C’est devenu une certitude, les personnels affectés à l’aide aux élèves handicapés vont progressivement quitter le giron du ministère de l’Education Nationale. Cela prendra quelques années, mais le mouvement est engagé : répondant le 22 juin dernier à une question orale du député UMP de la Marne Philippe Armand Martin, le ministre de l’éducation nationale, Luc Chatel, a confirmé que dès la rentrée scolaire de septembre 2010, près de 700 Auxiliaires de Vie Scolaire seraient employés en contrat de droit privé par des associations. L’Etat couvrira les salaires et versera de confortables frais de gestion (à hauteur de 44% de la masse salariale semble-t-il) sous forme de subventions, pour les heures de travail effectuées auprès d’élèves handicapés.
Dans ce contexte, l’association Inclusion 22 lance au ministère de l’Education Nationale une offre exceptionnelle de reprise de l’ensemble des aides-éducateurs et Auxiliaires de Vie Scolaire (AVS), qui ferait économiser 200 millions d’euros au budget de l’Etat. Une offre alléchante sur le papier, à laquelle le ministre n’a pas réservé le moindre début de réponse. Il s’agit pourtant de le débarrasser en quelques semaines de 55.000 salariés en contrat de droit public, transférés au secteur privé avec prise en compte du « passif social », pour reprendre l’expression d’Yves-Louis Boumier, Chef de projet d’Inclusion 22. « L’Etat perd chaque année 200 millions d’euros avec ces contrats, explique-t-il. Nous proposons de les pérenniser dans le cadre de l’insertion par l’économique ».
Inclusion 22 veut créer une Société Coopérative d’Intérêt Collectif (SCIC) nommée Agence 22, statut social qui lui permettrait d’obtenir une Délégation de Service Public « en quelques minutes, sans appel d’offres » selon Yves-Louis Boumier. Resterait à traiter l’épineux détail des 154 millions d’euros que l’Education Nationale ne verse pas au Fonds d’Insertion Professionnelle des Personnes Handicapées dans la Fonction Publique (F.I.P.H.F.P), le Parlement lui ayant voté une exception sur mesure au titre de son effort en faveur de l’accompagnement scolaire réalisé par les 20.000 AVS et assimilés. Cette exception tombera-t-elle si ces emplois sont transférés au secteur privé ? « L’Etat serait coemployeur, et notre partenariat public-privé est parfaitement réversible vers une agence nationale », conclut Yves-Louis Boumier.
« La proposition Inclusion 22 permet d’externaliser la précarité de l’Education Nationale vers une société coopérative sans apporter de garanties durables d’en sortir, estime Patrice Fondin, Vice Président de la Fédération Nationale des Associations au Service des Élèves Présentant une Situation de Handicap (FNASEPH). Nous n’arrivons pas à comprendre le montage financier qui aboutirait à ce que l’Education Nationale fasse des économies, dans la mesure où les seuls budgets transférables aux associations correspondent à de la masse salariale alors même que le taux de charges sociales du privé est supérieur à celui du public. Dans cette proposition, l’Education Nationale ne semble plus financer l’accompagnement des élèves en situation de handicap à l’école puisque l’économie budgétaire lui permettrait, selon les auteurs, de financer de nouveaux emplois dans son coeur de métier ».
Circonspection également pour l’Union Nationale pour l’Avenir de l’Inclusion Scolaire, Sociale et Educative (UNAISSE), qui qualifie de « commerciale » la démarche d’Inclusion 22, lui reprochant également un manque total de transparence. « Elle nous a démarché l’été dernier, explique le Conseil d’Administration de l’Unaisse. Notre présidente et notre secrétaire se sont vues ‘vendre’ leur projet avec force arguments pour les décider à adhérer au projet mirifique d’Agence 22 […] Des promesses ont été faites pour nous appâter, à savoir, des postes clefs pour les administrateurs d’UNAISSE ».
Il reste à connaître le point de vue du ministère de l’Education Nationale sur une offre « exceptionnelle » d’économie budgétaire de 600 millions d’euros sur trois ans, qui lui permettrait de supprimer 55.000 emplois d’un coup et de satisfaire largement aux critères de la Révision Générale des Politiques Publiques (RGPP). Mais le ministère préfère garder un silence, d’or évidemment…
Laurent Lejard, juillet 2010.