Marseille est une épreuve pour les personnes handicapées motrices. Tout d’abord, à cause de son relief : la plus ancienne cité du pays fut implantée il y a 2.600 ans au bord d’une calanque, au coeur d’un site protégé par sept collines formant une barrière terrestre naturelle, et deux îles constituant un abri pour les navires. Si le site est splendide, de nombreux quartiers se sont créés sur des buttes et les rues sont fréquemment pentues et étroites. Au fil du temps, le caractère méditerranéen de la cité a (re)pris le dessus, avec son cortège de malpropreté et d’incivisme qui font de Marseille une ville difficile à vivre pour les piétons : utiliser les trottoirs tient fréquemment de la prouesse tant ils servent de stationnement aux véhicules en tous genres et de dépotoir à ordures.
Diane Kolin, militante associative et utilisatrice quotidienne d’un fauteuil roulant, n’a pas voulu se contenter de ce constat; forte de l’expérience acquise à Paris au sein de l’association Mobile en Ville, elle a entrepris de dresser une cartographie des rues de Marseille sous l’angle de l’accessibilité aux personnes handicapées. Elle répondait là à une demande d’un professeur du Lycée Saint Charles, établissement public situé dans le 1er arrondissement : « Guy Jouberjean avait contacté Mobile en Ville en mai dernier pour savoir si l’association envisageait d’agir sur Marseille. On a décidé ensemble de monter un projet pédagogique en deux temps : la cartographie des rues, puis la réalisation d’un D.V.D sur le handisport afin de sensibiliser les jeunes. La cartographie a été engagée dès la rentrée de septembre 2005 à raison de deux parcours hebdomadaires dans les rues pour deux groupes de lycéens, soit plus de 800 heures de travail. Nous avons effectué les relevés sur des cartes agrandies à partir du plan de rues diffusé par l’Office de Tourisme, un outil peu précis ».
En effet, la Ville a su faire preuve une fois de plus de l’inertie à laquelle sont souvent confrontées les organisations locales de personnes handicapées. Pour réaliser la cartographie, il fallait que les enquêteurs disposent de cartes précises, et la Ville ne les a fournies qu’in extremis, trois semaines avant que le « produit final » ne soit remis au Maire de Marseille. Avec l’emplacement des plaques d’égout… mais pas celui des places de stationnement réservé ou des sanisettes adaptées !
Les élèves du Lycée Saint-Charles ont parcouru les rues, notant la largeur des trottoirs, leur encombrement par les voitures et des obstacles contournables ou non, les bateaux et abaissés de trottoirs aux passages piétons. Les relevés ont été portés sur la carte par des lignes et des symboles dont la couleur figure le degré d’accessibilité, du vert au noir : « On n’a pas pu traiter le pourcentage de pente des rues, regrette Diane Kolin. Le travail demandé aux jeunes était difficile, ils ont fait un boulot formidable et dans un délai très court. Mais nous avons tenu compte des nombreux travaux en cours [Marseille construit actuellement deux lignes de tramways qui traversent le 1er arrondissement N.D.L.R] et des passages laissés aux roulants ».
Ce travail de cartographie, qui a dû être achevé dans la précipitation résultant du retard avec lequel la Ville a fourni des plans précis, a été remis le 4 décembre 2005, lendemain du Téléthon, au Sénateur-Maire, Jean-Claude Gaudin, en l’absence remarquée de son adjointe en charge des rapatriés, des personnes âgées et des personnes handicapées, Solange Moll. Ce document met également en évidence les travaux nécessaires pour améliorer l’accessibilité urbaine, telle l’absence courante d’abaissés de trottoir sur un côté de rue alors que l’autre en est doté… Le Maire s’est engagé à publier courant 2006, dans une plaquette, le plan d’accessibilité urbaine du 1er arrondissement, une promesse que Diane Kolin entend lui faire tenir.
Y aura-t-il un complément à cette cartographie partielle, un seul des seize arrondissements de Marseille ? « Tous les arrondissements ne sont pas cartographiables, estime Diane Kolin. Par exemple, le 7e [Corniche, Roucas Blanc, Endoume, N.D.L.R] est globalement impraticable par des personnes en fauteuil roulant, les trottoirs sont étroits, pentus, encombrés ». Par ailleurs, Diane Kolin, échaudée par la mauvaise volonté des autorités locales, ne veut pas tout de suite mettre un arrondissement en chantier. La cartographie de la seconde ville de France restera probablement à l’image de l’accessibilité de ses transports collectifs : une ligne de bus accessible sur 80 qui ne le sont pas, un futur tramway accessible et connecté à un métro qui ne l’est pas. Heureusement qu’à Marseille, elle est « Plus belle la vie » !…
Laurent Lejard, décembre 2005.