Selon l’Éducation Nationale, il y a en France 136 professeurs aveugles ou très malvoyants, enseignant dans les lycées et les collèges. En effet, à la différence des professeurs des écoles (ex corps des instituteurs), l’accès à la profession est autorisé aux personnes handicapées. Pour remplir leurs fonctions, les professeurs déficients visuels disposent théoriquement d’un assistant qui les accompagne durant leur temps de travail de 35 heures hebdomadaires; ce temps est composé des heures de cours, variables selon que l’enseignant est titulaire d’un Capes ou d’une Agrégation, et des autres tâches dévolues au professeur. Pourtant, dans quelques Académies, le manque de moyens ou la volonté des Recteurs réduit au seul temps d’enseignement la présence de l’assistant; le professeur demeure seul pour préparer les cours, corriger les copies des élèves, assurer les formalités (report de notes, dossier scolaire, etc.). Rappelons que les déficients visuels n’enseignent que depuis 1955 : il furent interdits d’enseignement à partir de 1940, durant l’occupation allemande et le régime de Vichy; la Quatrième République mit neuf ans à supprimer cette réglementation inique.
Monique Rochot, professeur de lettres classiques en Bourgogne, a pris sa retraite il y a quatre ans. Elle apporte sa connaissance des besoins spécifiques au groupe de travail « enseignants déficients visuels » du Groupement des Intellectuels Aveugles ou Amblyopes (G.I.A.A), et a recensé plus d’une cinquantaine de professeurs aveugles avec lesquels elle est en relation. « L’assistance est accordée de manière variable, au cas par cas, explique-t-elle. Les textes, le premier date de 1959, sont flous. De ce fait, le Ministère, les Rectorats et les Inspections Académiques font ce qu’ils veulent ». « Dans les académies de Bordeaux, Nancy et Aix-en-Provence ça va, estime Marie de Saint-Blanquat, présidente du G.I.A.A. Mais dans celles de Paris, Lyon et Versailles, c’est l’horreur, et pas uniquement pour les enseignants déficients visuels ». C’est ainsi que sur Aix-Marseille, une douzaine de professeurs déficients visuels disposent d’un assistant durant 35 heures hebdomadaires. En revanche, à Versailles, on ne leur accorde une aide que durant les heures de cours : comment alors corriger des copies manuscrites, qu’aucun système technologique ne permet de lire avec une fiabilité totale ?
« L’assistant voit ce qui se passe dans la classe, poursuit Monique Rochot, même si c’est le professeur qui est détenteur de l’autorité sur les élèves. Il écrit au tableau, participe aux travaux administratifs, lit les copies, apporte son aide lors de recherches bibliographiques sur des supports inaccessibles. Enseignant et assistant ont à la fois un rapport technique et humain : il est essentiel de bien s’entendre sur la conduite de la vie en classe. Le rapport entre élèves et professeur déficient visuel est variable selon la localisation des établissements. Mais dans mes dernières années d’enseignement, cela devenait de plus en plus difficile. Et parfois, il est impossible de tenir une classe sans les yeux ».
« Il n’y a pas de dispositif national cohérent prévu pour la rentrée 2006, alors que les chefs d’établissements disposent d’une grande autonomie dans l’affectation des assistants d’éducation ».
« J’ai coordonné l’élaboration par le G.I.A.A d’un dossier complet qui a été transmis aux services du Ministre de l’éducation nationale. Nous avions été reçus en février dernier à la Direction des Personnels Enseignants, mais notre interlocuteur a changé d’affectation depuis. Actuellement, je n’ai plus de répondant au Ministère. La dotation en matériel adapté, qui dépend des Rectorats, fonctionne assez bien. Elle consiste essentiellement en du matériel informatique, mais il ne peut remplir toutes les tâches administratives de l’enseignant, ni corriger les copies d’élèves, ni régler la vie en classe ».
Monique Rochot espère encore que la situation s’améliorera, tout en constatant l’immobilisme de certains de ses anciens collègues : « Ceux qui ont obtenu quelque chose de pas trop mal ne bougent pas ». Quand aux autres, ils risquent de devoir continuer d’enseigner « au petit bonheur », selon qu’ils seront affectés dans une Académie responsable ou une autre qui ne l’est pas, sur fond de suppression de 9.000 postes d’enseignants annoncée pour 2007 par le Ministre Gilles de Robien. Pauvre Education Nationale…
Laurent Lejard, juin 2006.