La rentrée des élèves handicapés se serait bien passée pour 96% de ceux qui devaient disposer d’un Accompagnant de l’Elève en Situation de Handicap (AESH). Tel est l’enseignement qu’ont tiré le ministre de l’Éducation Nationale, Jean-Michel Blanquer, et la secrétaire d’État aux personnes handicapées, Sophie Cluzel, devant le nouveau Comité national de l’école inclusive réuni pour la première fois le 4 novembre dernier. « Ce Comité est un moment d’échange où les associations peuvent avoir des retours d’information sur les cellules d’écoute, les équipes mobiles, etc., estime Diane Cabouat, Vice-présidente du Conseil National Consultatif des Personnes Handicapées (CNCPH). Et les associations peuvent partager leurs retours de terrain. On a eu le sentiment que les ministres sont conscients des difficultés de recrutement, des problèmes administratifs. » Une organisation de l’aide humaine aux élèves qui repose en bonne part sur les pôles inclusifs d’accompagnement localisés (PIAL) consituant des « réservoirs » d’AESH et de ressources pédagogiques adaptées à la disposition des établissements qu’ils desservent. En clair, l’AESH va vers les élèves sans que ces derniers soient regroupés dans un établissement bien doté.
Dure rentrée pour les AESH.
Reste que 4% d’élèves attendent encore, trois mois après la rentrée, cette aide humaine que leur Maison Départementale des Personnes Handicapées (MDPH) a jugée indispensable. Sauf que le recrutement n’a pas suivi pour diverses raisons qui parfois se cumulent : complexité administrative, retard ou perte de dossiers, carence de personnels acceptant de travailler pour moins de 700 euros par mois en contrat précaire, etc. Si la transformation des anciens contrats aidés (CUI) en Contrats à Durée Indéterminée de droit public s’achève (rappelons qu’elle a été lancée en 2016 par le précédent gouvernement, lire l’actualité du 29 août 2016), les piètres conditions de travail et le faible salaire inférieur à 700€ pèsent encore négativement sur le métier d’AESH.
Il est bien envisagé de leur permettre de prendre un second emploi auprès des collectivités locales pour compléter leur rémunération mais les discussions en cours sont suspendues à la décision que doit prochainement rendre le Conseil d’État : la plus haute juridiction administrative doit en effet dire à qui revient le paiement des heures d’AESH pendant les activités périscolaires, vieux contentieux que l’Éducation nationale traine depuis plus de huit ans. De plus, la rentrée des AESH a été plutôt catastrophique, marquée par d’importants retards de signature de leurs contrats par l’Administration et l’absence de paye pendant deux mois. Rien d’étonnant à ce que ces personnels aient maintes fois manifesté, la dernière fois le 20 novembre lors d’une journée nationale d’action.
La rentrée de septembre a encore été marquée par une augmentation du nombre d’enfants et jeunes handicapés scolarisés : 361.500, dont 58% bénéficient d’un accompagnement par AESH. Avec une création plus intensive des PIAL, qui couvrent 40% des établissements scolaires au lieu des 25 à 30% attendus, et la création de nouvelles unités d’enseignements d’enfants accueillis en établissements médico-sociaux, afin de les rapprocher de l’école ordinaire. « A ce stade et dans la mesure où les dispositifs concernant l’École inclusive du nouveau service public ont été déployés à la rentrée de septembre 2019, à mon niveau de bénévole je ne dispose pas d’autres éléments que ceux communiqués par [les ministres] lors du point de la rentrée du 4 novembre 2019, commente Philomène Cirjak, qui siège au Comité national pour la Fédération des parents d’élèves de l’enseignement public (PEEP). Il s’agit en effet de la première rentrée de l’École inclusive et de la mise en place progressive des PIAL avec la volonté affichée de mobiliser tous les acteurs ayant les objectifs partagés et d’avoir un suivi des moyens dans chaque département. » Un suivi nécessaire, notamment du fait de disparités territoriales. « Néanmoins, reprend Philomène Cirjak, on peut noter que l’idée de la mise en place des Comités d’usagers et de suivi à l’échelle du département ou de l’Académie est retenue (mais pas encore en place) pour un indispensable équilibre au plus près du terrain et des besoins des familles, des élèves, des professionnels (AESH), des enseignants. »
La quantité avant la qualité ?
Président de la Fédération nationale des associations au service des élèves présentant une situation de handicap (FNASEPH), Nicolas Eglin est partagé. « Globalement, on dresse un bilan plutôt positif. L’évolution va dans le bon sens, avec une restructuration de l’administration de l’Éducation Nationale et le service public de l’école inclusive, les cellules d’écoute départementales même si elle n’ont pas toutes été opérationnelles. » Elles ont toutefois été efficaces, recevant 15.000 appels téléphoniques concernant à 63% l’accompagnement par un AESH et pour 30% des problèmes liés à la MDPH. En tous cas, les associations de parents étaient moins sollicitées pendant la rentrée, et Nicolas Eglin compte sur une amélioration du dispositif : « Monter un service de ce genre prend du temps pour avoir des réponses pertinentes, et il faut voir quels circuits d’information doivent être créés en interne. » Toutefois, il constate l’absence de retour d’expérience sur les réponses apportées, et d’indicateurs de mesure de qualité. Et il reste, selon le ministre de l’Éducation Nationale, 4% d’élèves sans AESH malgré une décision d’attribution par leur MDPH, un pourcentage moitié moindre qu’à l’automne 2018. Mais si les chiffres semblent satisfaisants, la marge de progression en termes de qualité reste importante.
« La moitié des enseignants dits spécialisés n’ont pas de formation spécifique, déplore Nicolas Eglin. Les ministres n’ont pas dit grand chose sur les jeunes sourds ou aveugles, la concertation est repoussée d’un an sur le devenir des Instituts Nationaux de Jeunes Sourds ou Aveugles. On revendique un niveau de qualité de l’enseignement de ces jeunes sourds ou aveugles. Il y a un besoin de grande technicité d’accompagnement, mais qui a le pilotage ? Il manque des Ulis collèges et lycées. Il y a un vrai effort pour les AESH, la création d’Ulis, mais le rythme n’y est pas pour intégrer les enfants et jeunes actuellement en Instituts Médico-Educatif. » Un rythme que tempère Diane Cabouat : « Ce n’est pas pour tous les enfants, c’est un déplacement de curseur pour que ces enfants ne soient plus isolés, à l’extérieur de la société. Mais il faut s’interroger sur comment on apporte des réponses à tous les enfants. Là on se dit qu’il y a une marge de manoeuvre, l’école doit réfléchir à des solutions en son sein. Et créer de nouvelles écoles réellement adaptées. »
Quant à l’intégration des professionnels de santé venant dans les établissements scolaires prodiguer leurs soins, la démarche apparait longue et complexe, il faut affecter des locaux alors que la plupart des établissements scolaires en manquent. « On ne change pas une politique du bâti facilement, conclut Nicolas Eglin. Entre le projet et l’ouverture d’une école, il se passe quatre à cinq ans, alors comment réserver des pièces pour des intervenants extérieurs ? Cela ne se décrète pas de Paris, ça se construit avec les acteurs locaux. Et entre le temps scolaire, de loisirs, de rééducation, il faudra faire des arbitrages. » Pour éviter ce que les enfants et jeunes en éducation spécialisée vivent quotidiennement : quand le kiné ou l’orthophoniste est là, ils doivent quitter la classe, ce sont ces praticiens qui dictent l’emploi du temps.
Et du côté des élèves sourds ?
Si l’une des organisations du Comité national de l’école inclusive, dont la dirigeante préfère ne pas être citée, voit des avancées tout à fait positives et notables, elle relève que des élèves sont en difficulté, sans professeur signant ou interprète. Le libre-choix du mode de communication semble bien respecté mais sans les moyens nécessaires pour qu’il soit effectif. Elle relève le manque de ressources humaines en Langue des Signes Française ou Langage Parlé Complété, notamment chez les AESH, et s’interroge sur leur capacité à traduire toute la journée des cours complexes, estimant que les élèves sont accueillis mais en difficulté. Cette organisation déplore que peu d’académies aient mis en place le pôle d’enseignement pour les jeunes sourds (PEJS) pourtant obligatoire depuis deux ans et chargé de « regrouper dans un secteur géographique donné des ressources nécessaires à l’accompagnement des élèves ». A cet égard, la Direction Générale de l’Enseignement Scolaire de l’Éducation Nationale (DGSCO) estime prématuré de communiquer : successeur des inexistants PASS (Pôles pour l’Accompagnement à la Scolarisation des jeunes Sourds), un PEJS devait être créé dans chaque académie selon une circulaire publiée il y a 34 mois, délai visiblement pas assez long pour la DGSCO qui se refuse à préciser quelles Académies disposent d’un PEJS…
Résultat, outre les interprètes LSF il manque des codeurs en Langage Parlé Complété, les nouveaux PIAL ne correspondent pas aux besoins des élèves sourds dans leur besoin de communication, et des disparités territoriales sont constatées : refus du LPC en Haute-Vienne et ailleurs par quelques professeurs, absence de secteur médico-social de proximité en Ille-et-Vilaine par exemple. Et pour l’instant, l’intervention d’orthophonistes dans l’établissement scolaire reste à réaliser. Enfin, si la concertation sur la restructuration des quatre Instituts Nationaux des Jeunes Sourds se poursuit, cette organisation espère que l’expertise de leurs enseignants ne se perdra pas : devront-ils venir en appui des professeurs des établissement scolaires ? Alors que des parents d’élèves sourds évoquent un échec de l’inclusion scolaire et disent que leurs enfants trouvent une solution dans les INJS. L’école inclusive imposée à tous les enfants ne fait pas forcément leur bien…
Laurent Lejard, décembre 2019.