Que manque-t-il pour que les comédiens handicapés professionnels ou en voie de professionnalisation puisent travailler comme les autres ? Cette problématique était au coeur du colloque La résistible ascension du champ de l’art et du handicap qui s’est déroulé à Paris le 11 avril dernier. Colloque dont le titre est d’ailleurs devenu L’IRrésistible ascension, à la faveur de son report de quatre mois pour cause de grève…

Le public du colloque

Ce sont essentiellement les comédiens handicapés mentaux ou psychiques travaillant dans des structures artistiques adaptées qui ont été évoqués. Orientés en Établissement et Service d’Aide par le Travail par les Maisons Départementales des Personnes Handicapées, les futurs professionnels arrivent généralement sans formation initiale. « Qu’est ce qu’être artiste ? interroge Maud Verdier, maître de conférences à l’Université Montpellier 3. Avoir un statut, être syndiqué, obtenir la reconnaissance de ses pairs, s’auto-déclarer artiste ? Cette relation est complexe, parce qu’on peut être artiste sans formation ni diplôme, on apprend en travaillant. »

Le Songe d'une nuit d'été, Cie Interstices & La Bulle Bleue ©Marie Clauzade.

C’est à cela que sont confrontés les ESAT artistiques. « On participe depuis treize ans à la professionnalisation des usagers, justifie Alexey Khaziiev, coordinateur pédagogique du centre de formation à l’ESAT La Bulle Bleue. Des comédiens ne se reconnaissent pas comme professionnels, ne se sentent pas légitimes, même en jouant régulièrement. Pour transmettre, il faut se reconnaître. » Son établissement organise la formation des nouveaux usagers par des interventions permanentes de professeurs et des intervenants extérieurs. Et il a créé un centre de formation ouvert à tous ceux qui veulent se former dans une approche inclusive : « Nos comédiens sont aussi des formateurs. »

Quelques intervenants

Tout comme ceux du Théâtre du Cristal, ESAT du Val d’Oise, comme l’a expliqué Christian Burgess, directeur de cours d’art dramatique à Fonact, Fontainebleau School of Acting dont les cours sont dispensés en anglais. « Nous voulons faire plus que dire nous sommes inclusifs. Des comédiens du Cristal ont travaillé avec nos élèves qui ont bénéficié de ces rencontres grâce à leur spontanéité et générosité. »

Gulliver, le dernier voyage - création Catalyse ©Gwendal Le Flem

« Pendant quarante ans, le cadre sécurisant du milieu adapté a prédominé, intervient Thierry Seguin, directeur du Centre National pour la Création Adaptée [lire ce reportage]. Aujourd’hui, on vit un moment de bascule, une accélération post-Covid avec davantage de pratiques artistiques intégrant des acteurs handicapés. » S’il relève que des travailleurs handicapés sont davantage présents dans les métiers techniques et sur scène, il rappelle que leur taux d’emploi dans les structures artistiques est inférieur à la moyenne : « Il faut adapter la pédagogie des écoles artistiques, elles doivent s’adapter aux handicaps alors qu’actuellement c’est l’inverse. » Et s’il a assisté à la révélation de talents lors d’ateliers adaptés, Thierry Seguin déplore l’absence de mesures compensatoires : « Les comédiens handicapés doivent pouvoir exister professionnellement sans qu’un parent se sacrifie. Et on doit trouver des alternatives aux ESAT pour faire face aux talents émergents. » Il cite la compagnie Catalyse, en résidence au CNCA, qui pratique la cooptation pour intégrer la troupe : « Le degré d’attente ne peut pas correspondre aux places en ESAT artistiques, il faut inventer autre chose. En tenant compte du talent et du travail. » Avec une dizaine d’établissements et aucune création de places, l’accès aux métiers du théâtre est en effet durablement restreint, malgré la demande.

Directeur du festival Imago et du théâtre du Cristal, Olivier Couder estime nécessaire de revoir le fonctionnement des ESAT artistiques dont le statut ne permet pas aux artistes handicapés qu’ils forment et emploient d’accéder à l’intermittence (indemnisation chômage des périodes entre deux contrats de travail dans le spectacle). « On doit réfléchir à créer une filière en milieu ordinaire pour former, créer et diffuser. » Il rappelle que le métier de comédien repose sur un schéma classique : formation initiale, accompagnement vers la professionnalisation, diffusion des spectacles et accès à l’intermittence. « Il est compliqué pour les travailleurs d’ESAT de participer à des projets extérieurs. Pour cela, le Cristal a créé une agence qui propose nos comédiens aux casting ; on a régulièrement des demandes et on les accompagne tout le temps pendant leur travail. » Comme pendant le tournage du film Un p’tit truc en plus.

Le Loup, la jeune fille et le chasseur ©Eunwoo Messadi

Pour que les comédiens handicapés accèdent à un tel parcours, il lui semble essentiel de créer un métier d’aide mixant ceux d’agent artistique et d’AESH, l’Accompagnant de l’Artiste en Situation de Handicap apportant aide et soutien lors des engagements professionnels des comédiens handicapés dans des spectacles hors milieu protégé. Reste l’obstacle du nombre d’heures de travail à cumuler pour accéder à l’intermittence, chiffre trop élevé pour la plupart des comédiens handicapés. La balle est dans le camp des syndicats et des employeurs gérant ce régime d’indemnisation chômage, mais ils ne semblent pas volontaires pour établir un accès dérogatoire pour les comédiens handicapés.

A cela, le ministère de la Culture réfléchit avec deux groupes de travail, sur l’emploi et les artistes directement concernés, a précisé Violette Viannay, cheffe de cabinet du directeur général de la création artistique. « On demande aux salles d’introduire le handicap dans les projets d’établissements. On doit savoir comment on accompagne, comment passer de la formation à l’intégration professionnelle. C’est un travail sur le temps long. » Les comédiens handicapés sont prévenus…

Laurent Lejard, avril 2025.

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