Patrick Gohet, qui dirigea durant quinze ans l’Unapei, a été nommé Délégué Interministériel aux Personnes Handicapées le 26 septembre 2002, en remplacement de Patrick Ségal, nommé pour sa part Inspecteur Général des Affaires Sociales le 25 avril 2002.

Question :
 Comment êtes-vous devenu Délégué Interministériel aux Personnes Handicapées ?

Patrick Gohet : Je n’étais pas candidat, on m’a proposé le poste. J’ai eu du mal à me décider, on ne quitte facilement pas le poste de Directeur Général de l’Unapei, je n’avais même pas réalisé que Patrick Ségal était parti ! Mais j’avais cinquante ans, c’était une occasion qui ne se représenterait pas. J’avais entendu le Président de la République dire qu’il ferait du handicap l’un de ses trois chantiers prioritaires, je pensais qu’il y aurait certainement une grande réforme législative. Il a fallu construire une équipe : seul existe le poste de Délégué, le personnel est détaché par des ministères.

Question :
 La Délégation n’a pas d’existence légale ?

Patrick Gohet :
 La Délégation n’est pas créée, mais elle existe. Elle est installée dans les budgets, la répartition des moyens. Le Délégué dispose d’un budget de fonctionnement, et de collaborateurs. Les moyens ont été développés, des personnels sont détachés par les Ministères emploi et santé. On fonctionne dans un contexte budgétaire très serré.

Question : Quel a été votre rôle ?

Patrick Gohet : Je me suis très vite rendu compte que ce n’était pas un rôle hiérarchique, que c’était un rôle de facilitateur, de coordination, de dialogue, de création de consensus sur la plupart des dossiers. J’ai été très associé à la révision législative. Ça a été une construction progressive sur quatre ans. L’année 2002, le dispositif politique s’est mis en place : le Président de la République a lancé le chantier prioritaire, réformé et élargi le Conseil National Consultatif des Personnes handicapées qui est devenu le lieu central de la concertation, recréé le Secrétariat d’Etat, nommé un Délégué Interministériel. 2003, c’est l’Année Européenne des Personnes Handicapées qui a permis de parler du handicap, de mobiliser de nombreux acteurs. 2004 fut l’année de la loi, 2005 et 2006 celles des décrets et de la mise en oeuvre. On est face à un édifice législatif de 101 articles, 110 décrets et 20 ministères concernés ! Il reste une dizaine de décrets à boucler absolument avant la fin de la législature.

Question : 
Êtes-vous intervenu politiquement lors de l’élaboration de la loi, pour rappeler l’objectif à atteindre, ou êtes-vous resté dans une approche technique ?

Patrick Gohet : J’ai été associé d’un bout à l’autre aux travaux politiques autour de la loi. Que ce soit au niveau de la Présidence de la République, du Premier Ministre, ou interministériel. J’ai réalisé, durant mes fonctions, que la politique est une alchimie : il y a tellement de forces diverses qui s’exercent, les lobbys, les administrations avec leur culture propre, les approches politiques, les contraintes économiques, les circonstances. Par exemple, la canicule d’août 2003 a généré la transformation d’une simple Agence du handicap en Caisse Nationale de Solidarité pour l’Autonomie. La machinerie est très complexe, avec la feuille de route du Président de la République, les arbitrages du Premier Ministre. Petit à petit, une vision des choses émerge, qui unifie de plus en plus d’acteurs. Au milieu de tout cela, il faut comprendre la place que l’on occupe pour faire passer une idée, empêcher une évolution qui conduirait à une impasse. J’ai pu, connaissant le terrain, la diversité des handicaps, les aspirations des personnes handicapées, apporter dans cette alchimie ma dose d’ingrédients. Ça a été passionnant. Quand on rapproche le résultat avec la feuille de route qu’a défini le Président de la République au C.N.C.P.H, on comprend mieux la ligne directrice.

Question : Qu’a réalisé la Délégation dans ce chantier législatif ?

Patrick Gohet : La Délégation assure le secrétariat et le fonctionnement du C.N.C.P.H, avec un rôle de régulateur et de facilitateur du dialogue, on a réalisé des quantités de compromis. On a pris des distances lors de la remise en cause de certains principes, due à la pression de lobbys : il faut avoir le sens de la continuité. Je pilote le dispositif, moins connu, d’accueil et d’aide aux étudiants handicapés, qui mobilise huit ministères et des universités qui ont une autonomie de gestion; c’est de la persuasion, de la négociation, en mettant autour de la table associations, prestataires de services, administrations, Agefiph, c’est assez passionnant. J’entretiens les réseaux interministériels, dont celui qui traite de l’accessibilité, douze ministères se sont accordés sur une définition commune, c’est un travail de fond. Je me suis rendu dans dix-neuf régions pour des réunions de travail sous l’égide des Préfets et des DRASS, avec associations, administrations, présidents ou vice-présidents de Conseils Généraux, etc. Je regrette que les syndicats de salariés ou d’employeurs n’aient pas été invités, ça ne s’est pas imposé lors de l’organisation des réunions puis on s’est aperçu qu’ils auraient eu toute leur place; on abordait la scolarisation, l’emploi, l’accessibilité et les Maisons Départementales des Personnes Handicapées. Ces réunions ont lancé des initiatives, rappelé aux Préfets les commissions locales à mettre en place, pour l’emploi ou l’accessibilité. Et aucun élu ou association n’a remis en cause l’application de la loi, dans aucune des réunions.

Question :
 Quelles sont vos satisfactions… et vos regrets ?

Patrick Gohet : Cette période va léguer un arsenal juridique dont aujourd’hui on n’a pas évalué l’étendue des possibilités qu’il offre. Les ressorts de cette réforme sont considérables. Nous avons contribué à davantage d’unité, de transversalité sur l’approche du handicap. Si une Délégation interministérielle a une raison d’être, c’est bien dans ces domaines-là. Ce n’est pas parfait, mais on a fait progresser les choses. Je regrette de ne pas avoir réussi à créer une veille législative et réglementaire pour que la Délégation puisse identifier les textes en préparation qui ont un impact sur la personne handicapée. J’avais réfléchi avec mon équipe à une procédure, nous avions, avec le Premier Ministre Jean-Pierre Raffarin, réuni des administrations centrales pour réfléchir aux moyens d’organiser cette veille. Mais submergés par les textes d’application de la loi de février 2005, on a du arrêter; maintenant, il faut reprendre ce travail.

Question : Comment voyez l’horizon après les élections de 2007 ?

Patrick Gohet : Si l’Opposition n’a pas voté la loi dans son intégralité, elle a beaucoup contribué au travail qui a précédé l’adoption du texte. On peut dire de la loi de février 2005 que c’est une vraie loi de société. Demain, il faut faire vivre tout cela. J’estime que mon rôle est d’établir un état des lieux global de la réalisation de la réforme législative et de le tenir à la disposition des responsables politiques à venir. Cette réforme ne doit pas souffrir d’une longue pause qui handicaperait sa mise en oeuvre.


Propos recueillis par 
Laurent Lejard, mars 2007.

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