Vagues de chaleurs, inondations à répétition, délaissement de territoires, des dizaines de millions de français sont menacés de sinistres et catastrophes par les dérèglements du climat résultant de l’accumulation dans l’atmosphère de gaz à effet de serre. Si l’État a récemment annoncé un Plan national d’adaptation au changement climatique (PNACC-3), il est estimé par les organisations de l’Affaire du Siècle « largement insuffisant. Sans financement dédié, sans cadre contraignant, et sans suivi rigoureux, ce plan manque de mesures concrètes en matière de prévention et de gestion des risques, ne prend pas en compte les inégalités sociales et territoriales face aux conséquences du changement climatique et ne garantit donc pas la protection de toute la population face aux impacts inévitables et croissants du dérèglement climatique. »
Elles ont donc mobilisé 14 citoyennes et citoyens directement impactés pour poursuivre l’État devant la plus haute juridiction administrative afin de le contraindre à des actions réelles, concrètes. Parmi ces plaignants, Jean-Jacques Bartholome évoque ses difficiles conditions de vie à Grenoble (Isère), à l’excellente accessibilité mais devenant un four l’été du fait de sa topographie : une ville plate bordée de montagnes qui bloquent la chaleur. Né Infirme Moteur Cérébral il y a 68 ans, il habite dans un F3 au 8e étage d’un immeuble qui en compte 9, desservis par 2 ascenseurs. Se déplaçant en fauteuil roulant, il travaillait en Établissement et Service d’Aide par le Travail comme agent d’accueil, jusqu’à sa retraite en 2022. Une vie tranquille dans le quartier de la Villeneuve village olympique malgré les commerces fermés du fait des dealers, des altercations et tueries à répétition. Vie tranquille jusqu’au confinement du printemps 2020 où l’appartement est devenu pénible : baignoire inadaptée (il parvenait encore à y entrer mais plus à en sortir) le condamnant à la toilette au gant, accès impossible au balcon du fait de la présence d’un seuil, volets accordéon infermables en autonomie. Il rejoint alors l’Alliance Citoyenne, syndicat de locataires de bailleurs sociaux actif en Seine-Saint-Denis, Grand Lyon et à Grenoble, demande des travaux d’adaptation… et rien ne se passe jusqu’aux épisodes de canicule de l’été 2023.
« Je ne pouvais pas aérer l’appartement parce que je ne pouvais pas manoeuvrer les volets, avec d’autres locataires on est allé agir devant le bailleur social Actis en occupant ses bureaux le 24 août, pour profiter de la climatisation. » Et cette action a été efficace : sa salle de bains est désormais équipée d’une douche à l’italienne, une rampe d’accès de 2,5m de long traverse le séjour pour accéder au balcon, et tous les volets sont changés et motorisés.
« Une ergothérapeute est venue en septembre 2023 pour définir les travaux, ils sont presque finis. Mais Actis m’a reproché d’avoir médiatisé, et on m’a dit On vous fait les travaux mais vous restez dans l’appartement. » Il demeurera donc tributaire du fonctionnement des ascenseurs et des pannes ayant à plusieurs reprises touché les deux appareils en même temps : « Une fois, une assistante sociale m’a dit de donner ma carte bancaire à une voisine pour qu’elle fasse mes courses ! », s’étonne-t-il encore. Au-delà de sa situation personnelle en passe d’être réglée, c’est pour les autres qu’il poursuit l’État : « Bien sûr, j’ai été pénalisé pendant le confinement, et la canicule de l’été 2023. Mais je le fais aussi pour d’autres personnes handicapées, j’ai un ami qui attend depuis 6 mois qu’on change une fenêtre de son appartement. » Si ces difficultés locatives sont du ressort d’un bailleur social, l’État qui le réglemente et doit théoriquement le contrôler est défaillant alors que les conditions de vie dans des immeubles en béton se dégradent du fait de l’absence d’action réelle contre les conséquences du dérèglement climatique que toute la population subit d’une manière ou d’une autre.
A une demi-heure de route de Grenoble, Jean-Raoul Plaussu Monteil vit à Villard-Bonnot. Ingénieur, il est âgé de 46 ans et vit avec une épilepsie apparue à la suite d’une encéphalite infantile, qu’il évoque dans l’autobiographie Épileptique… et alors ? « Je me suis intéressé au réchauffement dans les années 1990, au contact d’universitaires. Et j’ai vécu la canicule de 2003, avec des températures dépassant 35°. Ces périodes sont particulièrement dangereuses pour les épileptiques, j’ai d’ailleurs fait une crise en conduisant. » Avec comme conséquence un accident avec fracture sur la colonne vertébrale entraînant une immobilisation pendant 3 mois dans un corset : « L’été a été très pénible, je ne pouvais être que couché ou debout, mais pas assis. » Cette canicule a signé chez lui le retour d’une épilepsie qui était stabilisée, et depuis il ne conduit plus. Un premier déclic : « Tout le monde n’est pas égal face aux épisodes de canicule, j’ai ressenti ce que des personnes handicapées ou âgées, des femmes enceintes, des petits enfants vivaient, ça m’a ouvert les yeux. »
Il s’est documenté, orienté vers le milieu associatif, a pris conscience de la situation climatique et constaté le désintérêt des politiques : « Je voyais les élus ne considérer que le court terme, alors que l’actualité a amené son lot d’événements indésirables, et un changement des points de repères. J’attendais des changements sociétaux, politiques, individuels, économiques, mais on reste sur un schéma de société qui s’autodétruit. Les phénomènes de canicule accroissent considérablement le risque de crise épileptique, du fait de plusieurs facteurs dont les températures élevées la nuit empêchant de dormir, or le sommeil est un élément important pour stabiliser l’épilepsie. » Outre les 600 à 700.000 personnes épileptiques, de nombreux malades atteints d’affections chroniques telle la sclérose en plaques ou Parkinson sont également sensibles aux vagues de chaleur qui altèrent leur santé et génèrent des risques vitaux. « C’est une forme d’injustice parce que des personnes handicapées subissent des situations à risque, une précarité sociale et des mauvaises conditions de vie. Si on amplifie les phénomènes climatiques, ça s’aggravera. C’est un amplificateur des inégalités sociales en tous genres, le terreau d’une injustice. Et le recours m’apparaît pertinent pour que la justice remette l’État face à ses responsabilités. »
Laurent Lejard, avril 2025.