Né en Métropole, Eric Languet a vécu dès l’enfance à La Réunion, avant de travailler en Nouvelle-Zélande. Il y rencontre Catherine Chapell, en 1991, alors qu’elle commençait à élaborer un travail de danse fauteuil au sein du Touch Compass Dance Trust. Puis il créé à La Réunion la compagnie professionnelle Danses en l’R au sein de laquelle il conduit une activité de danse artistique en fauteuil roulant : « Je l’appelle ‘danse intégrée’. Pour moi, le terme ‘danse fauteuil’ est un peu réducteur. Au départ, je travaillais avec des personnes de tous handicaps. En 2000, j’ai travaillé avec la compagnie britannique DV8 sur The cost of Living, dont le chorégraphe employait des danseurs ‘hors normes’ : une personne très âgée, une autre obèse, deux personnes handicapées. On est sorti du cercle des gens parfaits ! Ma rencontre avec David Toole, l’un des plus beaux danseurs que j’ai rencontré, ancien membre de Candoco, né sans jambes et qui fait tout sur les bras, a été un moment fort – j’ai encore du mal à en parler – qui a tout bouleversé. Je venais du ballet classique, le paradigme de la perfection où tout est normé. Après DV8, j’ai eu envie de partager cette émotion avec les danseurs avec lesquels je travaille à La Réunion. J’ai réalisé des ateliers avec Adam Benjamin, de Candoco, qui m’a fait découvrir la danse intégrée et son approche théorique. On a lancé en 2004 un programme de travail de trois ans; en même temps qu’une pratique de danse intégrée, on adapte des techniques de danse et on réalise des improvisations ».
Une première à La Réunion, qui va se poursuivre au-delà de 2007, pour au moins trois ans : « Au début, j’étais romantique vis-à-vis du monde du handicap, j’ai très vite déchanté. C’est un milieu difficile, avec ses enjeux et ses politiques. Le comité départemental Handisport a freiné des quatre fers, pourtant on ne lui demandait que de diffuser l’information sur les ateliers, on n’empiétait pas sur ses subventions ! ». Il a également été difficile à la compagnie de travailler avec des associations accueillant des personnes handicapées : « Pour faire un travail de qualité, on ne peut accepter que quelques personnes. Au départ, on a pris tout le monde, autistes, trisomiques, personnes en fauteuil ou avec une maladie dégénérative ». Depuis, pour monter un projet artistique, être efficace, Eric Languet n’a sélectionné qu’un petit groupe de personnes handicapées motrices.
La compagnie travaille depuis plus de deux ans au contact de ces danseurs handicapés : « Actuellement, on est un peu perdus face aux réalités des institutions pour personnes handicapées et aux collectivités locales, qui nous reprochent de toucher peu de personnes. Le travail de qualité n’est pas encore compris et si notre danse a un impact thérapeutique, ce n’est pas de l’arthérapie; on ne veut pas ghettoïser les participants. Mon objectif est de travailler avec des personnes handicapées qui vont m’apporter en tant qu’artiste. Toutes ne deviendront pas des artistes, danser prend des années de pratique et il faut avoir la fibre artistique. J’ai les mêmes critères pour une pratique professionnelle de tous les danseurs, handicapés ou pas. J’ai rencontré récemment un jeune infirme moteur cérébral avec lequel j’ai envie de monter une création parce que physiquement il est très intéressant; c’est un mystère pour moi : il marche avec un déambulateur, parle avec grande difficulté, mais il a tout compris à l’improvisation, il est totalement investi dans sa danse, je ne sais pas d’où il sort tout cela ! »
« Dans les ateliers, on offre toujours la possibilité de sortir du fauteuil, quand les gens le décident. Il y a un travail spécifique en fauteuil : découverte, équilibre, et de grandes possibilités au sol, ce qu’on n’oublie jamais. C’est la danse contact, pour laquelle il ne faut pas négliger l’aspect sensuel, et pour beaucoup de personnes handicapées cela ressemble à un contact sexuel qu’elles ont du mal à gérer. Cela nous conduit à discuter de la problématique de la sexualité des personnes handicapées. Les danseurs valides utilisent également le fauteuil, pour savoir, expérimenter ».
La compagnie a dû conduire un patient travail de conviction auprès des parents : « Lors des premiers rendus publics des ateliers, des parents ne voulaient pas venir, refusaient que leur enfant soit pris en photo. Ils avaient un sentiment de pitié, jusqu’à ce qu’ils voient ce que leur enfant était capable de faire. Maintenant, ils sont nombreux à y assister. Il y a encore une honte, à La Réunion, à avoir un parent handicapé, de nombreux enfants vivent cachés dans les maisons. La danse apporte de grands moments d’émotion. Avant le premier atelier, il y avait plein de questions, de barrières mentales parmi les danseurs de la compagnie. Une intervenante leur a appris à gérer leur peur, et la première session a été extraordinaire d’émotion, de pleurs, de remise en question. La confrontation avec des personnes qui trouvent avec nous une autre manière de bouger, qui ont cette urgence du mouvement, ça nous remet sur les rails dans les moments de fatigue, de découragement. Parmi les danseurs handicapés, il y a des fans qui assistent à tous les ateliers, qui veulent aller plus loin. On aura franchi une étape quand une personne en fauteuil roulant donnera des cours, transmettra ce qu’elle aura appris. Là, on aura fait notre travail ».
Laurent Lejard, octobre 2006.