À seulement 24 ans, Tania Tchénio a déjà fondé sa propre compagnie théâtrale, Du pain sur les planches, qui a cinq pièces à son répertoire (dont deux peuvent être jouées en appartement). Comédienne et metteure en scène, elle crée des spectacles bilingues français-langue des signes française, pour faire se rencontrer artistes et publics sourds et entendants.
Elle a suivi des études universitaires d’arts du spectacle, a appris son métier de comédienne dans plusieurs écoles, s’est initié à la L.S.F chez International Visual Théâtre (I.V.T). « Quand j’ai voulu créer ma compagnie, en 2006, le bilinguisme et la mixité se sont naturellement imposés. Je m’intéresse à la langue des signes depuis l’adolescence, mais je n’avais jamais eu l’occasion d’apprendre, reculant le moment du premier stage. J’y suis venue par hasard. Quand j’ai commencé l’apprentissage, ça a été un véritable coup de foudre, j’ai poursuivi par passion ! Dans ma volonté de mêler la L.S.F à mon travail, il y a la théâtralité de cette langue : elle est très intéressante à porter sur scène. Il y a ensuite un souci d’accessibilité, pour que le public sourd puisse voir des spectacles et que les entendants découvrent cette langue ».
Quand on lui demande ce que la langue des signes lui a apporté sur un plan personnel, Tania Tchénio réfléchit : « C’est difficile à expliquer en mots, je pourrai vous le signer peut-être ! C’est une très grande ouverture. La langue des signes offre une nouvelle façon de penser, de rêver en images, elle m’a beaucoup parlé, dès le début. Il n’y a pas une langue qui va plus loin que l’autre, simplement on peut exprimer des choses très différentes, par exemple dans la direction d’acteurs pour tout ce qui est théâtre visuel ou corporel : diriger un comédien en langue des signes est beaucoup plus direct qu’avec un entendant auquel il faut tout réexpliquer. Alors qu’avec l’aspect visuel et iconique de la langue des signes, on fait passer les choses plus directement ».
Tania Tchénio doit bien évidemment tenir compte, pour ses mises en scène, du positionnement des spectateurs qui doivent voir tous les comédiens signants : « On a rencontré ce souci lors de la réalisation de courts-métrages, on s’est rendu compte que le cadrage était limité au plan américain et que l’on ne devait pas filmer de trop loin ou trop près. Mais on s’en accommode, et dans la contrainte, on est plus créatif. Ce que je voulais absolument éviter dans mes spectacles, c’est d’avoir une simple traduction en langue des signes. Je réalise des créations bilingues : le dernier spectacle, ‘Bulles’, a d’abord été écrit en français puis adapté en langue des signes, alors que le précédent avait été créé en signes sur le plateau avant sa traduction en français. On trouve rapidement des codes, on attribue un signe pour nommer chaque personnage, tout est possible ».
Tania Tchénio approfondit sa connaissance de la L.S.F tout en travaillant, et se repose sur les comédiens sourds pour réaliser l’adaptation des spectacles en langue des signes. Elle a dirigé de nombreux acteurs sourds. Pour les petits, elle a créé « Ma vie en couleurs », où S.O.S Fées part à la recherche des couleurs perdues par un enfant, argument d’un voyage et de découvertes. C’est pour la pièce « Bulles », sur un texte de Pierre Morice, que Tania Tchénio a été récompensée par une bourse Déclics jeunes de la Fondation de France : « Ce conte poétique nous parle de la nostalgie d’une enfance réelle ou fantasmée ». Il a été joué à Lyon en avril dernier, et Tania Tchénio espère le reprendre prochainement en l’intégrant à une semaine thématique sur la L.S.F, comportant des ateliers pour enfants et adultes, des expositions d’artistes sourds. En mai dernier, elle a participé à une résidence d’artistes organisée dans les environs de Nice : « Il y avait deux autres comédiens, un sourd russe et un entendant niçois. Nous avons travaillé sur un conte ruse, l’Oiseau de Feu. C’était un vrai challenge de créer un spectacle en une semaine, j’étais un peu inquiète au début. Mais quand on se concentre sur l’essentiel, ça marche. Il y avait une très bonne entente, on a réussi avec une dynamique très positive ».
Propos recueillis par Laurent Lejard, juin 2008.