La dysmélie résulte de malformations congénitales touchant les membres, qui peuvent être altérés à des degrés divers : main sans doigt, absence de mains, pied réduit ou absent, etc. On pourrait définir simplement la phocomélie comme étant une forme plus sévère de dysmélie : l’absence des os longs des jambes et/ou des bras réduit considérablement la taille des membres. Parfois, les mains elle- mêmes sont mal formées ou incomplètes; fréquemment, ces malformations entraînent des séquelles motrices importantes.
Karine Bizette est présidente de l’Association Denise Legrix, qui rassemble des personnes touchées par la dysmélie ou la phocomélie. Karine a une main et un pied atrophiés : « Entre nous, on ne fait pas vraiment la distinction entre dysmélie et phocomélie. Toutes deux trouvent leur origine, pour la majorité des cas, dans l’usage de Thalidomide ». Cette substance médicamenteuse, utilisée dans plusieurs produits, a généré dans les années 1960- 1970 de nombreux cas de phocomélie et dysmélie. « Au quotidien, je n’ai pas vraiment besoin d’aménagements, poursuit Karine Bizette. J’utilise des pinces ou des crochets pour attraper certains objets, je conduis une voiture standard avec boite automatique. Je suis aide- soignante dans un hôpital de Rennes (35). Dès que j’ai pris mon premier poste, je n’ai jamais parlé de mon handicap, et des collègues s’en sont aperçus bien plus tard, en regardant plus attentivement ma main. Elle ne me pose pas de problèmes professionnels, je dois simplement adapter certains gestes »…
« Mon travail actuel, dans un service de chirurgie, ne créé aucun souci. Je parle de mon handicap après avoir fait mes preuves. J’ai la fierté de pouvoir tout effectuer normalement, mais je dois quand même utiliser une voiture adaptée, ce qui revient cher. Alors que je ne me sers pratiquement pas des aménagements imposés par la réglementation… Ce qui pèse, c’est le regard des gens quand ils considèrent ma main avec insistance ». Karine refuse de masquer son corps : « Je marche pieds nus à la plage. Je suis simplement contrainte de porter des chaussures fermées pour pouvoir marcher correctement. Mais je n’utilise plus de chaussures orthopédiques depuis la fin de l’adolescence ». Le poids du regard, Karine a failli le subir lors d’une unique demande en Cotorep de reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé : « J’ai été examinée par un médecin qui me dissuadait de faire mon métier; il m’avait asséné que jamais il n’emploierait une personne comme moi ! ». Elle a passé outre et a poursuivi ses études, réussissant ses examens, postulant à cinq concours de recrutement et étant reçus dans tous. Mais elle ne fait pas de son intégration une généralité : « Beaucoup de personnes dysméliques ont du mal à s’insérer professionnellement et le coût des aménagements, notamment pour la voiture, constitue une charge importante ». Karine Bizette s’est posé la question de la transmissibilité de sa dysmélie et lorsqu’elle fut enceinte, les premières questions qu’elle posa à l’échographiste portaient sur les membres de son bébé : « La transmission génétique de la dysmélie se pose dans un cas sur 200. C’est une préoccupation, des recherches médicales sont en cours ».
Valérie Polliart, quant à elle, a deux mains parfaitement formées mais quasiment attachées aux épaules. Elle rencontre également des problèmes de hanche et de bassin qui réduisent sa mobilité. « Par rapport à un valide, confie- t-elle, je subis une plus grande fatigue du dos. Je dois souvent me pencher pour attraper un objet. J’utilise manche et crochets. J’ai la chance d’avoir des mains complètes, et un travail de kinésithérapie a développé et entretenu la souplesse de mes doigts. Mais je ne peux pas porter des objets lourds, je manque de force dans les mains. Je conduis ma voiture au pied, au moyen d’un disque pivotant qui remplace le volant. Les commodos et boutons sont rassemblés sur un boîtier fixé sur le montant de la portière. Les aménagements coûtent chers, même si l’Agefiph aide dans le cadre d’une activité professionnelle ». C’est le cas de Valérie, qui travaille depuis quelques semaines comme secrétaire, après une année de chômage. « Mon poste de travail doit être légèrement aménagé. Le téléphone est au bord du bureau, lui- même relevé. J’utilise un clavier d’ordinateur standard. A la maison, j’emploie une aide à domicile pour les tâches ménagères qui sont trop fatigantes pour moi, et me prennent beaucoup plus de temps ».
L’hérédité a également posé problème : « Mes frères et soeurs ont effectué des examens qui n’ont pas été probants. Pour ma part, j’ai su à l’âge de 20 ans que je pourrai pas avoir d’enfants. Mais l’origine de ma phocomélie n’a pas été décelée ». Le regard des autres est également, pour Valérie, le principal poids de son handicap : « En ville, j’ai toutes les facettes, de l’effet de surprise jusqu’à l’expression de la peur… Parfois, les gens me parlent comme si je n’avais pas toute ma tête ! Quand je sors, j’ai appris à ne pas regarder les passants, le regard c’est ce qu’il y a de plus dur ». Valérie est parfaitement intégrée, elle travaille, est mariée. « Ma famille m’a beaucoup aidé. Mes parents voulaient que je sois autonome, que je développe ma personnalité, que j’entretienne ma forme physique par la natation par exemple. Tout handicap a son importance, mais il faut regarder ce qu’on a et pas ce qu’on a pas »…
Laurent Lejard, avril 2005.
L’Association Denise Legrix organisera dans ses locaux (10 rue du Jura 75013 Paris) une session d’informations et d’échanges autour de la dysmélie, le 23 avril prochain de 17h à 19h.