Question : Pour le Premier ministre, la rentrée est « presque normale », qu’en est-il pour les élèves handicapés ?

Sonia Ahéhéhinnou : La rentrée des élèves s’est déroulée le 1er septembre, et pour les enfants en situation de handicap nous avons reçu des témoignages sur marentree.org de familles qui restent sans solution de scolarisation ou partiellement scolarisés, ou même en attente d’une place dans un dispositif particulier. Il y a beaucoup de choses mises en place par le Gouvernement, davantage d’enfants en situation de handicap qui sont scolarisés. Mais ce qu’on relève dans les témoignages, c’est que nombre d’entre eux ne sont pas scolarisés au bon endroit, par exemple des enfants accueillis en classe ordinaire au lieu d’un dispositif spécialisé d’Unité Localisée d’Inclusion Scolaire, n’ont pas une scolarisation adaptée. On remonte ces témoignages au Gouvernement pour dire « oui, il y a des réalisations, mais des familles restent en grande difficulté », faute d’une scolarisation adaptée et d’un accompagnement cohérent par rapport à ce qui a été décidé et notifié par leur Maison Départementale des Personnes Handicapées. D’autres enfants ont une notification d’aide par un Accompagnant de l’Élève en Situation de Handicap qui n’est pas mise en oeuvre, accueillis comme ils le peuvent par les enseignants ou maintenus au domicile. Des enfants attendent également une place dans l’un des établissements médico-sociaux qui ont des listes d’attente importantes, et en augmentation.

Question : 
Au fil des rentrées, on constate davantage de moyens, de personnels, pour accueillir les 380.000 élèves identifiés comme handicapés avec 100.000 personnels d’accompagnement scolaire, et pourtant ces moyens sont toujours insuffisants. Qu’est-ce qui manque encore ?

Sonia Ahéhéhinnou : Il manque une réelle connaissance des besoins. Tant qu’on reste dans le quantitatif et qu’une analyse qualitative ne sera pas faite, et ce n’est pas l’Unapei qui peut la faire, l’offre de scolarisation ne sera pas cohérente et ne correspondra pas aux besoins des enfants concernés. Actuellement, un enfant en attente d’une place en Institut Médico-Educatif et maintenu dans une classe ordinaire est comptabilisé comme scolarisé, et même s’il a un accompagnement AESH cela ne correspond pas vraiment à ses besoins, tout est décalé en fait. La problématique, c’est que tant que les enfants ne seront pas à la bonne place, ne seront pas précisément quantifiés, on ne pourra pas disposer des solutions correspondant à tous leurs besoins.

Question : À vous entendre, le service public de l’éducation inclusive serait une grande masse nationale qui ne serait pas capable de se décentraliser, descendre au niveau du terrain, une politique de l’offre alors qu’il faudrait une politique de la demande ?

Sonia Ahéhéhinnou : Voilà. Cela repose sur le croisement d’une politique de la demande avec une politique de la qualité de l’accompagnement, qui est très importante. Bien souvent, l’environnement éducatif n’a pas tous les moyens, un enfant qui a cinq heures d’accompagnement scolaire ne sera accueilli que pour ces cinq heures-là.

Question : Sur le terrain, c’est encore la gestion de la pénurie, du rafistolage pour tenter fabriquer des solutions éducatives, des suppressions de prestations. Vous avez le sentiment que le service public de l’école inclusive est correctement piloté nationalement et dans les académies ou qu’il est encore au stade du discours ?

Sonia Ahéhéhinnou : 
Le discours est très encourageant, force est de constater que le pilotage n’est pas efficient, il ne correspond pas à conduire notre société à avoir une école réellement inclusive. Elle n’existe pas aujourd’hui, et son pilotage n’intègre pas l’adaptation de l’environnement éducatif, tous les acteurs concernés ne sont pas autour de la table, pour élaborer ensemble des réponses correctes pour tous les enfants en situation de handicap.

Question : Mais plus globalement, est-ce que ce n’est pas la situation de pénurie de l’Education Nationale qui ne dispose pas des moyens nécessaires pour enseigner convenablement à tous les enfants, dans des établissements corrects, avec des personnels bien formés et considérés ?

Sonia Ahéhéhinnou : Tout à fait. Il faut partir de l’analyse des besoins de chaque enfant, parce qu’on individualise de plus en plus la scolarisation. Il faut s’attacher à répondre aux besoins particuliers de chaque élève, adapter leur environnement, le bâti, et les mentalités. Il est nécessaire que les enfants puissent aller à l’école de façon correcte, qu’ils puissent apprendre correctement pour se développer.

Question : 
Cette rentrée s’effectue avec des règles sanitaires particulières, dont le port obligatoire de masques de protection par les enseignants. Le ministre de l’Education Nationale a découvert la semaine dernière l’intérêt des masques transparents pour ceux qui enseignent en maternelle ou devant des élèves malentendants, sans évoquer les élèves handicapés mentaux qui ont besoin de percevoir les expressions du visage.

Sonia Ahéhéhinnou : La problématique des masques dépasse le handicap, c’est très complexe. L’utilité des masques ajourés est de voir les mimiques, l’expression du visage. Il faut réfléchir à ce que l’organisation mise en place dans les établissements réponde au plus grand nombre d’enfants, pour qu’aucun se retrouve en difficulté et au risque que des parents retirent le leur de l’école. Cela passe par les masques, les gestes barrière, et aussi par le bon sens. Parfois, les protocoles sanitaires sont restrictifs et contraignants, le bon sens peut améliorer cette organisation. Ce bons sens passe par la coopération entre l’équipe éducative, les collectivités locales qui interviennent sur les temps périscolaires, les parents d’élèves, une organisation de société qui ne fonctionne pas en silo. Ce système éducatif actuellement organisé en silo doit être repensé, il ne peut pas continuer à fonctionner dans ce contexte de crise avec tous les élèves handicapés ou à besoins particuliers qui viennent à l’école. On doit partir du principe qu’il y a des enfants avec des particularités et les prendre en compte pour construire vraiment l’école inclusive de demain.

Propos recueillis par Laurent Lejard, septembre 2020.

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