« Le plus petit dénominateur humain » est le premier roman de Valérie Liquet-Madry, avec sa part d’autobiographie, comme dans nombre de premiers romans : « Je me suis posé la question ‘qu’est-ce qui se serait passé dans ma vie si j’avais eu une autre famille, d’autres amis, dans ma relation avec ma soeur handicapée ?’. Il y a des moments, des situations dans lesquels j’aurais pu sombrer ». Mais Valérie n’est pas Sophie, la jeune femme du récit qui, entre une crise d’anorexie et une partie de jambes en l’air, décide d’écrire le journal de la semaine qui suit la mort de sa soeur Chloé, polyhandicapée aveugle sourde muette impotente, « vie sans vie ». Sophie a détesté sa soeur, et aussi sa mère parce qu’elle mettait Chloé en scène, à la plage par exemple, avec Sophie dans le rôle d’auxiliaire de vie. « J’ai une soeur qui ressemble Chloé, confie Valérie Liquet-Madry, qui vit le même handicap. Je trouvais intéressant de montrer une mère qui n’aide pas sa fille à grandir ». Un personnage de fiction, celui-là. « Ma soeur, poursuit l’auteure, est un être humain, on vient de la même mère, je m’en occuperai après mes parents. Je m’en sens responsable, attachée par un lien indéfinissable. Mais je n’ai pas d’amour pour elle, parce que l’amour est une relation réciproque, et que ma soeur n’exprime rien. Ma mère pense que sa fille la reconnaît. Mais s’approcher d’elle fait mal : elle s’agite beaucoup, on sort avec des bleus ».
Alors, Valérie Liquet-Madry envoie son double fictionnel en exutoire : « Sophie se dit que si elle se laissait aller, elle pourrait rejoindre Chloé, pour construire quelque chose avec elle. La mort fait remonter le désir, l’imaginaire, l’endroit où elles pourraient s’aimer. J’ai ce manque, pour toute ma vie. J’ai accepté de ne pas aimer ma soeur, mais personne n’a le droit de juger ». L’auteure a mis sept ans pour écrire et faire publier son histoire : « J’ai commencé ce livre sous la forme d’un polar. Les personnes handicapées, les marginaux, ont toute leur place dans le polar. Mais mon histoire ne collait pas au genre; j’ai lutté pour ne pas tomber dans le roman triste. J’ai écrit, abandonné, repris, laissé deux fois une chance au polar en l’envoyant à des éditeurs. J’ai reçu une réponse argumentée du Dilettante, qui a fait procéder à deux lectures, le premier lecteur appréciant, le second n’aimant pas ; il a adressé une critique de ce qu’il n’aimait pas et de ce qu’il appréciait ».
On retrouve la soeur de Valérie dans la description physique de Chloé : « Ma soeur est très impressionnante, avec des yeux globuleux, un nez écrasé par de multiples chutes, une langue qui sort. Je comprends qu’on la regarde, mais il y a des attitudes insistantes, de peur. Si la société acceptait les handicapés mentaux, on n’aurait pas besoin de mettre en scène ce handicap ». « Le plus petit dénominateur humain » deviendra peut-être un film : « Un producteur japonais s’intéresse au roman, je coécris avec lui le scénario d’un futur long-métrage. On a signé un contrat de cession de droits d’auteur. Écrire, c’est une chose mais l’image, c’est différent, je suis très pudique. Pourtant, on doit aller au bout, en ne sachant pas sur quoi on débouchera. Ça m’intéresse, je ne connais pas le milieu du cinéma ».
Valérie Liquet-Madry travaille sur un deuxième roman, de pure fiction cette fois, une relation amoureuse entre quinquagénaires. « Le dénominateur broie un peu; maintenant je voudrais faire une belle histoire sans que ce soit gnangnan. Les réactions de lecteurs que j’ai reçues proviennent de gens que je connais. La plupart disent qu’ils prennent un coup dans la gueule, dans l’estomac, au coeur. Ma mère est fière de ce roman et le défend ». Au premier tirage de 300 exemplaires, un second devrait suivre malgré une diffusion confidentielle : « Le livre n’est pas cher, les libraires rechignent à le proposer. Le roman va vivre du bouche à oreille. Je suis très contente d’avoir publié ». Un premier roman qu’elle doit à sa soeur : « Lorsque j’ai eu trente ans, j’ai pensé ‘qu’est-ce qu’elle m’a fait chier’. Mais si elle n’avait pas vécu, je n’aurais peut-être jamais écrit. Aujourd’hui, je lui dis merci ».
Laurent Lejard, mars 2007.
« Le plus petit dénominateur humain », de Valérie Liquet-Madry, a été publié aux Editions d’un monde à l’autre. 15€, en librairies.