Fondée, selon la légende, par Ulysse, l’antique Olissipo est l’une des villes les plus anciennes d’Europe. Sa position privilégiée à l’estuaire du Tage en a fait une capitale économique dès l’époque phénicienne. Disputée par les Romains aux Carthaginois, elle fut ensuite wisigothe sous le nom d’Ulishbona, puis maure de 714 à 1147. Redevenue chrétienne à la Reconquête, elle connut ensuite maintes vicissitudes, impliquant notamment le puissant voisin espagnol, jusqu’à devenir, au XVIe siècle, grâce à son empire colonial, la ville la plus riche du monde. Pratiquement rayée de la carte lors du grand tremblement de terre de 1755, elle fut reconstruite selon des plans révolutionnaires pour l’époque. Au cours des périodes suivantes, elle perdit progressivement de son influence, notamment à cause du déclin colonial (perte du Brésil), de l’instabilité politique et de la montée en puissance des autres nations européennes.
Une histoire à connaître si l’on veut mieux appréhender la cité, et dont témoigne avec talent le Museu da Cidade. A visiter absolument malgré son éloignement du centre et sa difficile accessibilité autrement qu’en véhicule particulier ou en taxi (bon marché). Le Palácio Pimenta, dans lequel sont présentées les collections, remonte au XVIIe siècle et il a conservé son décor d’origine d’azulejos, ces fameux carreaux de faïence vernissée à dominante bleue, d’où leur nom. Les visiteurs en fauteuil roulant auront en outre la chance, en empruntant l’élévateur, de découvrir lentement et à bonne hauteur une époustouflante frise représentant une chasse. Autre pièce marquante, une immense maquette de la Lisbonne d’avant 1755. On regrettera en revanche qu’ici, comme ailleurs en ville, les cartels d’information oublient presque systématiquement le français alors que nos compatriotes sont, avec les Espagnols, les plus nombreux visiteurs du pays. Ne repartez pas du musée sans avoir fait un tour dans les jardins du palais et ses paons, qui sont très beaux et où deux pavillons d’architecture contemporaine présentent des expositions temporaires.
Lisbonne comporte en son centre quatre quartiers historiques principaux (Alfama/Castelo, Bairro Alto, Chiado, Baixa) auxquels il faut ajouter le célébrissime Belém et le récent Parc des Nations, situés respectivement aux extrémités ouest et est. Disons d’emblée que leur découverte, pour passionnante et romantique qu’elle puisse être, ne sera de tout repos ni pour les personnes utilisant un fauteuil roulant manuel, ni pour leur(s) accompagnateur(s), ni pour les déficients visuels. Les transports en commun (Carris) offrent en effet des niveaux d’adaptation très aléatoires : si les vieux tramways restent (hélas pour le fameux 28, toujours bondé sauf à ses terminus) totalement inaccessibles, certains bus sont équipés de palettes mais la plupart des arrêts ne sont pas adaptés. Les lignes de métro, à la signalétique très discrète, sont pour moitié d’entre elles dotées d’ascenseurs mais les rames (annonces vocales et visuelles des arrêts) comportent une lacune verticale importante avec le quai qui les réservent aux seuls fauteuils manuels avec aide vigoureuse; aucun plan des adaptations du réseau n’est disponible. On privilégiera donc le taxi, avec transfert obligatoire. Les trottoirs sont pavés, ce qui fait une partie du charme et de la renommée de Lisbonne mais peut, avec une voirie parfois défoncée, constituer un calvaire pour les personnes à mobilité réduite. Enfin, les quartiers typiques du vieux Lisbonne sont construits sur des pentes souvent très fortes qu’il serait illusoire d’espérer gravir par ses propres moyens ou ceux d’un accompagnateur, fût-il costaud.
Au départ de Baixa, on peut faire la queue pour emprunter l’étonnant et très photogénique ascenseur à double cabine de bois de Santa Justa, qui offre, outre un joli panorama, la possibilité d’accéder à mi-hauteur du Chiado sur une petite place bordée de restaurants et des ruines de l’église du monastère des Carmes, détruit par le tremblement de terre de 1755. Le reste du quartier, plutôt branché mais encore « dans son jus », évoque Naples ou Athènes : Lisbonne, la plus méditerranéenne des cités atlantiques… A l’ouest du Chiado, le Musée National d’Art Ancien (M.N.A.A), pleinement accessible, propose de belles collections de tableaux, sculptures, mobilier et céramiques parmi lesquelles on retiendra celles ayant trait aux explorations (fameux paravents japonais représentant des Portugais) et, dans un genre différent, la mémorable Tentation de Saint Antoine, de Jérôme Bosch, qui vaut à elle seule le détour. Outre des toiles de maitres de la peinture européenne, de nombreuses oeuvres portugaises sont exposées. En sortant, quelques rues adjacentes débouchent sur de beaux points de vue sur le fleuve et la ville.
A l’est de Baixa, sur la colline, les plus anciens quartiers de la ville, Alfama et Castelo, sont bâtis autour du Château Saint-Georges : panorama extraordinaire et toilettes adaptées mais accessibilité difficile et sols inconfortables. Le minibus 37 qui y monte n’étant pas équipé, le recours à un taxi s’avère d’autant plus indispensable que la circulation est restreinte et le stationnement quasi-impossible. L’endroit fait immanquablement penser à Montmartre, avec tout ce que cela implique… Le « bas » d’Alfama est plus sympathique (d’aucuns diront plus authentique) bien que tout aussi vallonné, avec ses immeubles couverts de céramique, ses riches palais parfois délabrés et ses points de vue sur le Tage; celui des Portas do Sol comporte en outre une partie aisément accessible en fauteuil roulant. On peut également y contempler, faute de pouvoir les emprunter, l’étonnant ballet de tramways hors d’âge dans des ruelles aussi étroites que pentues.
Alfama est enfin l’un des endroits où l’on peut entendre, dans des clubs réservés (mais difficilement accessibles) des chanteurs de Fado, plainte mélancolique typiquement portugaise accompagnée à la guitare dont la plus illustre représentante fut Amália Rodrigues (disparue en 1999). En descendant vers le Tage, derrière la cathédrale romane Sé Patriarcal (inaccessible) on peut découvrir un petit quartier portuaire partiellement réhabilité autour de l’étonnante Casa Dos Bicos (XVIe siècle) dont la façade diamantée, qui a échappé au tremblement de terre, abrite aujourd’hui un centre culturel.
L’hyper-centre reste Baixa, l’une des rares parties véritablement plates de la ville, reconstruite à angles droits au XVIIIe siècle par le Marquis de Pombal sur l’emplacement des destructions de 1755. La théâtrale Place du Commerce, à l’abord de laquelle sont installés les services de l’Office du Tourisme (accessibles par la rue de l’Arsenal, en face de l’élégante Praça do Municipio) donne d’un côté sur le fleuve et de l’autre sur un secteur piétonnier où alternent boutiques et restaurants. Il est agréable d’y déambuler de jour comme de nuit, à l’instar des Lisboètes, nombreux à fréquenter les terrasses des deux places qui marquent le coeur battant de la capitale : Don Perdo V et Figueira. C’est d’ailleurs sur cette dernière que vous déposera, si vous l’empruntez, l’ascenseur du métro. La Place Don Pedro V est limitée, sur son côté nord, par le Théâtre National.
En prenant à droite, on accède à un autre petit quartier très populaire rempli de théâtres et d’échoppes, dont la plus étonnante est sans doute celle, minuscule, dont le seul article est la ginjinha, liqueur locale très sucrée à base de cerise. Cireurs de chaussures, immigrants et mendiants estropiés battent le pavé dans une atmosphère qui évoque les années 1950. C’est également dans cet îlot que se trouve l’une des quelques (sinon la seule) églises accessibles de plain-pied, celle de São Domingos. L’édifice baroque, ruiné lors du tremblement de terre de 1755, a conservé un intérieur dans son état d’origine, où de nombreuses ouailles se recueillent. A gauche du théâtre s’élève l’étonnante façade de style manuélin (du Roi Manuel Ier, 1469-1521) de la gare de Rossio, désormais vouée aux expositions temporaires.
Au-delà, vers le nord, s’étend la majestueuse Avenue de la Liberté (accessible par les stations de métro Restauradores ou Marqués de Pombal) et les quartiers chics. Faites-vous déposer en taxi devant le richissime Musée Gulbenkian (la Fondation dispose d’un centre culturel à Paris). Constitué à partir de la collection privée de l’homme d’affaires Calouste Sarkis Gulbenkian (1869-1955), le fonds, qui comprend des oeuvres majeures de l’antiquité à nos jours, est tout simplement époustouflant. Installé, au milieu de jardins, dans un discret bâtiment de style contemporain, le musée est pleinement accessible. Et si les monnaies d’or romaines, les faïences turques, les tapis persans, les porcelaines chinoises, les laques japonaises, l’argenterie et le mobilier royal français, les tableaux anglais ou les bijoux de Lalique (entre autres merveilles) vous laissent indifférent… tant pis pour vous ! Vous pourrez toujours vous rabattre sur les expositions temporaires ou attendre à la cafétéria, avec vue sur les pièces d’eau. Prenez votre temps : cette visite, en-dehors des grands circuits touristiques lisboètes, est un régal.
Encore plus au nord, perdus dans le quartier périphérique de Lumiar et difficilement accessibles autrement qu’en voiture, le Musée du Théâtre (M.N.T), orienté sur les productions nationales, et celui du Costume partagent les mêmes magnifiques jardins, hélas remplis de marches. Tous deux ont été aménagés dans d’anciens palais du XVIIIe siècle mais seul le second a conservé son décor originel. A visiter surtout pour le cadre, qui est d’autant plus agréable que les lieux sont peu fréquentés.
Au contraire de l’emblématique quartier de Belém, situé à l’embouchure du Tage et qui draine un continuel flot de touristes venus prendre des photographies devant le monument symbole du Portugal : la Tour de Belém. Construite au XVIe siècle par le roi Manuel Ier pour garder l’entrée du port de Lisbonne, puis maintes fois restaurée, elle a été classée au Patrimoine mondial de l’UNESCO en 1983. Son accès, outre la difficulté de s’y rendre autrement qu’en voiture, est limité au rez-de-chaussée pour les visiteurs handicapés moteur. Les déficients visuels pourront en revanche se faire une idée fidèle de la construction grâce à une maquette tactile disposée non loin de l’entrée. A quelque distance sur le même quai, le célèbre Monument aux Découvertes a été inauguré en 1960 à l’occasion des commémorations du Ve Centenaire de la mort d’Henri le Navigateur. L’endroit vaut surtout pour son site et le beau point de vue sur le fleuve. Ces deux monuments sont hélas coupés du reste de la ville par une véritable frontière routière et ferroviaire uniquement franchissable par des passages souterrain et aérien bardés d’escaliers. Faute de pouvoir les emprunter, les utilisateurs de fauteuils roulants n’auront d’autre choix que remonter en voiture s’ils veulent se rendre de l’autre côté…
…Où s’étend le quartier de Belém proprement dit, ses ruelles commerçantes, ses places et ses musées. Difficile de manquer l’immense Monastère des Hiéronymites (Jerónimos), chef d’oeuvre de l’architecture manuéline construit entre 1496 et 1572 grâce aux richesses rapportées du Nouveau Monde et également classé au Patrimoine mondial de l’UNESCO. Outre l’église et un cloître étourdissant, on peut y accéder par rampes à deux institutions culturelles : un (modeste) musée d’Archéologie dont on pourra se contenter de visiter la salle du Trésor (rares torques en or datant de l’Âge du Fer) et un passionnant musée de la Marine qui ravira les amateurs : quand le Portugal se souvient de sa puissance passée… On trouve notamment dans ce lieu de nombreuses maquettes mais également la restitution des cabines du yacht royal Amélia et surtout de véritables embarcations, depuis les modestes navires de pêche jusqu’aux galères royales effilées; quelques cartels braille accompagnent en outre certaines pièces, que l’on peut toucher. Anecdotiquement, c’est depuis la place qui s’étend devant le Monastère que s’est élancé le Rallye Dakar 2007. Elle est bordée par les lourds bâtiments du Centre Culturel de Belém dans lequel ouvrira, au début de l’été 2007, un Musée d’art moderne qu’on annonce bien doté.
Totalement à l’opposé, en remontant le Tage dans la direction du pont Vasco de Gama dont la silhouette légère s’étire sur l’horizon, il ne faut pas manquer de faire un détour par le Musée national des Azulejos. L’endroit est, une fois encore, perdu dans une zone portuaire barrée par une voie de chemin de fer mais il vaut vraiment le détour (en taxi). Les collections, qui couvrent plusieurs siècles, sont installées dans un ancien monastère du XVIe siècle dont certaines pièces ont conservé leur décor originel, d’une richesse inouïe. Le chef d’oeuvre du musée est un panorama de la Lisbonne d’avant 1755 entièrement réalisé en carreaux de faïence bleue : fascinant. Les lieux, accessibles sauf l’église, comportent également une agréable cafétéria donnant sur un jardin. Pour les emplettes éventuelles, préférez les boutiques du Chiado, mieux fournies.
Enfin, à l’extrémité Est de la ville, le site de l’Exposition universelle de 1998 a été reconverti avec succès en nouveau quartier ultramoderne où se dessine la Lisbonne du XXIe siècle. Accessible depuis la station de métro Oriente, confortablement plat, ce qui est devenu le Parque das Nações abrite désormais un mélange plutôt harmonieux de lieux de loisirs, d’habitation, sièges de sociétés, grands hôtels et musées à vocation familiale. Une nouvelle classe de lisboètes, plutôt aisée, y fait ses courses dans l’immense centre commercial (ouvert jusqu’à minuit!) situé en face de la gare très design de l’architecte espagnol Santiago Calatrava, ou pratique des activités sportives sur la longue promenade qui longe le Tage. Une cité nouvelle, prenant en compte les critères d’accès universel (sauf pour le téléphérique) qui mérite qu’on s’y attarde, ne serait-ce que pour découvrir le merveilleux Océanarium conçu autour d’un gigantesque et unique bassin dans lequel se croisent des milliers de poissons, du plus petit au (presque) plus grand : magique.
Les enfants apprécieront sans doute aussi leur passage par le Pavillon de la Connaissance, tout proche, où la science est présentée dans un esprit ludique, parfois en français. Ces lieux, qui comptent de nombreux jardins contemporains, dont un musical d’accès libre, se découvrent (de l’extérieur) également la nuit, les éclairages étant particulièrement soignés et l’atmosphère tout à fait paisible. Les plus téméraires pourront même pousser, tout au bout, jusqu’au pont qui s’élance sur le fleuve, si large à cet endroit qu’on dirait une mer…
Jacques Vernes, janvier 2007.