L’Oeil et la Main, seul magazine de télévision en France consacrée à la surdité, et qui est diffusé en L.S.F, consacre actuellement trois émissions, coproduites par l’Unisda, au thème de « l’exception américaine ». L’une d’entre elles présente les centres relais créés Outre-Altantique dans les années 1970 et qui permettent aux sourds et aux malentendants de communiquer par téléphone. Ces publics disposent de terminaux particuliers leur donnant accès à un interprète qui assure l’interface entre la personne sourde ou malentendante et son interlocuteur entendant. Le procédé le plus ancien, qui représente encore la moitié des communications, consiste en un téléphone à affichage digital sur lequel apparaît la transcription des propos de l’interlocuteur. Depuis 2000, un système utilisant la vidéo le remplace progressivement. La mise en place des centres relais a été rendue obligatoire aux U.S.A par l’American with Disabilities Act (A.D.A) de 1990.
La France se situe dans un cadre réglementaire différent, en partie défini par la loi d’égalité des droits et des chances du 11 février 2005 : elle institue une obligation de mise en accessibilité des services téléphoniques d’urgence et des services de communication publique. Aucune disposition ne concerne l’accès aux services privés, aux commerces, aux particuliers. Actuellement et depuis de nombreuses années, les sourds et les malentendants emploient des palliatifs très divers pour accéder au téléphone : recours à un parent entendant ou un voisin, utilisation du Minitel Dialogue, du fax, du S.M.S, de la messagerie Internet. Le développement des serveurs vocaux, généralement complexes à appréhender pour la plupart des usagers ( et souvent conçus pour faire payer par l’utilisateur le service ou l’information auxquels il a besoin d’accéder) constitue un obstacle supplémentaire : ces serveurs vocaux ont été élaborés pour être un passage obligé, une rente financière, une source de profit, et la plupart du temps aucune solution adaptée n’a été mise en place pour les publics sourds ou malentendants, qui n’entrent pas dans ce cadre « profitable ». Le débat public virulent sur le prix exorbitant du (long) temps d’attente des hotlines, pratique proche de l’escroquerie, en est la parfaite illustration. De tels serveurs vocaux commencent d’ailleurs à être mis en place par des services publics de l’État ou des collectivités territoriales. Ce contexte n’est guère propice au développement d’un service gratuit adapté aux usagers et clients sourds ou malentendants, d’autant que la réglementation de mise en accessibilité ne s’impose pas aux acteurs privés.
Restent les services d’urgence (pompiers, police, SAMU, etc.) pour lesquels un décret est en préparation ; un centre relais national serait créé pour recevoir les appels provenant de déficients auditifs ou de personnes ne disposant pas de la parole, appels qui seraient ensuite transmis aux services locaux concernés. Le procédé technique et le mode opératoire ne semblent pas encore clairement définis. En matière d’accès aux services de communication publique, le chantier n’a pour l’instant été abordé qu’en direction des aveugles et malvoyants, pour Internet essentiellement.
L’Unisda a toutefois enclenché une démarche qui préfigure de ce que pourrait être un service de centre relais en France. Il ressemblerait grosso modo au système Etats-Unien, auquel se superposeraient les services existants tels Websourd et Risp, histoire d’être à la fois fédérateur et ne pas se mettre à dos ces organisations. Il devrait inclure la communication par L.S.F, langage parlé complété, transcription. L’Unisda veut rassembler autour de la table l’ensemble des organismes qu’elle estime concernés : ministères, Agefiph et son équivalent pour la Fonction Publique (FIPHFP), Autorité de régulation des télécommunications (Arcep), Association française des opérateurs en téléphonie mobile (Afom), etc., déjà près d’une vingtaine, auxquels il faut ajouter les associations de déficients auditifs. Mais l’Unisda n’est toujours pas en mesure de définir le public concerné, ni de chiffrer le coût de ce service relais; elle n’évoque que son financement, décalqué sur la méthode Etats-Unienne, soit un prélèvement mensuel de quelques dizaines de centimes d’euros sur la facture des 84 millions d’abonnés au téléphone fixe et mobile.
Les pouvoirs publics semblent encourager ce projet, sans toutefois envisager de dégager des moyens financiers. Côté opérateurs, on n’est pas disposé à payer. Le directeur du développement durable chez S.F.R, Olivier Busutill, affirme que sa compagnie « sera autour de la table dès que l’impulsion sera donnée par les pouvoirs publics pour travailler à l’élaboration des ces centres relais. Pour S.F.R, ce projet doit être porté par les pouvoirs publics et avec un financement public ». Le directeur de la mission clients handicapés de France Télécom, François-René Germain, affirme avoir chargé le président de l’Unisda, Jérémie Boroy, de créer un groupe de travail sur la réalisation de centre relais multi opérateurs intégrant toutes les techniques de téléphonie. Tout en considérant que la fermeture en 2006 de l’unique centre relais existant qui était expérimental depuis 24 ans, celui de Paris, « était un mal pour un bien ». Et en s’abstenant également de s’engager sur le financement d’un projet qui s’annonce long et complexe à élaborer, et pour lequel le planning de réalisation reste à définir.
Laurent Lejard, novembre 2006.