La voirie des grandes villes est globalement inadaptée, ou mal adaptée aux déficients visuels : tel est le bilan que fait la Fédération des Aveugles de France (FAF) au terme d’une opération nationale médiatique d’information du public et de sensibilisation des décideurs politiques. Sept villes ont été visitées : Montpellier, Marseille, Metz, Bordeaux, Nantes, Lille et Paris. Aucune n’est exemplaire : bandes d’éveil de vigilance mal posées ou absentes des traversées piétonnes, trottoirs encombrés, incivisme des automobilistes et des livreurs, saleté des trottoirs, les principaux griefs et risques mettant en danger la circulation de tous les piétons (aveugles ou pas) varient selon les villes.
A Paris, ville complexe de par sa densité urbaine et sa fréquentation touristique, les incohérences d’aménagements ainsi que la piètre qualité des feux sonores ressortent, ainsi que l’encombrement des trottoirs par une multitude d’obstacles obligeant à marcher sur la chaussée, tels que des panneaux, des terrasses sauvages ou autorisées, des véhicules. Des désagréments compensés par l’aide spontanée : « Les parisiens, et aussi les touristes étrangers, sont très prompts à aider un piéton aveugle, précise le président de la FAF, Vincent Michel. Ça, c’est typique à Paris. Marseille est assez épouvantable. Il y a énormément de bruit, ce qui est très désorientant. Il faut faire une navigation entre les crottes de chiens digne des plus grands slalomeurs de la planète ! A Metz, la place de la République est un bel outil à fabriquer des personnes handicapées : un magnifique espace plan, tout lisse, sans bande d’éveil de vigilance, et au bout de l’espace, sans qu’elle soit signalée, vous avez une marche de 80 centimètres ! Il paraît qu’on ne peut pas y toucher parce que c’est l’oeuvre d’art d’un architecte… Quand je parle de formation des professionnels, c’est là l’exemple de ce qu’un architecte sensé n’aurait jamais dû faire. Nantes, pour les aveugles, ce n’est pas la gloire, avec les fameuses ‘dents de requins’ [plots triangulaires] qui jalonnent certaines places, les quais de tramways étroits et sans bande d’éveil de vigilance, des rames qui commencent à être vétustes ».
Les villes les plus faciles pour les déplacements des piétons déficients visuels semblent être Lille et Bordeaux. Questions à Vincent Michel :
Quel impact a eu ce tour de France sur les acteurs politiques ?
Vincent Michel : On a reçu beaucoup de témoignages de maires et d’élus, de députés, de sénateurs. C’est positif, mais encore faut-il que cela ne reste pas au niveau du témoignage et de la déclaration de bonne volonté. Ce qui est clair, c’est que cela nous a permis de reprendre pied dans le monde des politiques.
Yanous : Pourtant, aucun élu de premier plan n’a participé à vos parcours urbains à l’aveugle…
Vincent Michel : Si, on a eu le maire de Montpellier, Hélène Mandroux. On n’est peut-être pas assez fort, il faut continuer à ramer et à se faire encore davantage respecter.
Yanous : C’est seulement une question de force, ou la peur des politiques d’être confrontés à la réalité de la déficience visuelle et de devoir apporter des réponses ?
Vincent Michel : Il faudrait leur poser la question, mais peut-être qu’il y a les deux. Peut-être qu’effectivement Martine Aubry à Lille ne voulait pas se confronter à la cécité. Je pense à elle parce qu’il est possible qu’elle cultive un destin national l’an prochain… Il y a peut-être une peur d’affronter la malvoyance et la cécité. Le politique a toujours peur d’être pris en flagrant délit de non-réussite.
Yanous : Dans le contexte actuel de pression pour un report de l’échéance de mise en accessibilité, de révision des normes, quel bilan faites-vous de ce tour de France ?
Vincent Michel : Le bilan montre qu’il ne faut surtout pas reporter les échéances, qu’il ne faut pas modifier la loi mais la faire appliquer. Et on est plutôt dans une position dure aujourd’hui, vu ce que nous avons relevé.
Yanous : Comment pensez-vous rebondir sur les chantiers législatifs en cours ?
Vincent Michel : Nous allons faire une campagne auprès des députés et des sénateurs, en envoyant la photographie du sénateur Paul Blanc équipé de lunettes noires et d’une canne blanche, pour soutenir l’idée qu’il ne faut pas suivre son initiative [lire cet article NDLR] mais bien rester fidèle aux grands principes de la loi de février 2005. Ce qui est grave dans l’initiative de Paul Blanc, c’est qu’il veut notamment modifier la loi sur les équipements neufs. Qu’on ait des difficultés pour modifier des équipements existants et notamment très anciens, je peux le comprendre, mais qu’on remette en cause les principes de la loi sur le neuf est totalement inadmissible.
Propos recueillis par Laurent Lejard, mai 2011.