Prenant le contre-pied du rapport parlementaire de juin 2006 consécutif à l’instruction judiciaire de l’affaire d’Outreau, le Président de la République a annoncé publiquement le 7 janvier 2009 son intention de supprimer le juge d’instruction, et de confier les enquêtes judiciaires au Parquet, mais sans rompre son lien hiérarchique avec le ministère de la Justice. La commission Léger avait suivi cette volonté en rendant 8 mois plus tard un rapport suivant scrupuleusement les instructions du chef de l’Etat. Cette mascarade illustre la conception de l’indépendance de la Justice selon l’Exécutif, et fait craindre la fin des investigations dans les affaires sensibles de santé publique comme l’amiante, ou, plus banales, comme les accidents du travail ou de la vie mettant en cause des intérêts économiques.
Pour la FNATH, association des accidentés de la vie, l’Association nationale des victimes de l’amiante (ANDEVA) et le comité anti-amiante de Jussieu, cette proposition relève d’un choix particulièrement lourd de conséquences pour la justice et la démocratie. En effet, pour les associations de victimes, la séparation des pouvoirs doit s’appliquer aussi à l’instruction des affaires : l’instruction – à charge et à décharge – doit dès lors être menée par des magistrats indépendants. Dans les dossiers de santé publique, où la responsabilité des pouvoirs publics est fréquemment mise en cause, l’instruction menée par un Parquet dépendant hiérarchiquement du pouvoir politique sera toujours entachée de partialité. Quelle que soit leur compétence et leur intégrité, les magistrats du Parquet ne pourront pas mener sereinement leurs investigations dès lors que l’intérêt de l’Etat ou de ses représentants sera en jeu. Comment imaginer un Procureur de la République recevoir un feu vert du Garde des Sceaux pour perquisitionner les locaux du ministère du Travail, à la recherche de documents compromettants dans l’affaire de l’amiante ?
En outre, le Parquet instruira nécessairement à charge. Dès lors, l’instruction à décharge incombera aux avocats de la défense. D’un coté, un Parquet puissant, disposant des moyens de police judiciaire pour mener ses investigations, et de l’autre des avocats disposant des moyens de leurs clients. Le système américain a montré que des innocents – souvent pauvres et issus des minorités ethniques – ont fait les frais de ce déséquilibre entre accusation et défense.
Ce n’est pas de la suppression du juge d’instruction dont la justice française a besoin. La justice française a besoin, en priorité, de davantage de moyens. Les victimes de l’amiante réclament régulièrement qu’un nombre suffisant d’officiers de police judiciaire soit affecté à l’instruction des affaires amiante, pour que celle-ci puisse être menée dans des délais raisonnables. En vain pour le moment… S’il convient d’aménager l’instruction, c’est bien pour en améliorer l’efficacité et la sûreté et non pour en amoindrir l’indépendance. Des propositions avaient été faites par la commission d’enquête parlementaire réunie après l’affaire d’Outreau qui avait, après une longue réflexion, maintenu les principes de collégialité de l’instruction et de contradictoire et rejeté l’évolution de notre système judiciaire vers un système accusatoire à l’anglo-saxonne.
L’exemple de l’amiante nous alerte sur les conséquences que pourrait entraîner un tel choix! Alors que les premières plaintes ont été déposées en 1996, à ce jour aucun procès n’a eu lieu, aucun responsable de la plus importante catastrophe sanitaire n’a encore été renvoyé devant le tribunal correctionnel. Or, ce déni de justice, on le doit en grande partie à l’inaction du Parquet, lequel serait prochainement chargé d’instruire les plaintes pénales.
Pendant une bonne dizaine d’années, l’instruction des dossiers amiante est restée en panne et aucun Procureur de la République n’a levé le petit doigt pour modifier le cours de choses. De même, aucun Procureur de la République n’a spontanément ouvert d’information judiciaire malgré le grand nombre de victimes localisées dans des sites. Il était pourtant évident et judiciairement démontré par la justice civile que des fautes pénales étaient à l’origine de la catastrophe de l’amiante et non moins évident que ces fautes avaient des conséquences d’une gravité exceptionnelle.
Arnaud de Broca, Secrétaire général de la FNATH, mars 2010.
Pour en savoir plus : Rapport parlementaire fait au nom de la commission d’enquête chargée de rechercher les causes des dysfonctionnements de la justice dans l’affaire dite d’Outreau et de formuler des propositions pour éviter leur renouvellement. Rapport du comité de réflexion, présidé par Monsieur Philippe Léger, chargé de formuler des propositions visant à réformer la procédure pénale.