« Quand j’étais pilote, j’étais en vacances tous les jours, je me levais avec le sourire, c’était le métier de mes rêves ! ». À bientôt 46 ans, Thierry Jolet évoque les yeux brillants les années pourtant mouvementées qu’il a passées aux commandes d’avions de toutes sortes lorsqu’il pilotait en Afrique, entre 1995 et 2000. C’était avant l’accident aérien qui l’a rendu paraplégique. Il avait rejoint la caste des pilotes professionnels sans faire Math-Sup ni une grande école : « La formation de pilotes de ligne coûte 150.000€ à une compagnie aérienne. Mais elle peut s’acquérir par la petite porte : j’ai passé mes licences professionnelles aux États-Unis en accumulant 400 heures de vol ». Il a ensuite travaillé en Afrique : « J’ai effectué toutes sortes de voyages. Au Gabon, transportant du fret pour des compagnies pétrolières, des familles avec lesquelles on passait la journée et tissait des liens, j’ai transporté des hommes d’affaires. Chaque vol avait un but, notamment humanitaire. J’ai fait de l’évacuation dans des zones de guerre, je travaillais pour une compagnie d’aviation d’affaires ».
Thierry Jolet a piloté des avions très divers, avec moteur à hélice, turbopropulseurs, réacteurs. « J’avais la liberté qui me plaisait, même si mon métier était dangereux ». Un danger qui l’a rattrapé le 17 mai 2000 à 12h30 : il était copilote d’un turbopropulseur de 20 places qui desservait une ville minière, le commandant de bord, dépressif, a abandonné les commandes lors de la phase d’atterrissage… « Je m’en suis rendu compte trop tard, j’ai agi comme j’ai pu pour éviter le crash, l’avion a heurté la montagne, il y a eu six morts et plusieurs blessés graves, dont l’un devenu tétraplégique, et moi paraplégique ».
D’origine martiniquaise, Thierry Jolet est rentré en Métropole après la tragédie pour recevoir soins et rééducation. « Après l’accident, j’avais la hantise de retrouver la vie sociale : je suis sorti dans des lieux d’affluence, pour analyser le regard des autres. J’ai pu revoler, ça m’a prouvé que je n’avais pas de blocage par rapport au pilotage. Il fallait que je travaille, pour avoir des revenus et une vie sociale. En centre de rééducation, j’ai cherché du travail sur Internet. Avant d’être pilote, j’avais été technicien, or Air France en recrutait un ayant des connaissances informatiques. J’ai été embauché rapidement, en mars 2001. Je connaissais pratiquement tout, j’ai travaillé à Roissy en étant immédiatement opérationnel. Je devais adapter à la pratique de la compagnie, les cartes de vol, les trajets d’approche ».
Mais l’éloignement entre domicile et travail l’a incité à changer de poste : « Une place d’instructeur en radiotéléphonie était disponible, pour spécialiser les jeunes pilotes. J’ai passé les tests, ça m’a un peu perturbé, ça ne s’est pas trop bien passé, le site n’était pas adapté à une personne en fauteuil roulant. Quelques mois plus tard, on m’a rappelé pour me dire que les locaux avaient été aménagés, et qu’on m’avait gardé le poste ». Depuis, Thierry Jolet forme des pilotes, jeunes ou confirmés, aux procédures de radiotéléphonie, qui sont vitales dans les situations d’urgence. « Des pilotes ne savent pas que j’ai moi-même été pilote, parfois on me prend de haut : alors j’explique ce qui m’est arrivé et qui pourrait se reproduire. Parfois, c’est un petit combat : le professeur doit faire la démonstration, le handicap me rehausse dans mes compétences. Pilote est un métier qui demande une remise en question constante, alors que certains vivent sur leurs acquis. J’utilise mon expérience, je raconte des vols ‘chauds’, où il fallait piloter et non pas laisser faire un ordinateur. En situation critique, on doit penser à plein de choses : protéger les passagers, se préserver soi-même, mettre le masque à oxygène, lancer l’appel de détresse. Bien le faire peut vous sauver la vie. »
Depuis quelques mois, Thierry Jolet bénéficie d’un mi-temps thérapeutique qui lui permet, en conservant l’intégralité de son salaire, de s’adonner à son autre passion : la musique. « Je joue de la guitare depuis l’âge de 16 ans. Actuellement, je fais partie d’un groupe, Racines. On travaille ensemble deux fois par semaine, on prépare notre premier disque ». Un parcours de vie auquel il ne voudrait rien changer : « Aujourd’hui, je fais plus de choses qu’avant, des gens ne le croient pas. Je ne vois plus la vie comme avant »…
Laurent Lejard, mai 2008.