La réforme récente de la procédure législative a accouché d’une nouvelle forme de législation, la coproduction législative : les parlementaires disposent depuis plus d’un an d’une plus grande capacité de proposition de loi, le pouvoir exécutif ayant concédé une partie du temps qu’il s’octroyait autoritairement en vertu de la maîtrise de l’ordre du jour des assemblées législatives. Mais à y regarder de près, cette coproduction est rapidement devenue un moyen pour le Gouvernement de présenter des lois « par procuration ». C’est ce qui semble se produire avec la proposition de loi instaurant un dépistage précoce de la surdité dès le troisième jour suivant la naissance d’un enfant. Le fait que cette proposition émane d’un parlementaire dispense de la soumettre à la concertation des associations réunies au sein du Conseil National Consultatif des Personnes Handicapées (CNCPH). En effet, dans la continuité des débats parlementaires relatifs à la loi du 11 février 2005, le Gouvernement s’était engagé à soumettre au CNCPH les textes législatifs concernant directement les personnes handicapées.
Mais cela commence à devenir une habitude, le pouvoir actuel ne tient plus à discuter les dispositions qu’il entend prendre en direction des personnes handicapées. Et pour contourner l’obstacle de la concertation, il charge des parlementaires de déposer une proposition de loi. On se souvient que c’est par ce biais que l’Assemblée Nationale a donné il y a tout juste un an, le 1er décembre 2009, un caractère facultatif au plan personnalisé de compensation qui doit être élaborée lors d’une demande de prestations auprès de la Maison Départementale des Personnes Handicapées. Ce texte avait alors suscité la colère de la députée UMP Marie-Anne Montchamp qui aura à se prononcer en tant que membre du Gouvernement lorsque la proposition de loi viendra en débat au Sénat dans les mois qui viennent.
Plus récemment, la coproduction législative a été utilisée pour instaurer un large champ de dérogation à l’accessibilité des constructions neuves, ce que les parlementaires de 2005 avaient clairement refusé. Là, le vecteur était la proposition du sénateur Paul Blanc relative aux MDPH et à diverses dispositions législatives. Aujourd’hui, le même procédé tente d’imposer un dépistage néonatal de la surdité que certains professionnels de santé estiment prématuré : pourquoi tenter de détecter une éventuelle surdité chez un nouveau-né dont le système auditif n’est complètement formé qu’après le cinquième mois ? Une réponse triviale consisterait à considérer qu’il s’agit d’ouvrir un nouveau marché pour les praticiens qui effectueront ce dépistage systématique. Après tout, les trois députés UMP dépositaires de la proposition de loi sont aussi des professionnels de santé : Edwige Antier est pédiatre, Jean-Pierre Dupont vétérinaire et Jean-François Chossy préparateur en pharmacie… L’objectif, au-delà des grandes déclarations sur le respect de la liberté de choix du mode de communication, est d’inclure le petit enfant dans un processus de prise en charge médicale de la surdité. Comment en serait-il autrement ? Un bébé de quelques jours ou quelques mois n’est guère en mesure de faire valoir le mode de communication de son choix, entre le babil, le geste ou le babil gestuellement complété…
La procédure parlementaire est, heureusement, longue et il est fréquent que des propositions de lois adoptées en première lecture par l’Assemblée Nationale où le Sénat ne reviennent pas en débat. C’est tout ce que l’on espère pour ces trois textes qui, quelles que soient les intentions affichées, piétinent allègrement la vie quotidienne des personnes qu’ils prétendent améliorer.
Laurent Lejard, décembre 2010.