« J’ai toujours aimé écrire, s’exclame Claude Pinault, c’est un rêve de jeunesse ! ». Son premier roman, il l’a rédigé à l’âge de ses 15 ans, piqué d’érotisme torride fantasmant sur ce qui se pouvait bien se cacher dans la culotte des filles… Et avant d’entamer une vie de père de famille, vers ses 25 ans, il a côtoyé quelque temps François Cavanna et l’équipe de Charlie Hebdo. Ce goût de l’écriture, du romanesque, de l’auto-ironie, il le puise à la source d’un grand-père « intellectuel paysan », issu d’une famille de banquiers ruinée, reconverti comme pépiniériste mais davantage attaché à ses livres qu’aux plantes. Les plantes, Claude Pinault les a quotidiennement fréquentées chez ses parents maraîchers, qui voulaient faire de lui un ingénieur agronome.
Ce fut finalement un homme très occupé, ayant créé ses propres activités pour rester indépendant, participant à de multiples associations et rénovant en famille la vaste maison qu’il occupe encore dans les environs d’Orléans, qui s’effondra en quelques heures, au retour des vacances d’été de 2005.
La fulgurance de cette maladie, diagnostiquée bien plus tard comme un syndrome atypique de Guillain-Barré, Claude Pinault la relate aujourd’hui dans un long récit de plus de 300 pages qui vient de paraître chez Buchet Chastel, Le syndrome du bocal. Un récit haletant, succession de phrases courtes plongeant le lecteur dans l’urgence de la survie face à la disparition inexorable du fonctionnement musculaire. Une écriture apaisée, toutefois, qui prend davantage son temps lors de la reconquête de l’autonomie et de la découverte d’une autre humanité, celle de personnes handicapées côtoyées quotidiennement dans l’établissement de rééducation qui a rendu à l’auteur sa condition d’homme.
Une renaissance émergeant de cet enfer qu’est un syndrome de Guillain-Barré, réversible dans la plupart des cas mais parfois mortel : les défenses immunitaires de l’organisme détruisent la gaine de protection des nerfs (myéline) livrant les membres paralysés, le corps entier à d’incessantes morsures électriques que les médicaments ne peuvent calmer. Claude Pinault décrit ces phases cliniques, en les replaçant dans leur contexte mental et émotionnel : un homme robuste, sportif, ayant vaincu un cancer de la thyroïde, qui se pense invulnérable et se retrouve alité inerte, foudroyé en quelques heures et en pleine vie par un mal mystérieux. Mais un mal qu’il faut soigner, en laissant un corps immobile aux mains (et au mental) des autres, les soignants, professionnels attentionnés ou employés désinvoltes, médecins concernés ou pressés d’en finir avec un cas trop lourd. Se battre contre un corps qui ne répond plus et semble vouloir vous détruire, contre les bonnes intentions de circonstance des amis qui vous regardent pitoyablement, contre une institution médicale dépersonnalisante capable du meilleur et du pire, se battre enfin pour revivre dignement.
« Une méthode Coué ou, pour faire riche, une programmation neurolinguistique, explique Claude Pinault. Je visualisais le mouvement d’une main pour tenter de le reconstituer ». Un combat, accompagné d’une colère qu’il crie au handicap et aux valides qui ne comprennent pas : « Beaucoup ont peur de la maladie. Du jour au lendemain, les gens ont su que j’étais paralysé, un effet boule de neige dans l’entourage amical et professionnel ». Sa lutte, il l’a conduite avec sa femme, ses enfants, jusqu’à la limite de la rupture : « Trop d’amour me faisait sombrer, j’entraînais tout le monde dans ce malheur. Quand on découvre son handicap, on se dit que c’est injuste. Après, on en fait son deuil, et on fait comme on peut ».
Finalement, Claude Pinault s’estime chanceux. Son récit est publié chez un éditeur prestigieux, il est invité pour des présentations publiques, et au mois d’août au festival De la plume à la toile, en Aquitaine.
Sa nouvelle vie d’écrivain conduit Claude Pinault à travailler d’ores et déjà sur un deuxième ouvrage, qui sera le récit romancé d’un lourd secret de famille… Une chorégraphe s’intéresse par ailleurs au Syndrome du bocal, une adaptation théâtrale ou cinématographique s’esquissent. À l’aube de la soixantaine, la vie de notre auteur s’ouvre donc sur une richesse humaine inimaginable quelques années auparavant : merci Guillain-Barré ?
Laurent Lejard, juin 2009.
Le syndrome du bocal, par Claude Pinault, éditons Buchet Chastel, 21€ en librairies.