Le 27 avril dernier, les ministres chargés des personnes handicapées, Eric Woerth et Nadine Morano, annonçaient leur victoire dans un communiqué triomphant : le très contesté projet de décret portant réforme de l’Allocation aux Adultes Handicapés était approuvé par le Conseil National Consultatif des Personnes Handicapées (C.N.C.P.H). Certes, avec réserves, mais l’essentiel pour le Gouvernement résidait dans l’approbation par l’instance consultative rassemblant les grandes associations de personnes handicapées du projet écrit par le Président de la République et qu’il avait lui-même annoncé lors de la première Conférence Nationale du Handicap, le 10 juin 2008.
Cette victoire fut acquise grâce à une désertion de taille, celle de l’organisation qui depuis plus de trois ans a érigé les ressources des personnes handicapées en fer de lance de son action : le président de l’Association des Paralysés de France n’a pas siégé à la Commission Permanente du CNCPH chargée d’examiner le projet de réforme. Pourquoi ? « Des raisons d’agenda », expliquait le 21 mai dernier le Président de l’APF, Jean-Marie Barbier, dans une lettre à ses directeurs et Conseils départementaux. La date décisive avait été fixée 13 jours auparavant, un délai apparemment insuffisant pour que le président d’une association qui mobilise sans relâche ses militants et son réseau sur la question des ressources puisse modifier son agenda…
Mais ce même président prétend encore dénoncer publiquement, comme il le fait dans la dernière livraison du mensuel de l’APF, le caractère inacceptable d’un texte qu’il n’a pas mis en échec quand il en avait encore la possibilité. Ce grand écart digne d’un danseur de ballet classique est aisément explicable : la réforme de l’AAH a été voulue par Nicolas Sarkozy. La bloquer, c’est s’opposer à un « omniprésident » qui a affirmé sa volonté de culpabiliser les allocataires : s’ils sont employables, ils seront incités à travailler et devront quémander leur prestation tous les trimestres. « Pour vivre dans la société, avait clamé le Président de la République lors de la première Conférence nationale du Handicap, il faut travailler, il faut aller à l’école, il faut aller à l’université. Sinon, on est en dehors de la société. Attendez : je comprends qu’il y en a qui sont tellement lourdement handicapés que la question se pose pas [sic], je comprends parfaitement, je suis pas quelqu’un d’inhumain ! Mais je veux dire que sur le handicap moyen, la base, c’est de pouvoir aller au boulot, rencontrer des gens, sortir de son isolement, avoir une vie sociale. Mais qu’elle est la vie sociale qu’on a si on travaille pas, et si on va pas à l’école ? [re-sic] ».
Et comment résister à une telle force de conviction, même si l’on préside l’association créatrice du mouvement Ni Pauvre Ni Soumis qui a fait manifester 35.000 personnes dans la rue le 27 mars 2008 ? Face à ce dilemme, Jean-Marie Barbier a fait son choix : courage, fuyons !
Laurent Lejard, juin 2010.