Agnès Robert est issue d’une lignée d’aveugles musiciens : ses arrière grand-père et grand-père étaient organistes liturgiques; son père, Georges Robert, organiste et pianiste, se produisit lors de nombreux concerts. Bien qu’étant notamment professeur d’orgue et de piano à l’Institut National des Jeunes Aveugles (Paris), il a voulu une éducation en milieu ordinaire pour sa fille : primaire et collège dans des établissements catholiques au sein desquels elle fut en butte aux quolibets de ses camarades, une époque qui la marque encore. Les beaux yeux bleus d’Agnès Robert ne lui offrent qu’une vision extrêmement réduite.
Au lycée, dans le public cette fois, elle a entrepris des études littéraires et musicales, suivies par un CAPES de Musicologie et une spécialité en philosophie : « En Terminale, j’ai rencontré la convergence entre plaisir intellectuel et spirituel dans la philosophie de Platon. J’étais alors tentée par la métaphysique, ça m’a mise en mouvement ». La musique, elle ne l’enseigna guère en établissement scolaire : « Je n’avais pas voulu d’assistant et ça a été très dur. Le week-end, je faisais des cauchemars en remâchant les épreuves infligées durant la semaine par les élèves »… Agnès Robert se dirigea alors vers les écoles de musique, tout en chantant dans le choeur de la Sorbonne. Là, elle fut remarquée par un professeur qui la poussa à entreprendre une formation de chanteuse lyrique au Conservatoire National Supérieur de Musique de Paris. Elle reçut l’enseignement de Régine Crespin, multiplia les stages : Gabriel Bacquier, Christa Ludwig et surtout Bruce Fithiam : « Il travaillait avec la Camerata de Boston. Il m’a appris à l’américaine, en expérimentant tout sur lui-même ». La soprano Sena Jurinac lui apprit la ténacité, à essayer toujours et recommencer jusqu’à trouver en soi l’inspiration.
Agnès Robert aurait peut-être pu, dès lors, se lancer dans une vraie carrière lyrique, sa voix agréablement timbrée de soprano lui ouvrant un vaste répertoire, de Pamina à Suzanna (Mozart), de Mélisande (Debussy) à Miss Jessel (Britten). Mais entendre cette voix en concert est un plaisir rare : Agnès Robert se produit peu et la seule date connue pour un prochain spectacle est le 2 août 2006 à La Bernerie en Retz (Loire Atlantique) dans un récital de mélodies et airs d’opéras russes.
Depuis la fin de ses études au Conservatoire de Paris, Agnès Robert ne s’est plus exprimée dans un opéra mis en scène : « Il y a des rôles qu’une aveugle ne peut pas jouer. Suzanna [Les Noces de Figaro], par exemple, est une servante qui court partout. La scène, c’est compliqué ». Il lui reste à vaincre ses propres résistances, un blocage d’ordre psychique où la cécité n’est pas étrangère, sur lequel elle effectue un important travail introspectif : « On se crée des croyances limitantes »…
Agnès Robert, qui espère néanmoins pouvoir un jour s’exprimer à la scène, se produit en récital ou en oratorio quatre à cinq fois par an : « Le concert est le meilleur état où je puisse être. Quand je chante, je veux toucher les gens au plus profond. Je vis pour cette lumière ».
Laurent Lejard, mars 2006.