L’obtention d’une carte de séjour pour raisons de santé a été instaurée par la loi du 11 mai 1998. Elle est de droit lorsque le retour dans le pays d’origine aurait des « conséquences d’une exceptionnelle gravité » sur la santé du demandeur, faute de suivi et de soins appropriés dans le pays d’origine. L’appréciation de ces « conséquences d’une exceptionnelle gravité » repose sur l’avis des Médecins-Inspecteurs de Santé Publique (MISP) et de médecins agréés par les préfectures. Ce droit s’applique, quel que soit le motif et le cadre régulier ou non de la présence en France. Il ouvre automatiquement droit à un titre de séjour d’un an, renouvelé si nécessaire, qui autorise à travailler. Fondée sur des considérations humanistes, la portée de cette loi n’a pourtant cessé d’être limitée depuis son adoption, comme le constate l’Observatoire du Droit à la Santé des Etrangers (ODSE) dans son rapport bilan des 10 ans de la loi : « Les préfectures ont bâti, avec le soutien du ministère [de l’Intérieur], une pratique de l’endiguement de la demande, du contingentement des titres de séjour, bref une pratique de résistance à l’application du droit, une pratique de l’arbitraire ». À l’appui de ses dires, l’ODSE dénonce, par de multiples exemples, les entraves au séjour déployées par l’Administration au mépris des lois et règlements français, de la jurisprudence de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, et cela en toute impunité.
Les étrangers handicapés ne bénéficient pas d’une exception au droit commun, explique-t-on au Ministère de l’Immigration, de l’Intégration, de l’Identité nationale et du Développement solidaire (IMINIDCO) : ils peuvent obtenir un titre de séjour d’un an pour « considérations humanitaires » ou « motifs exceptionnels », ou au titre « d’étrangers malades ». Le Ministère estime que la France est l’un des rares pays à prévoir un droit au séjour pour les étrangers invoquant leur état de santé. Dès novembre 2002, un rapport de l’Inspection Générale de l’Administration commandé par le ministre de l’Intérieur recommandait d’inventorier les troubles de santé motivant un séjour en France, de recenser les infrastructures médicales des pays d’immigration, de contrôler étroitement l’activité des MISP qui accordent le droit au séjour. La suspicion est alors jetée sur ce droit, présenté comme l’ultime recours d’étrangers sans papiers, sans que la preuve d’abus significatifs soit rapportée par les dirigeants politiques. Les lois successives (Sarkozy I du 26 novembre 2003, Sarkozy II du 24 juillet 2006 et Hortefeux du 20 novembre 2007) ont, depuis, « détricoté » le droit au séjour pour raisons de santé. La loi Sarkozy II donne aux préfets le pouvoir discrétionnaire de substituer au titre de séjour d’un an une Autorisation Provisoire de Séjour de trois mois ne donnant pas le droit de travailler, délivrée à un seul des parents d’un enfant malade. « La France ne délivre que des Autorisations Provisoires de Séjour de 3 ou 6 mois, explique le Docteur Dominique Pataut de Médecins du Monde. Elles ne permettent pas de travailler ou de demander l’Allocation Adulte Handicapé ». Oeuvrant essentiellement au contact des demandeurs d’asile, Dominique Pataut constate qu’ils sont logés dans des hôtels inadaptés en cas de handicap moteur, sans programme particulier d’aide et d’accompagnement.
Pour tenter de filtrer les demandes, des « fiches pays » ont été élaborées par les pouvoirs publics, établies sur l’existence, dans une trentaine de pays d’émigration, de traitements médicaux de pathologies lourdes, mais sans tenir compte de leur accessibilité physique et financière. Un peu comme si l’on disait à un Niçois qu’il pouvait faire soigner son insuffisance cardiaque dans une clinique de luxe à Brest, en en supportant toutes les dépenses ! La qualité et l’exhaustivité de ces fiches pays sont vivement critiquées par les associations de défense des étrangers : recensement imprécis de l’offre de soins, hygiène médicale défaillante non prise en considération, absence de système de prise en charge. À cet égard, les étrangers adultes devenus malades ont, pour la plupart, cotisé à la Sécurité Sociale, qu’ils aient des papiers en règle ou non, sans être garantis du droit de se soigner en France lorsque survient une maladie invalidante ou un handicap empêchant de travailler.
Outre cette spoliation d’État, la répression à l’encontre des familles s’intensifie. Certes, la France n’expulse pas les mineurs, la loi l’interdit. Mais cette interdiction ne concerne pas leurs parents, avec comme résultat l’éclatement de la cellule familiale, généralement suivi du départ de France d’enfants livrés à eux-mêmes. Les autorités préfectorales ne font pas d’exception lorsqu’un mineur de la famille est handicapé, sauf en cas de pression citoyenne et associative, comme cela s’est produit dans l’Eure pour le jeune Joao Da Silva : « Après l’échec de tous les recours et une mobilisation citoyenne relativement forte à Evreux en 2007, explique Danièle Thuillier-Jugand pour RESF, nous avons obtenu des papiers pour les quatre adultes de la famille, un an plus tard. Reçus par le directeur de la règlementation et des libertés publiques pendant deux heures et demie, nous avons plaidé un réexamen du dossier à titre humanitaire et exceptionnel. Joao a obtenu ses papiers en janvier 2009, un logement adapté; il suit une formation et espère avoir prochainement un emploi. Bilan très positif après quatre années de démarches. »
À Lyon, le jeune algérien Mahdi Dif n’a pas eu cette chance : après qu’un cancer au tibia fut décelé alors qu’il avait 16 ans, il a dû attendre, pendant 1 an, visa et prise en charge médicale avant d’être soigné en France pour échapper à l’amputation. « Depuis, précisait RESF dans un message d’alerte de mai 2008, il vit avec une prothèse du genou qui doit être très régulièrement surveillée ». Mahdi Dif suivait des études, reconnu handicapé à 80 %, percevait une allocation et travaillait pour subvenir à ses besoins. Fin 2007, alors qu’il avait 19 ans, la préfecture a refusé de renouveler son titre de séjour et lui a délivré une Obligation à Quitter le Territoire Français (OQTF), confirmée par le tribunal administratif. Arrêté en avril 2008, placé au Centre de rétention de Lyon Saint-Exupéry, il a finalement été expulsé le mois suivant alors même que son état de santé nécessitait un suivi médical constant dont la technicité ne pouvait être assurée en Algérie.
L’IMINIDCO rappelle que le renouvellement du titre de séjour est possible si les motifs initiaux de délivrance sont toujours valables ou si d’autres peuvent être soulevés. Mais le fait qu’un adolescent ait bénéficié d’une éducation adaptée ne lui ouvre pas droit à un titre de séjour lorsqu’il atteint l’âge adulte. Avec comme conséquence un gâchis humain, un nouveau déracinement, ainsi qu’un investissement matériel et financier de la collectivité nationale à passer par pertes et profits. L’IMINIDCO précise par ailleurs que la politique « d’immigration choisie » ne comporte pas de mesure spécifique applicable aux personnes handicapées. Il assure qu’aucune expulsion de personne handicapée n’a été signalée par les associations chargées d’assister les étrangers en situation irrégulière : visiblement, le ministère ne lit pas les rapports desdites associations…
Le droit au regroupement familial est mis en lambeaux. La loi dispose toujours qu’un travailleur immigré peut obtenir un titre de séjour pour son épouse et ses enfants. Mais entre autres restrictions, la loi Sarkozy II a subordonné l’octroi de ce titre de séjour a des revenus supérieurs au salaire minimum (SMIC). Cette disposition s’est avérée préjudiciable aux travailleurs handicapés en Centre d’Aide par le Travail. Saisie par deux d’entre eux, la Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l’Égalité (HALDE) a, dans deux délibérations prises en décembre 2006, estimé discriminatoire ce seuil de ressources : la rémunération perçue par ces travailleurs lui était forcément inférieure. La loi Hortefeux a partiellement supprimé cette restriction, les bénéficiaires de l’Allocation pour Adulte Handicapé (AAH) ou de l’Allocation Supplémentaire d’Invalidité (ASI) étant désormais exemptés de condition de ressources. Mais la Halde estime toujours que la législation contient des dispositions discriminatoires, qu’elle énumère dans une note en date du 17 décembre 2007, à laquelle le Gouvernement n’a donné aucune suite à ce jour.
Contrairement à quelques personnes valides, l’intégration ne passe pas par le sport. « La Fédération Française Handisport n’a pas de politique de recrutement à l’étranger de sportifs handicapés », précise Jean Minier, responsable du Haut-Niveau et Directeur Technique National. À la différence d’autres fédérations sportives. Jean Minier précise néanmoins que la FFH reçoit des demandes émanant essentiellement de sportifs du Maghreb qui disent ne pas trouver dans leur pays les conditions sanitaires et sportives leur permettant de développer leur potentiel : « On ne s’aventure pas sur ce terrain-là, on les renvoie vers les règles ordinaires d’immigration. La Fédération n’a soutenu que deux demandes de naturalisation de sportifs de haut-niveau ». La FFH intervient également au coup par coup en faveur d’handisportifs étrangers présents en France depuis plusieurs années, lorsqu’ils rencontrent des problèmes de régularisation du séjour. Cela a, par exemple, évité au handibasketeur camerounais Joseph Kemgang d’être expulsé en 2005 : athlète de haut-niveau repéré par un club français qui l’avait fait venir en France, il a obtenu un titre de séjour d’un an, renouvelé jusqu’à ce qu’il demande un regroupement familial pour son épouse restée au Cameroun…
Après maintes interventions jusqu’au plus haut niveau de l’État, l’arrêté d’expulsion a été transformé en titre de séjour. Joseph Kemgang, qui a suivi une formation professionnelle en France, travaille depuis l’obtention de son diplôme de monteur-câbleur. Il a finalement obtenu une carte de résident de 10 ans en janvier dernier, et échappé à la rétention administrative. Sur ce sujet, le Docteur Claude Simonnot, cofondateur d’Handicap International et président de la société de conseil Steps Consulting Social, a élaboré le volet France d’une enquête commanditée par l’Union Européenne : « On a rencontré peu de personnes handicapées dans les centres de rétention. Les personnes qui ont des déficiences constituées sont repérées et retirées du processus de rétention. Mais la rétention fabrique du handicap parce qu’elle fragilise mentalement ». De fait, il est quasiment impossible à une personne handicapée motrice d’entreprendre le périple dangereux du candidat à l’émigration clandestine via les filières constituées en Afrique, celles dont les participants embarquent sur ces navires de fortune qui traversent la Méditerranée. « Mais le No Future génère des troubles psychiques, tempère Claude Simonnot. Les migrants qui sont bloqués dans le Nord, autour de Calais, la plupart originaires d’Iran ou d’Afghanistan, sont souvent des hommes en bonne santé physique mais avec des troubles mentaux générés par la guerre, les épreuves qu’ils ont subies dans leur pays et leur voyage, la rudesse de l’accueil. Cette rudesse est vivable quand elle a une fin : par exemple, à Malte, la rétention est limitée à 6 mois alors qu’au paradis Ikéa de Finlande, illimitée, elle rend fou ». À cet égard, Claude Simonnot estime que la France est « moins pire parce que les associations ont accès aux centres de rétention ». Dans son rapport 2007, la Cimade relève la création, en Centres de Rétention Administrative, de chambres adaptés aux personnes handicapées motrices, qu’elle qualifie « d’acharnement de l’administration ».
Face à une situation inique dans un pays qui se prévaut toujours d’être emblématique des Droits de l’Homme, la contestation civile s’organise. Certains citoyens n’acceptent plus la politique en direction des étrangers (qu’ils soient ou non en situation régulière) et organisent des actions de protestation publique, assistant juridiquement et alimentairement les personnes démunies, hébergeant et parfois cachant des personnes menacées d’expulsion. Nombre d’entre ces « résistants » d’un nouveau genre sont regroupés dans le Réseau Éducation Sans Frontières (RESF) fondé en juin 2004 mais sans existence juridique propre : il rassemble associations, collectifs, individus.
Constitué après une série d’expulsions de parents dont les enfants étaient scolarisés, RESF s’est étendu au-delà de l’Éducation Nationale. Il s’appuie sur la doctrine de désobéissance civile pour « montrer à la jeune génération qu’on dit sans repères, que la justice, l’altruisme, la solidarité, le dévouement à une cause commune ne sont pas des mots vides de sens. Et que certains adultes savent faire ce qu’il faut quand des jeunes sont victimes d’injustice ou plongés dans des situations intolérables ».
Laurent Lejard, octobre 2009.