À l’approche de la soixantaine, Annie-Claude Poirat est Cognaçaise d’adoption : « Je suis arrivé à Cognac en 2003. Je venais de Haute-Savoie, j’habitais à Annemasse où je présidais un réseau de Maisons des Jeunes et de la Culture. Dès mon installation à Cognac, j’ai regardé autour de moi et constaté beaucoup de problèmes d’accessibilité. Alors j’ai intégré la commission extra-municipale d’accessibilité, à laquelle j’ai apporté les compétences que j’avais acquises auprès de l’Association des Paralysés de France : j’y ai milité durant 15 ans, j’étais référente pour la sclérose en plaques et membre du conseil départemental ».
Des activités associatives qu’Annie-Claude Poirat a suspendues depuis son élection au conseil municipal, pour se consacrer entièrement à sa tâche d’élue : « Je suis issue d’un milieu ouvrier, née dans le nord de la France. Je ne suis pas ‘encartée’ dans un parti politique mais je peux dire que je m’inscris dans une continuité familiale ». Continuité qui l’a conduite à rejoindre la liste de gauche, victorieuse lors des élections municipales de 2008, d’une tradition droitière : « La municipalité n’écoutait pas beaucoup la commission municipale d’accessibilité, j’en suis partie. Et j’ai rencontré Michel Gourinchas [Actuel Maire de Cognac NDLR] avant les élections de 2008. Il était conscient du parcours de rattrapage que la ville devait réaliser en matière sociale et d’accessibilité, pour une prise en compte globale du handicap. Il a fait appel à moi, et on s’est mis au travail. Je ne sais pas si on aura assez d’un mandat pour réussir : quand nous avons pris les affaires municipales en main, nous avons constaté que les diagnostics d’accessibilité n’étaient pas engagés, et nous les avons lancés immédiatement ».
Le plan d’accessibilité de la voirie et des établissements recevant du public a été réalisé avec un an de retard sur l’échéance légale. « Quand je suis rentré en campagne électorale, il y a eu de la jalousie. Dans ma famille, on m’a dit qu’il valait mieux que je m’occupe de ma maladie. Mais j’ai reçu aussi beaucoup d’encouragements. Mon engagement est un exutoire d’une maladie qui me rappelle régulièrement à l’ordre. Il me permet de mieux me connaître, et d’apprécier mes limites. J’apprends dans de nombreux domaines, je participe à plusieurs commissions municipales : si je pouvais être dédoublée…! »
Parce qu’elle estime considérable la tâche à accomplir : « La ville était vieillie, sale, laissée à l’abandon, avec quelques manifestations de prestige dont le festival du film policier [entre-temps disparu NDLR]. Il avait été créé par des maisons de Cognac qui l’ont ensuite laissé à la charge de la ville, alors que la population était maintenue à l’écart… Il y a de la misère, alors que les maisons de Cognac ont fait bloc pour empêcher d’autres entreprises de s’installer. Cognac était riche il y a plus de 30 ans. Mais la misère d’aujourd’hui, on l’a découverte lors de la campagne électorale, en allant dans les quartiers pauvres. Le taux de chômage est supérieur à la moyenne nationale, à cause de la crise que connaît le Cognac depuis longtemps. »
Annie-Claude Poirat préside la commission communale d’accessibilité et siège également à la commission intercommunale accessibilité de la Communauté de communes de Cognac : « Je travaille avec les services techniques et leur nouveau référent accessibilité. Ensemble, on règle les demandes des citoyens. La précédente municipalité créait à la demande des places de stationnement réservé devant les domiciles de personnes handicapées qui s’appropriaient ces places, ce qui pouvait dégénérer en disputes ! J’ai supprimé cette pratique : ce n’est pas parce qu’on est handicapé qu’on a droit à tout ».
Elle agit actuellement auprès de la communauté de communes pour la mise en place d’urgence d’un service de transport à la demande adapté, une solution qu’elle estime nécessaire pour le déplacement des personnes handicapées ou âgées dans une ville vallonnée, aux rues parfois pentues. « À Annemasse, un service similaire a été créé, d’abord avec un seul véhicule adapté. Maintenant, il y en a trois ». Les arrêts de bus dans Cognac sont en cours d’adaptation, et les carrefours sont traités en plateau relevé pour ralentir les voitures et garantir l’accessibilité.
L’intégration sociale lui tient également à coeur, et elle espère qu’à la fin de son mandat tous les enfants handicapés pourront être scolarisés dans l’école proche de leur domicile. »On voit davantage d’aveugles, de personnes en fauteuil roulant, de personnes âgées avec leur déambulateur. Parce qu’on a élargi le trottoir, aménagé la voirie. Parfois, il y a des remarques dans la presse locale, sur un abaissé de trottoir trop pentu par exemple. Alors je vais vérifier sur le terrain, j’explique aux services techniques comment on fait un transfert, je montre les risques et les dangers. Je confie aux autres mon fauteuil roulant pour qu’ils expérimentent à ma place, montent une pente ».
Cela l’a conduit notamment à placer l’Architecte des Bâtiments de France sur les pavés du parvis du château dans lequel François Ier est né. « Les gens ont peur du fauteuil roulant, ils craignent qu’il ne porte malheur ! Parfois, il faut que je me fâche, d’abord parce que je suis une femme, et en plus handicapée… La ville a fait l’acquisition d’une boucle magnétique mobile pour équiper la salle de conférences et de spectacles : il a fallu convaincre que c’était normal, que cela correspondait à l’autonomie d’un spectateur ou d’un participant malentendant. Il a fallu persuader l’équipe municipale d’aménager un élévateur fauteuil pour cette salle, installer des places pour les personnes en fauteuil et un élévateur mobile afin qu’elles puissent accéder à la scène. On a du mal à avoir ce déclic. Le handicap est encore tabou, caché, les gens ne demandent rien, comme il y a 50 ans. Et beaucoup passent à côté des soutiens et des aides. Mais ce qui les intéresse, c’est d’obtenir la carte de stationnement, même pour un léger handicap… »
Annie-Claude Poirat n’envisage toutefois pas de faire carrière : « Je préfère donner à ma ville. Est-ce que je resterai au Conseil Municipal après 2014 ? Ça dépendra des électeurs… et de la sclérose en plaques. Actuellement, je sens une poussée de la maladie, que je retiens, pour la traiter après les fêtes et l’élaboration du budget municipal. » Le devoir avant tout…
Propos recueillis par Laurent Lejard, décembre 2010.