L’auditorium de la Direction Générale de l’Aviation Civile était comble ce 9 décembre 2011, pour la première conférence internationale sur la conception universelle qui se tenait à Paris. Une ville qui a, une fois de plus, démontré ses lacunes en terme de salle de conférence réellement accessible, et d’une contenance suffisante pour ne pas limiter le nombre de participants.
Organisée par l’Observatoire Interministériel de l’accessibilité et de la Conception Universelle (OBIACU), cette conférence s’est pourtant déroulée sans la présence de son président, Philippe Bas : sénateur UMP de la Manche, il est également vice-président du Conseil Général et devait, ce jour-là, défendre le budget des Affaires Sociales de son département… Autres absents, les deux ministres annoncés « sous réserve » : Marie-Anne Montchamp, secrétaire d’État aux Solidarités et à la Cohésion sociale, a toutefois adressé un message vidéo aux participants, avec Philippe Bas à ses côtés, qui a stupéfié le public en parlant de « personnes handicapantes« … Enfin, pour clore cette liste des désinvoltures ordinaires, Jean-Marie Barbier, président de l’Association des Paralysés de France a préféré se montrer devant les micros et les caméras d’un procès contre la compagnie EasyJet qui se déroulait à Bobigny, et dont la date était connue depuis le 20 juin 2011 : les organisateurs ayant refusé du monde, l’absence sans annulation préalable du président de l’APF a donc empêché une personne sur liste d’attente d’assister à la conférence…
Qu’ont raté les absents ? Des exposés mettant en évidence la diffusion de la notion de conception universelle dans les pays d’Europe occidentale et d’Amérique du Nord, mais avec une mise en oeuvre encore embryonnaire. Le philosophe et universitaire à la Sorbonne Michel Puech a axé sa réflexion sur la conception universelle dans le cadre de l’éthique appliquée : « Tous les humains ne sont pas de jeunes adultes mâles en bonne santé, anglophones et cultivés ! Peu de choses ont pris en compte cette réalité-là, cela oblige à réincarner nos valeurs. » Il estime que la facilitation de l’usage de nouveaux objets est une tendance irrésistible, malgré ses inconvénients, et qu’elle constitue un mouvement de fond. Mais il conclut en constatant que la conception universelle résulte d’une mise en oeuvre par les créateurs de produits, pas d’une demande émanant de consommateurs qui ne sont pas informés de son intérêt pour eux.
La Bostonienne Valerie Fletcher, directrice de l’Institute for Human Centered Design, met quant à elle en oeuvre la conception universelle pour répondre aux exigences la législation des USA, et notamment l’Americans with Disabilities Act (ADA) de 1990 : « Les critères légaux sont précieux pour définir les normes. La conception universelle consiste à revoir tous les environnements, au contraire de l’accessibilité. C’est un concept évolutif, des pratiques à venir plutôt que des normes fixées dans le marbre, pour créer un environnement durable […] La conception universelle est un cadre de réflexion qui met l’accent sur l’utilisateur : les Français sont là pour rappeler l’importance de l’esthétique ! » On comprend mieux cette réflexion lorsque l’on connaît la laideur des équipements d’accessibilité conçus selon les normes nord-américaines. D’autant que Valerie Fletcher rappelle que le handicap constitue le second moteur d’une conception universelle « au coeur d’une conception socialement durable ».
Autres pays, autres mentalités. Au Japon, Valerie Fletcher a constaté que les grandes entreprises et leurs dirigeants soutenaient des adaptations rendues indispensables par le vieillissement de la population : « 68% des japonais connaissent le terme ‘conception universelle’, c’est le résultat d’une vaste campagne publicitaire […] Dans ce pays, la diversité est remplacée par l’interdépendance. » Elle s’est également intéressée au Canada qui, en l’absence de législation semblable à celle des USA, témoigne pourtant d’un grand dynamisme, notamment dans la province de l’Ontario : « La population vieillit plus vite que les USA, et ouvre ses portes aux immigrés dont les Etats-Unis ne veulent plus. L’Ontario est dynamique grâce à cela. » Les jeunes conçoivent des produits d’usage universel que les plus âgés consomment, là encore l’accroissement de la part des personnes âgées dans la population est le moteur de la conception universelle.
« Les Norvégiens font de la conception universelle sans législation », estime pour sa part Franck Bodin, chercheur à l’Université Lille 1. Pour lui, le processus intègre les usagers et l’environnement dans toutes leurs diversités, une sorte d’idéal d’inclusion douce résultant d’un dialogue perpétuel entre évaluation et amélioration.
L’Irlande gère la question d’une manière originale, comme le montre l’exemple du marché de la distribution d’électricité, explique le Docteur Gerald Craddock, président du Centre for Excellence in Universal Design de la National Disability Authority : « La définition des clients vulnérables couvre tout le monde. » Les services doivent alors être conçus pour répondre aux besoins de tous les clients, la conception universelle servant visiblement en Irlande de garde-fou au libéralisme et à la déréglementation des activités économiques qui l’accompagne. Curieusement, aucun orateur n’a évoqué le projet de Directive de l’Union Européenne en matière d’accessibilité, comme si l’échéance en semblait lointaine… ou l’application illusoire.
La conception universelle répond-elle aux besoins des personnes handicapées ? Non, répond Lisa Denninger, experte en ergonomie physique chez le constructeur automobile PSA (Peugeot-Citroën) : « Nous concevons nos voitures pour 95% du public, un compromis entre réglages et coût acceptable. » Les personnes handicapées (ou hors normes) sont, au mieux, renvoyées vers des aménagements spécifiques qui obligent parfois à modifier la structure du véhicule. C’est le cabinet d’architecture Handigo qui met le doigt sur la question finale : l’accessibilité à l’heure de la conception universelle. Pour atteindre une bonne compatibilité, certains critères nécessitent une attention particulière, un niveau d’exigence supérieure, et une réflexion préalable sur l’usage réel des équipements. Une fusion de la démarche de conception universelle et des normes d’accessibilité, sur fond de viabilité économique. Un aspect absent des exposés des conférenciers, mais présent dans l’esprit du public qui a leur renvoyé la question : « Nous avons besoin des économistes », a répondu Valerie Fletcher. Dommage, aucun n’était invité…
Laurent Lejard, décembre 2011.