Modelée par les guerres franco-allemandes, la Meurthe-et-Moselle jouxte, au nord, le Luxembourg et la Belgique pour atteindre les Vosges, 130 km au sud. La limite actuelle entre le département et son voisin mosellan correspond précisément à la frontière franco-allemande entre 1871 et 1919, d’où sa forme étonnante qui, pour certains, évoque une oie ou, plus poétiquement, la silhouette d’une jeune fille alanguie dont la robe flotterait au vent… Avant la tempête de 1999, plus du tiers du département était couvert de forêts et ces dernières continuent à offrir aux promeneurs leurs ombrages mystérieux, leurs champignons et leurs myrtilles…
L’économie de la région a longtemps été liée a l’extraction minière et à la sidérurgie, qui ont durablement marqué paysages et esprits jusqu’aux grandes crises des années 1970 et 80. Le « Pays Haut », au nord de Briey, et le Lunévillois, au sud du département, sont les terroirs qui ont le plus souffert de cette crise; Lunéville a eu a subir, outre la disparition de nombre de ses célèbres faïenceries, l’incendie de son château, joyau de l’architecture baroque, en 2003, dont la restauration sera encore longue. Mais les reconversions suivent leur cours, avec notamment la mise en valeur (et en accessibilité) du patrimoine culturel et le développement de nouvelles activités liées à l’écotourisme.
Jadis célèbre aussi pour ses aciéries, Longwy ne rayonne plus désormais que grâce à ses émaux. Une production ininterrompue depuis le XVIIIe siècle et qui fleurit toujours (méfiez-vous des imitations !) entre les mains expertes de cinq faïenciers toujours installés sur place.
Près de la gare, dans le « Longwy bas », des boutiques accessibles proposent à la vente quelques pièces de collection ainsi que des créations « maison ». Même si vos moyens financiers ne vous permettent pas de folies, vous pourrez y partager la passion communicative de ces « gardiens du temple » pour leurs trésors, en toute simplicité, et apprendrez ainsi pourquoi la couleur la plus difficile à obtenir n’est pas le fameux bleu… mais le rouge. Quant au « Longwy haut », ancienne ville fortifiée, il abrite d’impressionnants remparts Vauban au pied desquels il est possible de se promener. Garez votre véhicule place Darche, l’Office du Tourisme est installé dans l’ancien puits de siège (spectaculaire), et descendez vers la Porte de France, symbole de la ville : en fauteuil roulant vous n’irez guère plus loin que le pont-levis mais l’endroit, bien préservé, vaut réellement le détour.
En prenant la direction de Longuyon, via Cons la Grandville et son impressionnant château (dont une partie se visite en saison), on peut atteindre un ouvrage majeur de la Ligne Maginot : le Fort de Fermont. L’accessibilité y est difficile sans aide pour les visiteurs handicapés moteur (accès en voiture possible depuis la route en téléphonant au préalable) mais les bénévoles qui animent les lieux font de leur mieux pour rendre moins pénibles les passages de rails et, surtout, l’indispensable transfert dans les wagonnets du train électrique intérieur. A l’instar de sa « cousine » alsacienne de Lembach, la construction donne une idée fidèle et parfois oppressante du quotidien des « équipages » employés à la défendre : odeurs de graisse, bruits de machines, armes restées en place, costumes militaires, rien n’y manque.
Au sud de la forêt de Rombas, Briey est une paisible sous-préfecture lovée autour de sa rivière, dont la renommée a largement dépassé les frontières du canton, du moins pour les amateurs d’architecture. On y trouve en effet l’une des cinq (et avant-dernière) Cités Radieuses conçues par Le Corbusier. Construite en 1960 au milieu du bois de Napatant, cette Unité d’habitation, véritable « ville à la campagne », a traversé de nombreuses vicissitudes (désaffection, vandalisme, projet de démolition, restauration à la hussarde par un promoteur immobilier) avant d’être sauvée in extremis au milieu des années 1980. En cours de réhabilitation, on peut en découvrir quelques espaces, notamment au premier niveau où l’association La Première Rue organise des visites commentées et des expositions temporaires (partiellement accessibles) consacrées à l’architecture et au design.
En suivant les montgolfières qui souvent sillonnent le ciel (toutes les années impaires, l’ancienne base américaine de Chambley reçoit en été le Mondial Air Ballons, seconde manifestation du genre au monde après les USA) on peut atteindre Pont à Mousson, dont le nom s’est longtemps confondu avec celui de la société Saint Gobain, ses canalisations en fonte et surtout ses plaques d’égout (« regards de chaussée » insistent les Mussipontains). Non loin des arcades Renaissance de la Place Duroc, le Musée municipal, parfaitement accessible, rend hommage à l’histoire industrielle de la cité et présente une collection unique au monde de mobilier et d’objets en papier mâché, l’autre industrie locale jusque dans les années 1950 : inattendu. Située à mi-chemin entre Metz et Nancy, Pont à Mousson tire avantageusement profit de sa situation géographique, en bord de Moselle, et de la vieille rivalité entre les deux métropoles régionales.
Nancy. Relativement épargnée par les conflits et les crises économiques, l’ancienne capitale des Ducs de Lorraine resta française en 1871 tandis que l’Alsace et la Moselle, avec Strasbourg et Metz, étaient rattachées à l’Allemagne par le traité de Francfort. De nombreux « optants » (Alsaciens et Mosellans refusant la nationalité allemande) choisissant de s’y installer, parmi lesquels un grand nombre d’intellectuels et d’industriels, Nancy connut alors une période de prospérité et un véritable âge d’or culturel. Ville de sidérurgie à partir des années 1880, c’est de là que partit, en France, le mouvement de l’Art Nouveau avec la création, par Émile Gallé, de la célèbre École de Nancy (1901) dont les membres les plus éminents furent Antonin Daum, Louis Majorelle, Victor Prouvé (père de l’architecte Jean Prouvé) et Eugène Vallin.
Un guide des édifices (privés et difficilement accessibles) construits au cours de cette période, notamment dans le quartier de Saurupt, est disponible à l’Office du Tourisme, mais on ne les découvre que depuis la rue, à l’exception notable de la Maison Majorelle, inaccessible mais dont les extérieurs valent à eux seuls qu’on s’y arrête. Ne manquez pas non plus les merveilleuses verrières que Jacques Grüber a conçues pour de nombreux bâtiments, dont la Chambre de Commerce et d’Industrie et la brasserie l’Excelsior, rue Poincaré. Cette dernière, véritable manifeste de l’Art Nouveau classé monument historique, possède une entrée accessible… qui n’est hélas pas utilisée.
Autres personnalités nancéiennes, l’auteur Edmond de Goncourt (fondateur de l’Académie qui porte son nom), le compositeur Pierre Schaeffer, ainsi que les chanteurs Charlélie Couture et son frère Tom Novembre. Mais le personnage le plus fameux de Nancy demeure évidemment Stanislas Leczinski, roi de Pologne puis duc de Lorraine et beau-père de Louis XV. Classée au patrimoine mondial de l’UNESCO, la célèbre place Stanislas a fêté ses 250 ans en 2005, après une campagne de restauration qui l’a rendue à sa splendeur et à ses ors tout en la libérant enfin de la circulation automobile. Coeur emblématique de la cité, ses bâtiments abritent, entre autres, la Mairie, l’Opéra (dont l’accessibilité sera prochainement améliorée), l’Office du Tourisme et le Musée des Beaux-Arts.
Ce dernier, créé en 1793, fut agrandi en 1936 et en 1995. De la première période subsiste un grand hall majestueux; de la seconde un spectaculaire escalier Art Déco; la troisième propose une muséographie lumineuse (dont les « mastabas » préfigurent les « boîtes » du Musée du Quai Branly à Paris) et la mise en valeur, en sous-sol, de vestiges de fortifications du XVe au XVIIe siècle dans un esprit très « Louvre ». C’est là qu’est enchâssée la collection de cristaux Daum, dans une mise en scène époustouflante de vitrines « en abyme » posées sur de l’ardoise noire, à ne manquer sous aucun prétexte ! Le reste des collections, qui couvre une période allant du XVe au XXe siècle, présente quelques oeuvres marquantes et nous rappelle, par exemple sous le pinceau d’Eugène Delacroix, que c’est devant Nancy que l’arrogant Charles le Téméraire trouva la mort en 1477. Moins connu, le peintre lorrain Émile Friant brosse un portrait sévère de la bourgeoisie nancéienne des débuts du XXe siècle.
La place Stanislas donne sur le parc de la Pépinière (23 ha) avec ses jardins à l’anglaise. Autre espace vert remarquable, le Jardin Botanique du Montet (25 ha) est installé depuis les années 1970 en périphérie de Nancy. L’accès en est aisé quoique parfois pentu. Les collections regroupent notamment un arboretum, des plantes toxiques et médicinales, des plantes aquatiques, et de grandes serres abritant des espèces exotiques souvent rarissimes. L’un des jardiniers, sourd, y organise régulièrement des visites en LSF et il est dommage que les passionnantes visites guidées « tous publics » aient été récemment supprimées fautes de moyens. Moyens qui ont peut-être manqué à la Communauté Urbaine du Grand Nancy pour construire la ligne de tramway sur pneus, un engin ultra-moderne bien que peu fiable : les tronçons hors de Nancy ne sont pas accessibles, en pleine infraction à la loi. A défaut du tram, vous pourrez empruntez le Petit Train touristique, une rampe d’accès donne accès au wagon central.
L’Office de Tourisme propose un accueil adapté, avec bornes d’audioguidage pour déficients visuels (même télécommande que pour les feux), plan tactile interactif, boucle magnétique (ou amplification par écouteur); un guide braille et sonore est en cours d’élaboration, des planches en relief d’éléments architecturaux sont projetés. Notez enfin que le stationnement est gratuit sur tous les emplacements de surface pour les titulaires de carte de stationnement.
En quittant Nancy par le sud, ne manquez pas de faire halte au château de Fléville : le charme de l’endroit et la qualité de l’accueil font oublier quelques difficultés d’accessibilité (seuils, gravier) dont les propriétaires (privés) ont d’autant plus conscience qu’ils sont concernés au premier chef par la notion de mobilité réduite… Une rampe d’accès doit d’ailleurs être installée à court terme. Edifiés au XIVe siècle, les bâtiments ont été remaniés à la Renaissance et au XVIIIe siècle. Les rez-de-chaussée, entièrement meublés, sont accessibles et hébergent régulièrement des expositions temporaires. Mais ce qui séduit le plus est sans conteste le splendide parc romantique de 20 ha, classé monument historique, avec son île du Faune, son belvédère, sa glacière, son ermitage et ses arbres centenaires, où il est d’autant plus agréable de flâner que les touristes ne se pressent guère à Fléville-devant-Nancy : profitez-en !
Autre découverte loin des sentiers battus, le Village du livre de Fontenoy la Joute, à côté de Baccarat, où depuis le milieu des années 1990 se sont installés une vingtaine de bouquinistes. Tous les genres sont représentés, de la bande dessinée aux beaux ouvrages en passant par la gravure et la photographie, l’ambiance est bon enfant et la plupart des boutiques sont de plain-pied. Tous les week-end et jours fériés, le livre est à la fête mais aussi le papier et la reliure. Ajoutons que le parking est aisé et que l’unique restaurant du bourg est parfaitement accessible (avec toilettes adaptées).
Une destination inattendue qui contraste heureusement avec la frustration née de la piètre accessibilité de la prestigieuse Baccarat, toute proche : si vous vous déplacez en fauteuil roulant, ne comptez pas y visiter quoi que ce soit (dommage pour le musée et l’étonnante église Saint Rémy) à l’exception de boutiques où les prix pratiqués se sont pas moins chers qu’ailleurs. Prenez plutôt la jolie route vallonnée de champs et de vergers qui mène à Rozelieures et vous pourrez boucler votre périple en Meurthe et Moselle sur une note de mirabelle, le fruit emblématique de la région…
Il faut en finir avec l’idée encore trop répandue d’une Lorraine écrasée de grisaille où on ne se rendrait que par accident : la région est belle, verte, son climat aussi contrasté (mais pas plus) que dans d’autres terroirs et l’accueil y est le plus souvent chaleureux pour un coût de la vie globalement avantageux. La France recèle encore quelques pépites à découvrir; en voilà une, saisissez-la !
Jacques Vernes, septembre 2006.