aura les matériels à la rentrée, et encore. On nous donne des ordinateurs, et une fois qu’on sera partis de l’INJA, on devra les rendre. Lorsqu’on est en inclusion, on fait une demande de notification à la Maison Départementale des Personnes Handicapées et c’est elle qui nous fournit le matériel. Par exemple, pour moi cette notification s’arrête en 2028, donc je sais qu’en 2028 il va falloir que je renouvelle ma notification. On a eu plusieurs remontées de nos camarades qui disent « quand tu fais une demande à la Maison Départementale des Personnes Handicapées, on n’a pas à temps les matériels dont on a besoin. » Du coup, suivre est plus compliqué.
De plus, même si on fait la demande, on peut se retrouver sans AESH ou bien avec une AESH qui doit s’occuper de deux élèves, c’est quand même assez problématique pour suivre le cours. Il faut également expliquer aux professeurs comment on voit, les adaptations dont on on aurait besoin. C’est assez compliqué, et on pense qu’il faudrait mettre en place une personne qui serait l’interlocuteur spécialisé pour l’élève, discuterait avec la famille, les professeurs, ferait le lien entre l’élève et l’école comme on peut le faire dans les S3AS lorsqu’on est suivi par des éducateurs référents. Ce qui manque aussi, c’est le côté vraiment scolaire, un peu cadré, parce qu’à l’Institut on a pris l’habitude de trop se reposer sur nos lauriers, si je peux me permettre de dire ça. On a un rythme assez relâché comparé à l’inclusion, et je sais que quand je vais devoir partir de l’INJA, ça ne va pas être facile. Pour chacun d’entre nous ça ne va être facile parce qu’on aura trop pris l’habitude de compter sur les profs, ils savent notre handicap, ils nous connaissent. Alors qu’on va arriver dans un nouveau milieu, on va pas trop connaître, il va falloir expliquer aux profs.
Question : Il manque une ouverture sur le milieu ordinaire, le début de l’immersion ?
Nour Souid : C’est pour ça qu’on propose de créer une journée d’inclusion pour permettre à tous les élèves de voir ce qui se passe, même pour ceux qui sont en inclusion, qu’on leur explique qu’il y a des personnes en situation de handicap qui peuvent être amenées à être dans la même classe qu’eux, une sensibilisation du grand public.
Propos recueillis par Laurent Lejard, février 2025.