Elle avait une infirmité cérébrale et était « une charge » pour sa mère. Elle avait besoin d’assistance nuit et jour. C’est tout ce qu’on sait d’elle. Sa mère l’a étranglée le 23 août dernier, après lui avoir administré des calmants. Les médias en ont parlé, ou plutôt ils ont parlé de sa mère avec bien plus de compassion. Pas un mot pour la victime dont on ne sait rien de plus. Elle avait huit ans. Elle était un fardeau, un paquet trop lourd, trop encombrant. Elle attendait une place dans une institution. Vous voyez bien qu’il faut créer des places supplémentaires… Nicolas Sarkozy l’a dit. J’ai envie de pleurer. J’aurais voulu que nous soyons dix, cent en fauteuil roulant à son enterrement. Sa mère aura toutes les circonstances atténuantes et sera condamnée probablement à une peine légère avec sursis.
Il faut pourtant qu’elle soit condamnée à de la prison, même pour une courte période. Il le faut au nom de nous tous. On ne tue pas son enfant, surtout s’il a besoin de soins et de protection. On demande de l’aide. Au besoin, on le confie à l’hôpital. L’acte commis est inacceptable.
Mais sur le banc des accusés, il faudra mettre un représentant de notre société. Et analyser les responsabilités. Qui a contrôlé l’état d’épuisement de cette mère sans y apporter de soutien ? Qui est venu régulièrement à son domicile ? Qu’a fait la Maison Départementale des Personnes Handicapées chargée d’évaluer les besoins et d’y répondre? C’est ce procès-là qui doit avoir lieu !
Je suis aussi Infirme Moteur Cérébral. Je suis née voici 70 ans. A cette époque, il n’y avait rien. Les médecins ont généreusement dit à mes parents de me placer, de m’oublier car je ne parlerais et ne marcherais jamais… Ils n’ont heureusement pas suivi ces conseils. Ils étaient deux, certes, pour se relayer, « jour et nuit ». Qu’est-ce qui a changé ? Rien. Les parents sont seuls, affreusement seuls. Personne ne veut savoir.
Elle avait huit ans… Comment s’appelait-elle ? Avait-elle une fossette sur la joue ? Un joli sourire ? Une envie de vivre ?
Si elle était née en Suède, elle aurait eu, non pas une place dans une institution car il n’y en a plus, mais des assistantes auprès d’elle dans sa famille. Sa mère n’aurait pas eu besoin de quitter son travail. Une équipe les aurait soutenues, suivies. Elle aurait pu aller une journée, un week-end, une semaine, dans un petit foyer dont le nombre de résidents ne dépasse pas quatre enfants pour permettre à sa mère de souffler un peu. Son avenir aurait été assuré avec des assistants dans son appartement et des activités de jour.
Oui, bien sûr, la Suède fait partie de l’Europe ! A la télévision, on peut voir des reportages sur ces enfants à une heure de très grande écoute et tout le monde trouve ça très bien ! En France jamais, ou à l’heure où tout le monde dort, ou dans le but de récolter de l’argent…
Elle avait huit ans. Pour elle, pour les autres, il nous faut dénoncer, crier, témoigner, exiger. Elle avait le droit de vivre, d’aimer et d’être aimée.
Je vis en Suède pleinement et intensément depuis onze ans. Je suis accablée par ce drame et sais que d’autres suivront dans l’indifférence générale. J’ai honte de mon pays.
Gisèle Caumont, septembre 2010.