C’est le Député-Maire de Dunkerque et ancien ministre socialiste Michel Delebarre qui a fait entrer Vincent Leignel en politique. Il préparait, pour l’élection de 1989, une liste pour les élections municipales : « J’étais identifié comme un acteur de la vie locale, dans le domaine sportif, en athlétisme handisport, après un parcours de handballeur avant mon accident de moto, en avril 1983 ». Accident qui a rendu Vincent Leignel paraplégique. Michel Delebarre remporta Dunkerque, et a été depuis constamment réélu, de même que Vincent Leignel. « Je me suis engagé avec ma sensibilité de gauche, sans être impliqué dans un parti politique. Il y avait alors une ouverture du monde politique vers la société civile, à l’époque on devait être un millier d’élus handicapés, impliqués dans l’action publique. Au début, je ne pensais pas qu’une fonction politique soit à ma portée, je n’étais pas formé à ça, j’étais technicien automobile ! ».
« Après une phase de réflexion consécutive à mon accident, j’ai renoué avec la vie sportive, organisé des événements et mobilisé autour de moi pour créer une équipe régionale d’athlétisme. Parce que dans les années 1980, on considérait une personne handicapée sous l’angle des impossibilités professionnelles; je vivais et vis toujours avec une pension d’invalidité. En 1989, j’ai été élu conseiller municipal alors que je préparais les Jeux Paralympiques de Barcelone 1992. J’avais prévenu que je ne pourrais que donner un coup de main. Mais on m’a proposé un poste d’adjoint spécial sur un secteur, celui de Malo-les-Bains. Je l’ai accepté, tout en continuant à m’entraîner, et au bout d’un an, c’est le mandat d’élu qui a pris le pas. Ce qui m’a fait le plus drôle, c’est quand j’ai ouvert mon agenda pour noter le premier mariage que je devais célébrer le samedi suivant, en m’interrogeant : comment les époux et leur entourage allaient-ils régir face à une représentation qu’ils n’attendent pas ? Et ça c’est très bien passé, comme pour tous les autres mariages. On peut, par la communication, en étant proche des gens, dépasser largement l’image larmoyante ou négative de la personne en fauteuil roulant ».
« J’étais toujours vu comme un sportif quand, en 1992, l’adjoint au sport a démissionné. Michel Delebarre m’a proposé cette délégation, l’accueil a été excellent : je suis né à Dunkerque, dès l’âge de 11 ans je jouais au handball, j’entraînais à 16 ans, je faisais de la moto et participais à des enduros. Ensuite, mon parcours en handisport était encore plus visible, parce que le sport en fauteuil roulant en était à ses premiers moments, et beaucoup de gens m’ont souvent vu rouler sur les routes. J’apprécie de placer le sport dans la politique de la ville : c’est un puissant levier de vie sociale, de mobilisation des plus jeunes, de relation avec l’Education Nationale, avec l’Université, un creuset fabuleux d’échanges et d’intégration. En 1995, j’ai pris également la délégation à l’urbanisme, un mandat compliqué qui nécessite des connaissances en droit, de savoir négocier, concerter, à court et long terme ».
Vincent Leignel ne s’est pas retrouvé dans la position du « handicapé de service » : « J’ai été, au départ, sollicité par la droite et la gauche. Je risquais de n’être qu’un symbole, il fallait que j’en sorte. Ce moment là est largement dépassé, je suis considéré comme n’importe quel autre élu, apprécié sur mes qualités et mes défauts, mes obligations, mes ambitions, mes responsabilités, le management des services municipaux. L’organisation du temps change, on a moins de loisirs, on doit davantage faire attention à sa santé, au corps. Je veux garder la simplicité de la relation avec les autres, rester accessible. J’ai refusé un mandat public sur le handicap parce que c’est un enfermement et un gros risque de n’être qu’un symbole ».
Vincent Leignel s’est présenté, en 1998, lors d’une élection législative partielle : « A l’époque, je n’étais pas adhérent au Parti Socialiste, que j’ai rejoint en 2001. La désignation du candidat de gauche, qui approchait les 70 ans, s’est faite dans l’opacité, alors qu’on parlait de parité et de renouvellement. Je me suis présenté sans étiquette, j’ai obtenu 7,5% sur la circonscription, dont 10% sur le territoire de Dunkerque. Prendre ma liberté de citoyen ne m’a pas fait que des amis dans mon propre camp; on pense que tout le monde peut être candidat, mais en avoir les moyens, c’est autre chose. Ce que l’on m’a renvoyé, c’est que je ne disais pas la vérité : sur les affiches, je n’apparaissais pas en fauteuil roulant, pour être un candidat comme les autres. Et à l’inverse, si on avait vu le fauteuil, on m’aurait accusé de jouer sur le handicap pour émouvoir les électeurs ! La représentation, les images du handicap doivent être banalisées, entrer de façon plus positive dans l’inconscient collectif; les gens doivent cesser de penser ‘handicapé’, mais plutôt ‘personne handicapée ».
Son expérience conduit Vincent Leignel à souhaiter l’ouverture du débat sur l’égalité des chances au sein des partis politiques, comme cela a été fait pour la parité homme-femme. En attendant, il affirme être prêt pour un quatrième mandat à la Mairie de Dunkerque, lors des élections de 2008. Et s’interroge sur d’autres opportunités, « je n’aurai alors que 48 ans »…
Laurent Lejard, décembre 2005.